La première chose qui a extirpé Rory de son profond sommeil est un douloureux mal de tête, comme si un pivert a picoré son front durant toute la nuit. Il maugréé dans son oreiller alors qu'il sent une gêne poisseuse au niveau de son bas-ventre. Il a le profond sentiment d'être sale sans qu'il ne sache pourquoi. Puis l'intérieur de sa gorge le gratte, comme si une ronce a poussé à l'intérieur de sa trachée. Enfin, la lumière perçante du soleil le pousse à se lever. Le jeune homme s'étire dans ses draps pendant qu'il ouvre les yeux dans une quinte de toux.
Il se trouve dans une pièce meublée de jolies décorations. Une carte du monde pend au-dessus d'un bureau où un écran trône, ouvert sur une fenêtre Word. En dessous, des feuilles griffonnées se courent après, alors qu'une tasse de café repose dessus. Il ne reconnait pas l'endroit. Les lueurs grises éclairent ses habits pliés à même le sol. Il sent ses joues chauffées alors qu'il jette un coup d'œil sous les draps, se rendant compte de sa nudité. Il a à peine le temps d'extraire son boxer de la mêlé de vêtements à ses pieds qu'un grincement se fait entendre. Rory tourne la tête vers la provenance du son et découvre la moue amusée d'un inconnu.
Un immense sourire magnifie ce visage parsemé de taches de rousseur. Une fine barbe bien taillée entoure ses lèvres rosées alors que son nez grec repose sur une moustache. Sa mâchoire carrée aboutit sur un menton fin qui ombre le haut de son torse nu, où des poils à peine visibles siègent. Des cicatrices sinuent le tour de la poitrine du jeune homme sur laquelle on remarque sa musculature dissimulée derrière sa peau. Des gouttelettes, pendantes de sa chevelure rousse, dégoulinent jusqu'à tomber à ses pieds nus. Et s'il s'est perdu sur son corps, ce n'est rien en comparaison des iris de cet inconnu tout droit sorti d'un magazine. Ses yeux d'un bleu profond l'hypnotisent. Il oublierait sa nudité si une voix grave ne le rappelait pas à l'ordre.
« Alors, bien dormi ? » charrie-t-il, adossé contre l'embrassure de la porte.
Rory ne sait que répondre. Alors il balaye de sa main ses boucles blondes, sales. Puis son mal de crâne lui revient comme un boomerang, encore plus douloureux. Il ferme les paupières, les pressant alors qu'il empoigne sa chevelure. Et des bribes de la veille lui reviennent. Sa visite à Annecy, sa déception face au manque d'indices, sa rupture avec Rosemary, sa rage contre le monde, son éthylisme désiré et cette nuit qu'il a dû partager avec cet inconnu. Et, comme pour éclairer ses pensées, ce dernier lui rappelle son prénom : Noé. Celui-ci s'approche du lit, s'assoit sur le rebord et lui tend un verre d'eau aux teintes blanches, médicamenteuses. Il s'y rue et la boit d'une gorgée goulue, ce qui arrache un rire à Noé.
Ce bruit le fait flotter sur un petit nuage, hors d'un temps morne où la mort d'un ami le hantait. Il y répondit par un sourire, moins franc, plus gêné. Il rapproche ses genoux, encore sous les draps, proche de son torse, donnant le verre à son propriétaire. Tout se bouscule encore dans sa tête, tout comme les événements récents. Quand bien même la boisson guérisseuse agit sur son corps, le mental ne suit pas. Des bribes, des visages déçues, des larmes colériques, la perdition dans ce monde, sans Luke. Et, même si les sourires de Noé lui font revivre les temps de ses premiers amours, il ne peut s'empêcher de constater la différence masculine par rapport à ses consœurs. L'idée lui parait étrange, à la limite du dégoût, et, pourtant, son corps a consenti et pris plaisir en ayant fait l'amour avec un garçon.
Non, il ne peut se permettre d'utiliser ce terme. Ils ont baisé, la rage intensifiant la fougue de l'instant. Ce n'est que momentané, une réponse à une pulsion primaire. L'homme échange des regards langoureux, alternant entre ses lèvres et ses yeux, comme pour demander l'autorisation. Une chaleur peuple le bas-ventre de Rory, réception amère de l'information du corps de l'inconnu. Mais son esprit, lucide, ne peut abstraire la donnée virile de ce corps qui l'attire malgré tout.
Quand une bosse se courbe sous les draps, ses yeux ne cessant de faire des allers-retours entre ce torse proéminent aussi peu couvert et ce visage d'une beauté sans pareille, il se rue hors du lit. Le rouge aux joues, il bredouille des excuses et s'habille, ignorant son sexe pendant entre ses jambes. Il enfile ses chaussures sous les interrogations de Noé qu'il ignore, claquant la porte dans la hâte. Il dévale les escaliers, ratant des marches et manquant de tomber à la renverse par moment. Ce n'est que quand le froid de l'hiver mord dans sa nuque, après un quart d'heure de course, qu'il s'autorise du répit.
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Carnet d'un ami disparu
Teen FictionRory est un garçon ordinaire. Dans sa dernière année d'étude, il a une copine, un groupe d'ami soudé, et un avenir tout tracé grâce à son art. Mais tous ses plans se retrouvent chamboulés quand il reçoit dans son casier un carnet photo appartenant à...