Chapitre 4-4

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On se trouvait dans un coin du canton de Genève. En marge du centre-ville, le goudron des routes se mêlent à la nature enneigée des champs. Tout paraissait plus petit. Ici, les immeubles se montraient moins imposants que leurs jumelles urbaines et les maisons se mélangeaient aux autres bâtisses de la bourgade. Le groupe découvrait Satigny et ses alentours, paysage commun pour Alice qui y habitait. D'ailleurs, on arrivait devant la maison de cette dernière.

Maison bien modeste, sans réelles fantaisies dans les couleurs. Le bitume blanc définissait le lieu, tout comme le toit aux tuiles brunes. Un petit jardin se cachait derrière le bâtiment, entouré de buissons qui délimitaient l'espace. En rentrant dans la maison, le groupe se surprit à admirer la décoration moderne de l'endroit. L'immense salon disposait d'un grand canapé en L qui reposait contre un faux mur, séparant l'espace détente avec celle du divertissement.

En effet, il ne suffit pas d'un quart de minutes pour que Victor et Rory balancent leur affaire à l'entrée, se déchaussent et sprintent vers la table de billard. Alice roula des yeux : la raison de leur venue restait les épreuves de décembre. Mais il fallait croire que le divertissement avait une plus grande importance que les examens qui les attendaient. Un parfait contraste avec Rayenne et Luke qui, eux, s'installèrent avec leur sac dans l'espace cuisine, délimité par un bar. Ils sortirent leurs affaires de cours et commencèrent à réviser. Alice, quant à elle, haussa des épaules face à la comique scène et se dirigea dans le jardin. Rory savait qu'elle avait besoin de calme pour se concentrer, alors la voir s'isoler ne l'étonnait pas plus que ça.

Durant leur partie de billard, durant laquelle ils brayèrent moult injures, Rory jeta un coup d'œil à ses camarades travailleurs. Il remarqua l'attitude particulière de son meilleur ami qui, pour une fois, s'adonnait aux cours, guidé par les explications claires de Rayenne. Lui qui semblait d'habitude perdu en cours, les professeurs débitant des indications et théories farfelues, paraissait comprendre les dires de son camarade. Celui-ci prenait son temps, n'hésitait pas à revoir un thème en détail, rappeler des éléments des précédentes années. Tout se faisait avec soin, ce qui rassurait le jeune photographe.

Le dessinateur, quant à lui, pris dans sa partie, souriait. Quand bien même ce n'était pas lui qui s'occupait de Luke, sa proposition portait ses fruits. Et, quand la partie de billard se termina sur une victoire de Victor, qui n'arrêtait pas de frimer, rappelant chaque moment de domination, ce qui arracha un soupir au perdant, les deux autres collégiens se stoppèrent dans leur exercice, Luke prétextant le besoin d'une pause. Victor, voyant que Rayenne s'était libéré, lui proposa une partie. Luke, de son côté, se départit du groupe pour se réfugier dans le jardin.

Au travers de la vitre, on le voyait assis sur la palissade qui séparait le jardin de la maison. Il semblait ennuyé, sa tête reposant sur ses mains. Intrigué, Rory s'absenta de la partie qui avait à peine débuté. Il ouvrit la porte-vitrée, s'avança dans le jardin, accueilli par la brise glaciale de fin d'automne. Luke leva la tête par-dessus son épaule et revint à sa position initiale, suivant le lent mouvement de son ami. Une fois assis, le dessinateur resta silencieux, le bruit étouffé de leurs amis couvrant le moment qui durait pendant de lentes et agréables minutes. Soudain, à la surprise du brun, Rory déclara :

« Ç'a l'air de bien se passer, tes répétitions avec Rayenne. »

Un petit rire s'échappa des lèvres de Luke. Ils savaient tous les deux que ces séances révisions servaient plus à l'un qu'à l'autre. Quand Rory avait demandé au groupe si ça leur plairait de travailler ensemble, tout le monde avait accepté avec engouement. Puis, dans une suite d'événements, la fainéantise de Victor avait contaminé Rory. Ils s'étaient adonnés à diverses occupations, fuites d'un travail acharné qu'ils remettaient à plus tard. Alice n'avait que rouler des yeux, s'isolant quand une épreuve était agendée. Quant à Rayenne et Victor, et bien, il fallait croire que les deux photographes de la bande avaient trouvé un nouvel intérêt en commun. Donner des cours avait aidé l'un à réviser tandis que les suivre avait facilité le travail de l'autre. Ils auraient pu rester seuls, laissant les autres s'adonner à leurs activités. Mais l'ambiance n'aurait pas été la même s'ils avaient abandonné leur groupe. Alors, ils s'étaient retrouvés plusieurs semaines dans cette disposition. Rory rattrapait le temps de travail quand il rentrait, Victor jouait et trimait lors des évaluations, Alice s'isolait, Rayenne et Luke s'entraidaient : une nouvelle habitude qui les fédérait en dehors des cours. Mais la relation privée qu'entretenait les deux photographes n'avait pas échappé aux yeux bienveillants de Rory.

