Mercredi, une voix synthétisée le fait sortir de ses songes. Il regardait autour de lui et constata que les passagers commençaient à se lever. Il ressent les mouvements du train alors que celui-ci arrive en gare. Le décor au travers des fenêtres se teinte d'une couleur industrielle tandis que les personnes en voie s'impatientent, le tout avec un visage neutre, terne, épuisé par les voyages et la ville. Sans doute le Genevois va adorer Paris ! Rory se lève de son siège, prend son sac, le balance par-dessus son épaule, se hâte vers les portes de sortie et part du train.
Le premier sentiment qui le surprend en arrivant à Paris Gare-de Lyon est celui de petitesse. Rory suit la longue voie, parallèle à des grands trains qui ont embarqués plus tôt. Ces véhicules paraissent ridicules si on les compare aux deux immenses murs opposés sur lesquels reposent un large toit qui poursuit leur ascension. Un puits de lumière assiège le lieu, l'attaquant depuis les vitres et les tuiles qui séparent l'espace entre le toit et les murs. Cette grandeur est brisée à cause du manque de couleurs, le lieu étant teinté d'une palette de gris, accentué par les lueurs filtrées par le barrage nuageux qui occupait le ciel.
Rory se perd dans la foule, découvre la partie commerciale. Différentes odeurs appellent sa faim, le désorientant par moment. Ces grandes enseignes cherchent à le déconcentrer, à lui faire dépenser son argent dans des plaisirs épicuriens. Cela marche sur les autres, mais pas sur lui, bien trop obstiné par son objectif. Il sort son téléphone de sa poche et ressent un nouveau mal de crâne en voyant le trajet qu'il doit effectuer. Entre la gare et Argenteuil, il y a trois changements à effectuer avec des transports différents.
Il descend dans le métro parisien, analyse la carte en vain, les lignes entrecroisées le perdant plus qu'elles le guident. Rory s'est débrouillé pour prendre le RER A. Il étouffe parmi la marée humaine entassée dans le véhicule pendant cinq minutes. Le temps qu'il fallait pour remarquer la différence de vêtements parmi les occupants. Les vêtements de sport se mêlent avec les costards, tout comme le cuir se mêle au jean. Les personnes en costume jugent ceux qui ne peuvent se permettre d'en acheter, ceux-là se contentant de contrefaçons. Les personnes tatouées envient les jeunes salariés, mettant la faute de leur pauvreté sur ceux qui font tourner cette société capitaliste.
Au bout des cinq minutes, Rory peut descendre à la gare d'Auber, fuyant cette tension trop palpable. Puis il suit les panneaux d'indication alors que les premières odeurs dérangeantes chatouillent ses narines pendant qu'il entend les premières plaintes injurieuses des passants pressés. Il continue sa marche en écrasant des déchets aplatis par le poids des trajets. En détournant le regard, il voit plusieurs policiers qui interrogent un grand gaillard aux traits fatigués.
Celui-ci gratte sa barbe d'une main tandis que l'autre se niche dans la poche de son training Lacoste. Sa chaussure droite, usée, tressaute alors que l'autre se repose contre le mur de la gare. Les nerveux mouvements de sa mâchoire carrée laissent deviner qu'il mastique une chiclette. Ses iris bruns se cachent derrière des battements de cils lents pendant que les forces de l'ordre trafiquent leur tablette, notant des informations avec leur stylet épais. Entre deux clignements, le gringalet échange un regard avec l'étranger. Rory ressent dans ce simple échange toute la peine de ce jeune homme, piégé des aprioris qu'on prête à ses origines, victimes collatérales et bouc émissaire de la peur des Français.
Tout cela le ramène à ce jeune homme qu'on sermonne, une énième preuve de l'impact du discours donné par les médias. Rory poursuit son chemin, le regard au sol, la queue entre les jambes. Il prend la ligne J, s'assoit dans le train et observe le paysage le temps du trajet. Un décor urbain passe devant lui, des grands immeubles se dressent alors que des routes larges s'étendent à perte de vue. Des graffitis difformes sont griffonnés sur des façades qui façonnent la banlieue.
Dans le train, il remarque des personnes aux accoutrements différents. Un homme au costard cravate qui diffuse une odeur parfumée parle au téléphone, dérangeant cette vieille femme noire qui tente de se reposer sans y arriver. Celle-ci tient la main d'un enfant qui mordille son index alors que ses grands yeux semblent impressionnés par la vue que lui offre le voyage. Derrière eux, un adolescent un peu plus jeune que Rory dévisage l'homme au costard, mécontent du bruit que ses AirPods ne peut dissimuler. Les plis de son maillot de football, aux couleurs du Paris Saint-Germain, indiquent qu'il est allongé, les omoplates seules reposés contre le dossier. Le Suisse est tiré de son observation par l'annonce d'un nouvel arrêt : il est arrivé à Argenteuil.
Le lieu dégage une ambiance étrange. Peut-être cela vient de la pluie qui commence à s'abattre sur la banlieue ? Dans tous les cas, son application annonce un retard de son bus. Alors, à la place d'attendre, il prend la décision de marcher jusqu'à l'adresse inscrite dans son téléphone. En suivant l'itinéraire, il remarque autour de lui que le monde se dégrade. L'horloge indiquait treize heures, pourtant le ciel projette de faibles éclats de lumière. Une atmosphère sombre régit le lieu à mesure qu'il avance. Ses oreilles perçoivent des éclats de rire gras provenant d'un groupe d'adolescents. De la fumée s'échappe de leur lèvre tandis qu'il passe tour à tour un papier enroulé. Une odeur âcre émane, ce qui lui arrache des toussements qu'il tente de retenir en amenant une de ses fosses cubitales à sa bouche. Le bruit alerte le groupe qui lui lança des regards interloqués. Ne préférant pas se confronter, il accélère son pas, feignant leur absence.
Une dizaine de minutes suffisent pour qu'il atteigne l'endroit escompté. Une rangée de bâtiments lui fait face tandis qu'un espace vert sert de décor. Il s'avance dans une des allées, le bruit des ménages n'étant pas couvert par les murs non-isolés. Ainsi, il entend une dispute d'un couple qui monte dans les tons, le tout dans des insultes étrangères dont il connait des bribes. La querelle se fait sur fond d'une mélodie boiteuse d'un piano mal-accordé. Un certain malaise l'envahit, mêlé à un stress qu'il ne modère plus. Il se trouve devant le numéro qu'il cherche. Deux étages le séparent de la raison de sa venue. Il peut voir d'ici les fenêtres de son appartement duquel s'échappe un filet de lumière. Le battement des casseroles empêche sa quiétude, tout comme le claquement de son cœur.
Et les minutes inlassables passent, encore et encore. Le doute le guette, tout comme la peur, et la colère. Il doit gérer ses trois émotions, ce qui déstabilisa sa balance mentale. Cette pause lui permet de peser le poids de ce qu'il ressent, tranchant pour un regard neutre sur cette affaire. Il inscrit ses articles dans son code moral, garde ses objections dans un coin de sa tête et donne la présomption d'innocence à cette mère coupable des maux de son meilleur ami, tout cela sans même connaitre son visage. Une raison de plus pour la connaitre. Alors il prend son courage à deux mains et pousse avec elles les portes de l'entrée.
Rory monte les escaliers, chaque marche l'approchant de plus en plus de son objectif. Il ignore son cœur qui continue à tambouriner, ignore les tremblements soudains de son corps. Premier étage. Les questions se bousculent dans sa tête. Les souvenirs avec Luke lui reviennent. Ceux où il parle de sa mère, rêveur, enthousiaste se confrontent aux dires d'Agnès. Une horrible personne. Les scénarios se jouent dans sa tête à une vélocité hors norme. Deuxième étage, tout s'arrête. Un bruit blanc résonne dans sa tête alors que quatre portes se présentent à lui.
Il s'avance, la lumière blafarde clignotant. Le bruit de ses pas résonne contre les murs. Il se tait. Le voilà sur le palier de cet appartement. Les mains dans les poches, il respire. Inspiration, il sort l'une d'elle. Expiration, il la porte vers le bois de la porte décrépie. Soupir, il toque trois coups fermes. Une seconde. Deux. Trois. Pas le temps de penser qu'une silhouette se dévoile devant lui.
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Carnet d'un ami disparu
Teen FictionRory est un garçon ordinaire. Dans sa dernière année d'étude, il a une copine, un groupe d'ami soudé, et un avenir tout tracé grâce à son art. Mais tous ses plans se retrouvent chamboulés quand il reçoit dans son casier un carnet photo appartenant à...