Chapitre 3-2

0 0 0
                                    

La dernière cloche le surprend dans sa sieste. Sous les moqueries de Victor, il se réveille de ce cours de français qu'il a arrêté de suivre dès la vingtième minute. Pourtant, le jeune homme adore cette matière. Bien que le livre qu'ils étudient reste de loin le moins passionnant et que la professeure essaye de le rendre intéressant, l'adolescent bataille pour maintenir une bonne moyenne dans cette matière. Victor lui demande d'un coup s'il venait, ce à quoi il met un certain temps avant de réagir.

« Venir pour quoi ? demanda Rory.

- Bah, la répét' d'Alice, dit-il d'une manière innocente, tu t'en rappelles pas ? »

Rory veut se fracasser le crâne contre son bureau, tant il est à la ramasse. La fatigue ne lui sied pas du tout. D'une longue onomatopée il s'exclame, puis il range ses affaires dans son sac. Le dessinateur suit son camarade qui lui fait descendre les marches jusqu'au sous-sol. À droite, on y voit deux grandes portes en verre qui portent une longue pancarte carmin avec l'inscription « aula ». Ils y entrent, découvrant une scène exhaussée qui domine l'immense pièce. Plusieurs chaises disposées en rang font face à cette dernière. Sur les côtés, des haut-parleurs chantent une musique aux sonorités hispaniques, tandis que des personnes, qui se trouvent sur la scène, dansent, leurs pas encore hésitants.

Les projecteurs créent avec leur lumière un halo autour d'une adolescente qui admire le travail des danseurs. À ses côtés, un grand homme lui donne des conseils. Quand bien même le travail de la jeune fille touche à sa finalité, le professeur s'investie davantage dans la patte artistique de son élève. Rory remarque, assis sur les sièges, un tandem qui semble attendre quelque chose. Ou plutôt quelqu'un. Victor se fait remarquer en saluant ces deux compères. Ces derniers se retournent, le visage de Rayenne et Rosemary se dévoilant. Ils les saluent d'un geste de la main, avant de se décaler pour que les arrivants prennent place. Les membres du petit groupe discutent autour de leur journée. D'autres élèves arrivent, des connaissances d'Alice qui vient pour la soutenir dans cette énième répétition.

Elle fait la maligne à blaguer et montrer son côté espiègle, mais quand il s'agit de son travail de maturité, sa passion, elle troque son costume de clown pour celui de coordinatrice. Et danseuse, aussi. Après tout, il s'agit de l'art dans lequel elle excelle le plus. Elle laisse son esprit divagué dans diverses chorégraphies. Une fois une musique lancée, elle s'amuse à dessiner des figures mouvementées qui se courbent dans tous les sens. Un duo, trio, parfois même un groupe complet, tout dépend de la musique, du style. En effet, son inspiration la mène autant sur le terrain lent et gracieux de la valse que sur celui de l'énergique quickstep. Mais pour son travail, Alice est partie explorer la culture au-delà de l'Atlantique.

Les rideaux tombent. La pièce s'assombrit. Les dernières paroles retentissent jusqu'à petit à petit se taire dans le silence. Et puis, des premières notes chaleureuses se font entendre, donnant un rythme binaire d'une guitare résonne. On perçoit de par les lumières rouges deux silhouettes : un homme porte une chemise immaculée. Alice se cache derrière les traits d'une femme. Ses jambes dénudées fines s'allongent grâce à ses talons aiguilles. Le tissu d'une jupe courte flotte sur ses cuisses, leur ondulation suivant les premiers pas suivent le tempo ferme de cette musique.

Pour Rory, elle est méconnaissable. Ses yeux amande virent au brun. Elle fixe son compagnon tout en suivant ses pas raides. On reconnait derrière les paroles un idiôme du sud. Idiôme qui nous mène en Argentine, paysages ensoleillés dont le tango s'inspire de son cousin hispanique. La danseuse crochète ses pas en reculant. Pareil au danseur, cette fois-ci en avançant. Puis, première figure. La femme balance une de ses jambes en arrière, l'autre comme attiré par le corps de l'homme. Ce dernier entoure la taille de son autre main. La pointe du talon glisse sur le parquet, longeant la scène. Le tout se fait avec ce regard de braise, fixe : soutenu. C'est comme un défi, celui ou celle qui lâchera le premier. Mais durant la danse, des figures et portées s'enchainant, personne ne céda. Pareil aux spectateurs qui n'osent dévier le regard du spectacle. Enfin, les dernières notes se jouent. La tension se calme. Alice abandonne d'une main son partenaire. Elle compte partir, mais l'homme ne la laisse pas faire. À la place, il la fait tournoyer sur elle. Elle tombe sur lui, une main contre son torse. Les lumières s'adoucissent, jaunissant. Sur cette dernière figure, la danse se termine, tout comme la musique.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant