Chapitre 6-1

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Rory rentrait d'une soirée, en juin. Sa mère était au téléphone. Elle semblait paniquée. Elle hurlait, pleurait même. Qu'est-ce qui se passait ? Il s'approchait d'elle. Il entendait. On parlait d'une disparition, plusieurs fois le mot suicide revenait. Puis un prénom familier résonna dans ses oreilles. Non, ça ne pouvait pas être possible... Elle lui lança plusieurs regards de détresse, avant de lui annoncer la nouvelle. Il ne voulait pas le croire. Non, c'était impossible. Elle devait rire, c'était la seule explication plausible. Ces larmes étaient fausses, pas vrai ? Ce visage déchiré, il devait cacher un sourire, n'est-ce pas ? Pourquoi elle le prenait dans ses bras ? Pourquoi elle n'arrêtait pas de s'excuser ? Pourquoi elle lui dit ça ? Pourquoi sa vue commençait à se brouiller ? Pourquoi il s'effondrait ? Il était mort ? Il s'était suicidé ? Mais pourquoi ? Sans s'en rendre compte, il avait bousculé sa mère avant de courir dans sa chambre où il s'enferma. Le téléphone, il lui envoya plusieurs messages. Il n'y avait qu'une icône « vue » sans sa teinte bleue. Il l'appela : pas de réponse. Il devait être occupé. Nouvelle tentative : négative. Il le harcelait d'appels, de messages sans pour autant qu'il réponde. Puis, sa vue floue l'empêcha d'écrire de manière ordonnée. Sa voix trop enraillée ne lui permettait plus la parole. Et la fatigue des sentiments l'emporta dans une nuit pleine de cauchemars. Des cauchemars où il disparaissait, demandait de l'aide et où il était inatteignable. Il se noyait dans une mare de sang et il tendait une main hors de l'eau. Il l'attrapa, mais plutôt que de le soulever, une force l'emmena jusqu'à ce qu'il coule. Et il criait, criait encore, « Rory, Rory » sans cesse. Et quand il vit son visage difforme et ses mains putrides qui s'approchaient de lui, il...

« Rory ! Oh, réveille-toi ! »

Rory sursaute, son cœur en syncope battant la chamade. Il tourne la tête tout azimut, cherchant un point de repère. Quand il tombe sur le corps endormi de Rayenne, la posture ennuyée de Daphné et les yeux inquiets de Rosemary, il pose une main sur sa poitrine avant de contrôler sa respiration. Il la passe sur son front perlant de sueur et constate qu'il se trouve en sécurité. Par-delà les fenêtres, un paysage défile, échangeant par moment l'obscurité des tunnels contre la clarté de la nature terne du mois de Février. Un long soupir de soulagement sort de ses lèvres avant qu'il n'étale tout son corps sur son siège. Rosemary lui tape son épaule, lui demandant si tout va bien, mais il n'a même pas la force de répondre. Il se contente d'un hochement de tête, avant de remonter ses lunettes sur son nez et d'admirer l'extérieur tout en jouant avec les anneaux de ses doigts.

Durant le reste du trajet, il n'arrête pas de repenser à son cauchemar. Il cherche à lui donner un sens, sans pour autant y parvenir. Il sent que Rosemary le regarde avec inquiétude, mais il ne répond que par des faux sourires. Ce genre de cauchemar, il les a rêvés de plus à plus, à mesure que la date de l'escale à Annecy s'est rapprochée. Une fois le mystère élucidé, il espère pouvoir reprendre une vie normale. Il y aura sans doute encore du travail, mais ce voyage le soulagera davantage du fardeau qu'il porte. Cependant, quand il balaye le wagon du regard, il se rend compte qu'il n'a plus à le porter seul. Annecy reste une étape, il en a conscience. Par contre, cette étape lui est importante. Quand il entend la voix robotique annoncer l'arrivée du train en gare, il réalise ce qu'il s'apprête à vivre. Alors, à l'arrêt du train, il enfile son sac à dos, part et sort du transport.

Rory construit une image parfaite de la ville. Des échoppes longent les passages tandis qu'émanent des terrasses peu peuplées des bribes de conversation. Le vrombissement des voitures, fort au départ, s'amenuise alors qu'ils avancent. Les longues rues, cadrées par bon nombre d'immeubles, défilent jusqu'à un espace qui ouvre sur de la verdure. Au loin, des montagnes enneigées surplombent un immense lac qui s'étend à perte de vue. À force de marcher, le groupe tombe sur un chemin entouré de quelques arbres aux branches nues qui le délimitent. La sortie donne sur un ponton qui casse le long muret de pierre qui se repose proche de la rive. Cette ville doit être un parfait lieu estival, la baignade du lac et les restaurants ; des divertissements qui suffisent pour les touristes.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant