Carnet d'un ami disparu

Chapitre 6-2

Tout le long de leur balade, Daphné n'arrête pas de demander aux passants s'ils ont vu Luke, montrant sur son téléphone la photo du jeune homme. À certains points, elle colle une affiche du disparu. À un moment, quand ils ont déjà bien contourné le lac, ils tombent sur un spot bien singulier. Rory s'en rend compte et leur demande de se stopper, ses bras servant de barrière pour empêcher leur avancement.

« C'est ici » déclare-t-il au groupe.

Rory s'assoit par terre, dans l'herbe, suivi de près par son groupe. Il se débarrasse de son sac duquel il prend le carnet. Il le feuillète et s'arrête sur le cliché de Luke. Aucun doute possible, ils se trouvent au même endroit où il a pris sa photo. Alors Rory commence son observation, découvre de ses yeux le paysage. Il espère que ça va être comme les autres photos : se rendre sur le lieu, se souvenir d'un moment, ajouter une nouvelle clé de compréhension à cette histoire et passer à la suivante. Mais non. C'est différent, puisqu'ils n'ont jamais posé les pieds à cet endroit. Luke désirait lui expliquer quelque chose, le mener jusqu'à lui, ou du moins jusqu'à la raison de sa disparition. Cependant, Rory ne parvient pas à le comprendre. Et ça l'énerve. Au bout d'une poignée de minutes, un long et las soupir interrompt l'instant silencieux. Il regarde ses camarades et tourne sa tête de droite à gauche. Rosemary soupire, Rayenne lui tape l'épaule de manière réconfortante tandis que Daphné le soutient du regard. Pour lui répondre, Rory esquisse un rictus avant de se lever.

« Bon, je pense qu'on devrait se séparer » suggère-t-il.

Le groupe confirme à l'unisson par un hochement de tête. Daphné distribue les avis de recherche à chacun et deux groupes se forment. Rory et Rosemary retournent sur leur pas pendant que les deux autres poursuivent leur chemin dans l'autre sens.

Ainsi, Rory ne cesse d'interrompre les passants. Il leur répète toujours les mêmes questions : est-ce qu'ils ont vu ce garçon sur l'affiche ? C'était un ami qui a disparu deux ans auparavant. Est-ce qu'ils sont certains de ne l'avoir jamais rencontré ? Il s'appelait Luke. Luke Nicotte. Non, vraiment ? Ils sont vraiment sûrs ? D'accord, désolé pour le dérangement. Et toutes ces questions en boucle, encore et encore. À mesure que le soleil descend, leur motivation s'épuise. Ils essuient des indifférences, des ignorances. Ils retiennent des injures – surtout Rory – et partent sans que l'enquête n'avance d'un iota. Leur errance les mène jusqu'à un pont sur lequel un banc solitaire se dresse. Ils s'y assoient, admirant le paysage nocturne. Un petit bâtiment se dessine dans la pénombre, sur une minuscule berge. Sous eux, un cours d'eau dévale au loin. Les adolescents se trouvent sous un arbre dont la terre nourrissante se limite à un tout petit carré.

L'écran du téléphone de Rory illumine son visage, sa lumière se reflétant contre le verre de ses lunettes. Il lit les messages que Rayenne lui a envoyés. De leur côté, ils n'ont pas avancé non-plus. L'adolescent se mord la lèvre inférieure, dépité. Il range son téléphone et se tourne vers Rosemary, assise sur le banc. Il la rejoint.

« Alors ? demande-t-elle.

- Pas d'avancement non plus. »

Elle soupire, s'adosse contre le dossier et croise les bras. Elle penche la tête en arrière de sorte à admirer le ciel. De gros nuages peuplent le ciel. De légers tremblements s'emparent son corps, ce dernier subissant le froid saisonnier. Elle se frotte les manches, la friction entre le tissu et sa peau la réchauffant. Puis, sans crier gare, un premier flocon de neige tombe dans son œil. Par réflexe, elle le ferme, mais l'eau rentrait déjà dans sa pupille. Elle se lève de surprise et frotte sa paupière, un gémissement de douleur s'échappant de ses lèvres. Inquiet, Rory se lève à son tour et se précipite vers sa copine.

« Eh, ça va ?

- À ton avis, j'ai l'air d'aller bien ? » grogne-t-elle en s'éloignant.

Elle essuie du bout de son index une dernière goutte d'eau et fait face à Rory. Elle continue de trembler alors que quelques flocons de neige commencent à chuter. La bise vient mordre les parcelles dénudées de leur peau. Rory cherche à atteindre sa copine, mais elle recule à chacun de ses pas.