Essoufflé, Rory se penche, les mains posées sur ses genoux. Il maudit Noé de l'avoir fait courir durant le long du trajet. Il en arrive à regretter ses cours de sport de l'année dernière, tant la fatigue courbe ses membres. Quand sa respiration reprend un rythme régulier, il relève la tête, prêt à insulter le skateur. Son injure reste dans sa gorge quand il constate qu'en face de lui se dresse une maison. Des vignes incrustées dans le sol se sont accrochées aux pierres que constituent les fondations. Une petite marche escalade jusqu'à une entrée, où la porte en bois s'incruste dans le bitume blanc qui monte en une façade, dont les dorures du soleil crépusculaire éclairent la bâtisse.
Cet endroit parait isolé, loin de la ville, les arbres nus et la neige entourant l'endroit. C'est une maison, pas très grande, vieillotte, délaissée, mais une maison quand même. Il lance un regard intrigué à Noé qui hausse les épaules. Un sourire aux lèvres, il descend de son skate et monte les marches, suivi d'un pas trainant par son compère. Il appuie sur la sonnette qui répond d'un petit tintement. Ils patientent une trentaine de secondes durant lesquelles Rory appréhende la rencontre. De la description faite par le roux, cette femme semble sympathique et accueillante, à telle point qu'on en oublierait qu'elle a abandonné Luke et Daphné. Une part de lui s'en veut de juger les choix d'une personne qu'il ne connait pas. Une autre part, encore moins assumée, voire stupide, lui impute le décès de Luke. Mais, quand la porte s'ouvre, il chasse cette pensée, retenant son souffle.
La surprise gagne son visage, la familiarité avec celui de l'interlocutrice résonne comme une évidence. Il reconnait ce visage sans maquillage, ce hoodie noir de couleur, ces yeux effacés qui s'animent, mimant le sentiment du jeune homme face à elle.
« Rory ?! J'te croyais déjà à Genève ! déclare Daphné, sa main encore sur la poignée de la porte.
- Je pensais que t'étais déjà rentrée aussi ! »
Ces interjections se connectent, laissant un Noé stupéfait.
« Bah j'crois que Maman n'a pas perdu de temps... » murmure-t-il dans sa barbe alors qu'il toise du regard sa cousine.
Il finit par la saluer d'un bref geste de la main, avant de lui demander de rentrer. Elle se retire alors et suit le groupe qui rentre, fermant la porte au passage. Rory prend du retard, le temps d'enlever ses chaussures, effort non fait par son compère. Puis, le groupe s'avance dans le hall d'entrée. Sur le côté, un escalier monte jusqu'à un creux dans le plafond. De l'autre côté, le hall continue, dans lequel des portes creusent le mur en bois.
Un aspect rustique se dégage da la décoration, des babioles semblant venir d'un autre temps, apposées çà et là. Le parquet grince au rythme de leur pas. Rory remarque dans son observation évasive le manque de cadre photo, le peu qu'il constate semblant récents. La seule qui remonte à un temps au-delà de dix ans offre une vision enfantine. On y voit deux petites silhouettes, aux traits similaires, qui se chamaillent sous le regard tendre d'une femme à la tête cachée par l'angle de la photo. Ces deux petits lui rappellent, non sans mal, les jumeaux, encore ensemble à cette époque. Époque où le sourire de Luke n'était pas encore un fantasme.
Un drôle de sentiment se niche dans le creux de son ventre. Chaque pas donne une impression de lenteur, comme une marche de prisonnier. L'espace d'un instant, il doute. Il a fait toute cette route pour rencontrer cette tante, comprendre. Mais la peur d'être déçu le guette, l'intimide. Si elle n'avait pas les réponses qu'il cherchait ? Et si elle ne pouvait l'aider dans sa quête, qu'adviendra-t-il de cette année passée à comprendre ? D'un pas timoré, il tente de faire face à l'adversité. Il regarde d'un œil en détresse le soutient de Noé. Celui-ci lui offre une moue réconfortante tout en hochant de la tête, l'air de dire qu'il n'a pas à s'en faire. Et quand il franchit la porte, ses craintes s'évaporent.
La pièce offre une scène du quotidien. On y voit un bar qui sépare l'espace cuisine de celle de la table à manger. Des chaises hautes désordonnées s'orientent vers la cuisine, ce qui donne une vue sur le mur en brique blanche, caché par des armoires et tiroirs. La blancheur s'incruste dans un creux laissé par l'espace entre les plans de travail, les plaques et la cheminée. Toute une batterie de cuisine pend sur des reposoirs prédestinés à cet effet. Tout est cadré sur le côté, laissant champ libre au reste de la pièce.
Une petite table couverte d'une nappe italienne siège par-delà le bar. Une lumière s'échappe d'une porte-fenêtre, dans un coin, orangeant la peau laiteuse d'une femme. Assise sur une chaise, son jean slim recouvre ses jambes, une parcelle de peau respirant au-dessus de ses Vans aux motifs quadrillés. L'alternance entre le noir et le blanc imite les carreaux de son manteau qui s'échoue à ses fesses, le bois de la chaise arrêtant la course duveteuse du vêtement. Entre ses fins ongles manucurés se tient un journal au titre faisant écho à la ville d'Annecy, tandis que ses yeux, cachés derrière une fine barrière en verre, abandonnent sa lecture pour fixer les arrivants.
![](https://img.wattpad.com/cover/351969095-288-k333772.jpg)
VOUS LISEZ
Carnet d'un ami disparu
Fiksi RemajaRory est un garçon ordinaire. Dans sa dernière année d'étude, il a une copine, un groupe d'ami soudé, et un avenir tout tracé grâce à son art. Mais tous ses plans se retrouvent chamboulés quand il reçoit dans son casier un carnet photo appartenant à...