Chapitre 2-2

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« Rory, je dois avouer que votre travail est remarquable ! » déclare le professeur de géographie.

D'un doigt gêné, le susnommé se gratte le haut de la nuque. Son maitre accompagnant et lui se retrouvent dans une salle de classe. La lumière claire du midi s'immisce entre les stores baissés. L'adulte longe la pièce, une petite marche séparant la salle de classe de l'espace du professeur. Il feuillette la réalisation de son élève d'un regard stupéfait. Son travail sur la réalisation de paysage au travers de dessins le bluffe. Parfaits, les traits se fidélisent à la réalité. La plage de Pont-Céard le ramène à ses vacances tandis que l'allée, où des feuilles mortes gisent, le frigorifie. Puis il y a son manuscrit. Les subordonnés, ornées de plaintes et de réussites, se succèdent au fil de la lecture. Ces quatre mille mots résultent d'un labeur d'une année. Une année qu'il a passée à trouver des endroits, à tailler des crayons, gommer des défauts. Tout cela les mène jusqu'à l'arrivée du crépuscule dont les tons chauds rendent le décor plus chatoyant. Alors, ses crayons colorent un endroit festif dans une aura plus estivale. Son année de travail touche à sa fin. Enfin pourra-t-il montrer ses réalisations au grand jour. Enfin son travail sera jugé par des professionnels. Il en est fier.

Son professeur loue ses dessins. Les compliments inhabituels l'embarrassaient. Puis la découverte laisse place à la critique. Non pas de son travail artistique, plutôt du document qui l'accompagne. Des phrases mal formulées. Des verbes qui manquent. Des mots maladroits. Des agencements d'images étranges. Voilà à quoi se résume les critiques de son maitre accompagnant. Il les arrangera le temps des vacances d'octobre et la reddition, ensuite sa soutenance, l'attendront. Lorsqu'il entend parler de la soutenance, il soupire. C'est un véritable soulagement d'entendre la nouvelle. Comme si cela concrétise son année de travail, cette soutenance l'apeure comme l'excite. Parler de ce qu'il a fait ne le dérange guère – il a l'habitude des exposés et des oraux de semestrielles. Non, c'est plutôt de jouer la note finale de son travail sur une poignée de minutes qui le stresse. Mais il s'y fera. Un peu d'entrainement, des tournures de phrases à répéter et il sera prêt. Son professeur lui rend son travail, et, après l'avoir salué, il part en direction de son prochain cours.

Il monte d'un étage avant de retrouver son groupe d'amis. Ils sont en train de discuter de divers sujets d'actualité concernant leur avenir scolaire. Les vacances d'octobre arrivent à grands pas, de même que leurs évaluations. Elles s'enchaînent à une vitesse fulgurante. Mais leurs cours d'art plastique leur permettent de respirer entre deux matières plus analytiques. L'un d'eux se plaint beaucoup. Rory reconnait-là Victor. À cause de son flegme, les enseignants se demandent comment il a réussi à arriver jusqu'en quatrième, lui qui semble plus intéressé par les vêtements et la mode que par les cours. Néanmoins, derrière ses traits rebelles, l'adolescent cache une certaine assiduité. Quand bien même il met du temps à s'activer, tel un diesel, une fois qu'il s'active au travail, il enchaine les heures de révision jusqu'à ce que la nuit soit bien entamée. L'une de ses camarades en rigole. De ses yeux amandes, elle l'observe avec malice, le taquinant. Cela fait partie de la nature d'Alice que d'embêter ses pairs. Elle ne manque pas un seul instant pour faire des farces et les surprendre. Avec un peu d'alcool, son attitude enjouée empire, devenant incontrôlable. C'est pour le mieux que Rayenne lui tient tout le temps compagnie. Ce grand gaillard aux boucles foncées veille sur elle tel un frère. Mais de la même manière, les agissements de sa sœur de cœur le ciblent. Même son teint mâte en a été victime lors de l'illustre défilé de l'Escalade, son visage couvert d'œuf et de farine. C'est alors tout à fait normal qu'il rende la pareille à son amie. Ils se remémorent ces moments avec sourire, alors que la sonnerie résonne. Naturels, ils se dirigent vers une table – leur table, comme leur professeure la qualifie souvent – et s'installent.

Tout le long de l'heure, ils créent autour d'un sujet imposé par leur enseignante. Leur œuvre doit dénoncer les dangers de la cigarette. Rory jette une œillade à Victor qui roule des yeux en conséquence. Entre deux traits, le groupe profite pour parler du sujet, donner des conseils sur un angle, sur une couleur, un trait. Rory reste de loin le plus doué. C'est celui qui donne des conseils au lieu d'en recevoir. Et, quand il finit, dans un soupir, il pose son crayon et observe ses camarades, affairés dans leur besogne.

Il se remémore leur rencontre, lors de leur première année. Ils étaient tous un peu chétif, peureux et concentrés dans leur travail. Rayenne connaissait déjà Alice à l'époque, certes, mais pour les autres, il s'agissait d'une découverte hors de leur zone de confort. Victor doit être celui qui a peiné le plus à s'intégrer, puisque la parlote lui a fait défaut au début. Le jeune homme avait la brune, et Rory avait Luke. La pensée de ce prénom le ramène au carnet. Oui, lui aussi avait fait partie de ce groupe de marginaux, quand il était encore en vie. L'adolescent revoit cette place vide occupée par son meilleur ami... Sa copine aurait dû s'asseoir ici si elle n'était pas malade.

Il secoue la tête. Il doit s'occuper avant que son esprit ne divague. Il sort de son sac le carnet de Luke et le sien, les ouvre à la page correspondante, et commence un nouveau projet. Ou plutôt, il le continue. Il n'a pas encore fini son paysage ni même découvert de quel endroit il s'agit.

La photo dépeint une commode simple au coin d'une pièce où un cadre trône. Cependant, impossible d'y voir l'image. Le meuble se trouve dans un coin, une fenêtre en face d'un autre mur. La fenêtre filtre la lueur orangée de l'extérieur. Peut-être s'agit-il de sa chambre ? Il a un vague souvenir d'une soirée qu'il a passé chez-lui. Mais ils restent trop flous pour lui rappeler quoi que ce soit. Une idée germe dans sa tête, mais elle semble bizarre. Visiter une famille qui se remet encore de la perte d'un de leur membre, dont l'un d'eux croit que ce dernier est vivant : c'est loin d'être adroit. Les mots de Daphné continuent à le travailler. Et les raisons qui le poussent à poursuivre ses recherches sur les photographies le troublent. Après tout, il pourrait rendre ce carnet à celle qui lui a remis et vivre sa vie sans s'en soucier. Mais une minuscule raison, à peine croyable, le motive. Même s'il sait que la probabilité qu'il soit encore en vie reste faible, un espoir, né après la disparition de Luke, se ranime ses recherches. Ses pensées le dirigent vers cette horrible soirée, et il préfère les oublier, les rapides mouvements oscillatoires de sa tête le balançant de droite à gauche. Ne pas replonger, il l'a promis à Rosemary. Il a une décision à prendre. Mais pour l'heure, il a une journée de cours à finir. Après, il pourra rendre visite à cette famille endeuillée.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant