Le lendemain, durant le cours d'histoire, la géopolitique de la guerre froide n'intéresse que peu d'élèves. La professeure essaya pourtant de transmettre sa passion pour cette période. Mais il faut croire que le Petit-Bac improvisé par Rory et Rayenne attire plus de monde que le galimatias américano-russe de la figure d'autorité. Les joueurs ne manquent pas de culture sur les marques, ce qui se répercute sur les villes et pays. Tous trouvent les mêmes fruits et légumes, et personne ne loupe la case des animaux. Un jeu simple qui pourtant occupe leur temps d'ennui. Cependant, ils essayent de se faire discrets, les remarques de la professeure ne manquant pas de les sanctionner. Victor a d'ores et déjà fait les frais de son manque de discrétion, renvoyé du cours sous les rires étouffés de ses camarades.
Lorsque le glas libérateur résonne, les élèves quittent enfin leur place, sous l'annonce d'une évaluation anticipée après les vacances d'octobre. L'odeur de la cafétéria erre dans les couloirs, la faim des élèves se manifestant après cette matinée barbante. Les deux garçons suivent la foule, jusqu'à arriver devant l'endroit qui assouvit leur panse. Deux fils se dessinent jusqu'au comptoir ou des pizzas trônent. Sur la droite, on découvre des barquettes chaudes où plusieurs mets défilent. Une fois le repas choisi, Rory s'avance vers les caissiers. Il paye, emporte son plateau avec lui et se dirige vers une table en hauteur. Comme à leur habitude, le petit groupe s'installe ici pour manger. Et comme à leur habitude, il discute de leur matinée.
Rory termine vite son repas afin de continuer son travail. Il sort de son sac son carnet de croquis et poursuit son dessin de la veille. En imitant les feuilles et les troncs des arbres, peut-être se remémorerait-il du lieu de la photo ? Rayenne semble intéressé, ses yeux fixés sur le bout de papier, suivant les traits du dessinateur.
« Ah, c'est la forêt du Grand-Montfleury » déclare-t-il d'un ton simple.
L'information met du temps à lui monter au cerveau. Il ne la discerne pas avant une poignée de secondes. Puis, il finit par comprendre. Comprendre que le labeur qu'il a confronté vient de toucher à sa fin. Et tout cela, grâce à cette unique déclaration de son ami. Il ne parvient pas à le croire, si bien que cela lui arrache une exclamation qui le surprend autant que le groupe.
« Attends, prononce-t-il, comment tu connais cet endroit ?
- Bah, t'sais, j'y habite ? » déconne Rayenne, hésitant.
Tout le monde rit à gorge déployée, excepté Rory qui reste décontenancé par la tournure des événements. Puis, tel un enfant à Noël, il saute de sa chaise et enlace son ami par derrière, articulant des louanges à un vif débit, le tout derrière un sourire mirifique. Il ne remarque pas le visage hébété de ses camarades lorsqu'il porte son sac et se rend vers la sortie du Collège. Rosemary le rattrape avant qu'il ne sorte. Sa main retient le bras de son copain, qui détourne le regard vers elle.
« Tu vas où ? demande-t-elle.
- Je vais régler un truc, répond-t-il
- Et les cours ? »
L'adolescent se retourne complètement vers sa compagne, avant d'encadrer son visage de ses mains et, de ses lèvres délicates, embrasser son front.
« T'inquiète, je gère » conclut-il.
Et il se détache de sa poigne avant d'emboiter le pas vers cette forêt. Il va peut-être en savoir plus sur Luke. Du moins, sur sa disparition. Et si cela l'a inquiété au départ, il s'en retrouve plus déterminé qu'autre chose. Et cette fois-ci, il ne compte pas laisser ses sentiments interférer dans sa compréhension.
Une heure plus tard, Rory longe une allée d'immeuble. Plusieurs numéros défilent à ses côtés, nombres pairs pour définir l'adresse. Les immeubles paraissent désolés, de par le bitume où des fleurs de moisissures ont écloses et où des fenêtres aux rectangles irréguliers se sont encastrées. Il continue son chemin jusqu'au numéro vingt, le bitume du chemin incrusté d'espace herbeux. En face du bâtiment se trouve un escalier en bois usé. Celui-ci s'enfonce dans la forêt jusqu'à arriver vers un écoulement d'eau qui traverse un tunnel. En suivant le liquide, dont le chemin se trouve freiné par des rochers, on arrive vers un banc. Rory y prend place, admirant la grandeur de la semi-nature. Tout est similaire à la photographie, hormis la lumière qui dépeint le lieu avec des tons jaune à la place de l'habituel orange crépusculaire. Le dos contre le dossier, il se met à rêvasser, avant de parvenir à ce souvenir lointain. Oui, ils avaient fait tout le chemin depuis Genève jusqu'à cette petite bourgade à la frontière du canton de Vaud. Et sa mémoire aiguillée l'a mené jusqu'à ce lieu serein.
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Carnet d'un ami disparu
Ficção AdolescenteRory est un garçon ordinaire. Dans sa dernière année d'étude, il a une copine, un groupe d'ami soudé, et un avenir tout tracé grâce à son art. Mais tous ses plans se retrouvent chamboulés quand il reçoit dans son casier un carnet photo appartenant à...