Carnet d'un ami disparu

Chapitre 4-3

Si tout parait normal, Rory regarde d'un air mélancolique le ciel gris. Parmi les nuages, sa pensée s'égare. Elle vogue sur cette mer duveteuse, calme, sans réelle destination. La discussion l'a troublé, ouvrant des interrogations qu'il préférerait repousser à plus tard. Mais le voilà perdu dans ces eaux incertaines, et les souvenirs de Luke lui reviennent tels une vague scélérate. De l'extérieur, il a l'air d'un jeune mousse tout aussi égayé que ses compères insouciants, une façade pour cacher le vieux marin qui sombre dans les abysses. Les achats se déroulent, aucun vêtement ne l'attire. Alice, de son attitude gaie, montre des habits qui irait à Rayenne, tandis que Victor revisite leurs angles. Rosemary rit à cette scène, mais Rory reste aphone.

Ils passent une heure tous ensemble dans les rues à délirer, rire, acheter avant de se diriger vers le Trafalgar Square, là où les professeurs les attendent. Puis, arrivés au lieu, ils attendent les autres groupes qui, essoufflés, s'excusent de leur retard devant des adultes amusés. La classe rassemblée fait demi-tour pour atteindre l'auberge, tandis que la lune entame son ascension comme ils entament leur souper une fois rentrée. Une fois terminé, leur ventre lourd après ce copieux repas, le groupe d'artistes part dans leurs chambres et se préparent pour leur soirée.

Dans la douche, les pensées de Rory au sujet de Luke s'intensifient. Il réfléchit à son sujet, à ce carnet. La quatrième photo, la maison d'Alice, cela remonte à longtemps. Mais quand il s'apprête à plonger dans ses souvenirs, quelqu'un toque soudain à la porte de la douche, bruit qui accompagne une plainte de Rayenne. Il rogne sur le shampoing, passe d'un geste rapide le gel douche sur son corps et, à l'aide de sa serviette, se sèche les cheveux. Une fois un caleçon porté, il sort de la pièce, répondant aux remarques de ses colocataires par un sourire mesquin. Quand il porte ses vêtements pour la soirée – une chemise à flanelle rouge ainsi qu'un pantalon noir – l'adolescent s'assoit à même le sol, sort de sa valise son cahier de dessin ainsi qu'un crayon et, pour patienter, commence à griffonner.

Une trentaine de minutes passe avant que ses camarades n'aient fini de se préparer. Et quand ces derniers l'avertissent qu'ils sont prêts, l'adolescent range son activité, se lève, et rejoint ses amis. Ils ont opté ensemble pour une soirée dans un bar qu'ils ont repéré lors de leur venue, non loin de l'auberge. D'autres élèves du voyage de maturité y seraient, enchaînant les shots d'eau-de-vie dans le but de s'aviner. Un peu d'alcool, peut-être ça le décoincerait et inhiberait sa tête pleine ? Voilà pourquoi il se retrouve accoudé au comptoir, commandant sans peine ses pintes de bière.

Les délires suivent l'ambiance de la soirée : calmes, discrets au début, plus francs, assumés et grivois par la suite. Les discussions masquent les bruits de la télé qui affiche des images d'un match de football d'une ligue quelconque. Le tintement singulier des verres qui s'entrechoquent participent à l'atmosphère conviviale, pareil aux envolées aigues du piano, morceaux joués par les clients.

Des pintes plus tard, Rory se trouve à socialiser avec le barman, un jeune étudiant dans une université prestigieuse. Le Suisse peste sur son avenir, ses études. Il écoute les plaintes du natif qui supporte ce job dans l'espoir d'économiser, prévoyant la dette qu'il devra payer quand il obtiendra ses diplômes. Dans un mouvement éméché, l'adolescent lève sa boisson, une exclamation fausse, feignant la joie. Et, dans un instant d'ébriété, il détaille la beauté des yeux émeraude du serveur, mimant celle de sa crinière de feu, domptée par un élastique. Puis la lucidité le tire de sa rêverie. Il secoue de la tête. Qu'est-ce qu'il vient de penser ? La réponse le surprend alors qu'il se souvient des sentiments qu'il a pour Rosemary. Tiens, il l'a oubliée. Il n'est pas venu tout seul.

Il jette un œil par-dessus son épaule, découvrant une horde juvénile rassemblée autour d'une table de billard. Rayenne fait face à Victor, et ce dernier semble sur le point de gagner. La queue entre ses doigts, il tire d'un coup sec dessus, celle de la victoire. Les gens s'exclament, se touchent, se prennent dans les bras comme s'il s'agit-là d'une compétition au prestige mondial. Cela a l'air marrant, il aimerait bien tester ce jeu dont les règles lui paraissent floues. Dans cette optique, Rory but d'une traite, glisse trente euros sous sa bière, se lève et se mêle à la foule. La bataille s'étant terminée, certains se retirent, se regroupant avec leurs amis. Le vainqueur, d'un air triomphal, esquisse un sourire narquois. Sa queue posée à la verticale, il frime :