« Ouais, ouais ça se passe bien » répondit Luke derrière un sourire.

Puis, ses joues s'empourprèrent d'une couleur timide. Rory tapa l'épaule de son meilleur ami, qui le bouscula avec une main faible.

« J'sais pas, j'ose pas aborder Rayenne et lui demander... lui avouer mon crush » déclara-t-il.

Rory hocha de la tête, son bras se posant sur l'épaule de son ami, l'entourant ainsi. Il était si fier de cet ami, timide au départ, qui réussissait peu à peu à s'ouvrir au monde malgré ses problèmes ô combien important. Il le soutenait, l'écoutait, et le voir se soucier de ses relations, un tracas du quotidien, lui mettait du baume au cœur. Après un silence suggestif, durant lequel les pensées de Rory se teintaient de nostalgie, Luke se prononça :

« J'ai p't'être des nouvelles de ma mère. »

Et à partir de là, il se mit à raconter comment une personne avait enfin répondu sur un forum sur Internet. Ils avaient échangé une poignée de messages avant de décider de se rencontrer. Intrigué, Rory invita son ami à se méfier. Après tout, les détraqués pullulaient sur Internet. Et les nombreux faits divers qu'il lisait dans les journaux ou que son père lui rapportait le confortaient dans son idée. Luke sourit, le rassurant au mieux qu'il pouvait, arguant qu'il savait à qui il pouvait faire confiance ou non. Et cette personne représentait son infime espoir de rencontrer celle qui lui avait donné la vie et d'enfin comprendre. Rory approuva de la tête, lui proposant tout de même de l'accompagner.

« C'est une histoire entre mon passé et moi, j'ai pas envie de t'inclure là-dedans. C'est déjà gentil que tu m'aies écouté, mais c'est à moi de gérer ça » déclara-t-il d'une voix affirmée.

Une lueur semblait apparaitre dans ses yeux. Le voyant aussi déterminé, Rory ne pouvait que jeter l'éponge et lui faire confiance. Quand ils entendirent frapper derrière eux, ils surent de qui il s'agissait. Dans un dernier sourire communicatif, ils délaissèrent ce moment hors du temps, le jardin et son décor crépusculaire, pour retourner vaquer à leur occupation. Après tout, des examens les attendaient bientôt.

.*.*.

Les étoiles se reflètent dans le Themse. Toujours dans le silence, Daphné et Rory se perdent dans l'onde. Rory reste piégé de ses souvenirs, ses pensées. Eux qui sont teintés de moments bons enfants se sont recouverts d'un filtre morose, nostalgique. Il parcourt de ses doigts le carnet de Luke.

« J'ai besoin de savoir un truc, Rory : est-ce que t'es de mon côté ? C'est vrai quoi, un coup t'es hostile à mon égard, un coup t'es plus enclin à la discussion et j'arrive pas à savoir ce que tu veux. »

Lui-même se confond dans ses envies. Son désir de comprendre le conduit sur des chemins escarpés, sinueux, dont il discerne à peine l'arrivée. Mais une fois lancé, il n'arrive pas à s'arrêter, quand bien même cela rouvre des cicatrices à peine guéries. Il ne sait pas sur qui compter. Aborder le sujet de Luke reste tendu pour son groupe, et il repousse la seule personne qui semble ouverte à la discussion. Alors, peut-être devrait-il abandonner sa fierté, arrêter de jouer les cavaliers solitaires et accepter l'aide nécessaire à sa quête. Il relève la tête, ses yeux rencontrant ceux de Daphné.

« Et maintenant ? » demande-t-il, incertain.

Le sourire de la jeune femme est masqué dans la pénombre. Un éclat d'espoir rayonne derrière cette grimace qui disparait aussi vite qu'elle est apparue. En tournant la page, Rory découvre une photo qui le laisse pantois.

« Et maintenant, nous devons suivre la route que mon frère a tracée. »

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant