Chapitre 8-2

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l'image que Rory s'en fait. Elle parait jeune, trop jeune pour avoir vécu. Quand bien même des rides creusent son visage, encadrant sa lèvre supérieure, une casquette mise à l'envers repose au sommet de ses cheveux dont on devine la blondeur au travers de mèches qui s'échappent. Son style vestimentaire n'a rien d'une quarantenaire, ne mime même pas celui de sa mère ou de ses professeures (et pourtant il y en a, des jeunes). Pourtant, il y a cet étrange mélange, ce jeune cocktail à l'alcool fermenté. Ses seins pendants se meuvent en même temps qu'elle se lève, alors que sa main ferme pousse la chaise sur laquelle elle s'est assise. Ses pouces massent d'une manière énergique son dos qui vient de craquer et son sourire blanc dévoile de nouvelles rides.

« Tu dois être Rory j'imagine » il hoche la tête « Ma nièce m'a beaucoup parlé de toi... »

Cette douce et protectrice voix dégage une bienveillance qui le calme aussitôt. D'un geste de la main, elle l'invite à s'asseoir en face d'elle. Il s'exécute, ses jeunes compères faisant de même. Une minute tranquille se passe, le temps pour leurs yeux de se découvrir, s'apprivoiser, se faire confiance. Puis la doyenne brise le silence d'une parole simple.

« Je pense que tu dois avoir pas mal de questions à mon sujet. Enfin, plutôt celui de Luke. J'pense que tu t'en fous de moi » raille-t-elle en cachant sa bouche derrière sa main.

Les épaules de Rory se détendent d'un coup. Un bref sourire prit place au creux de ses lèvres amusées avant de s'effacer derrière un visage concerné. La quadragénaire le toise de haut en bas. Cette analyse rosit son visage tandis qu'il démarre sa session de questions.

Elle n'a reçu que deux visites de Luke. La première correspond au souvenir conté plus tôt par Noé. Une moue nostalgique occupe ses traits tandis qu'elle échange des sourires complices avec son fils. À la fin de la journée, quand les garçons étaient rentrés de leur balade, Luke avait raconté ce qu'il s'était passé depuis qu'elle était partie de la maison. Il avait passé en revue la maladie de son père, l'autonomie qu'il avait été forcé d'adopter et les nuits cauchemardesques durant lesquelles sa sœur et lui alternaient entre le foyer familial et l'hôpital. Elle n'avait su comment s'excuser face à ce garçon qu'elle avait délaissé au détriment de son propre fils. Tout ce qu'elle a fait pour se faire pardonner avait résidé dans son regard compréhensif et ses gestes réconfortants. Pourtant, dans ce mutisme, elle a compris qu'il ne lui en avait pas voulu. Luke avait semblé rassurer de voir qu'elle les avait quittés pour de bonnes raisons.

En guise de pardon, elle l'avait conduit jusqu'à Genève, le moindre des services à rendre dans ce genre de circonstances. Leur chemin avait été animé par ses anecdotes et celles de son fils, écoutées d'une oreille distraite par Luke, ses yeux se perdant sur le périphérique. C'était comme s'il n'avait pas tout dit, qu'il avait gardé ses questions pour lui. Arrivés à la ville du Jet d'Eau, ils s'étaient séparés. Elle lui avait dit qu'elle aurait aimé rencontrer Daphné, s'extasiant sur sa croissance, mais d'un ton froid, Luke lui avait déclaré qu'il était encore trop tôt pour les retrouvailles. Et il l'avait quittée sur cette dernière parole, claquant la portière de la voiture.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant