Chapitre 9-4

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Il ne connait pas l'âge de cette femme, mais l'adolescent sait qu'elle fait beaucoup plus vieille. Un rapide calcul lui indique une tranche d'âge plus jeune. Les traits de cette dame trace des rides sur son visage fatigué. Ses cheveux bruns contiennent des mèches blanches qui se cachent dans une touffe hasardeuse. Ses lèvres dessinent une moue dérangée. Ses sourcils poussiéreux sont froncés. Ses vêtements amples, dans lesquels elle parait flotter, sont couverts de motifs vieillots. Son teint livide lui donne des airs de fantôme, tout comme ses yeux fatigués qui reposent sur des poches violacées, répondant aux cernes de Rory. Ses iris bruns, vides, remarquent le jeune homme après une poignée de secondes.

« C'est pourquoi ? » demande-t-elle d'une voix grave, aigrie

Rory l'imagine avec une cigarette à la bouche avant son arrivée, tout comme l'indique l'odeur de tabac. Il ne pipe mot.

« Je n'ai pas de temps à donner à tes stupides sondages » se plaint-elle.

Alors qu'elle tente de fermer la porte, le jeune homme immisce un pied à l'entrebâillement, une vive douleur lui prenant tout le membre. Il se mord la lèvre inférieure pour retenir un cri, transformé en un bruyant grognement. La femme rouvre la porte, les traits du visage froncés. Elle semble sur le point de s'énerver, la main levée, quand Rory l'interrompt dans sa démarche par une exclamation.

« Je suis venu pour vous parler de Luke ! »

Cette simple parole suffit à la calmer, l'étonner. Ses yeux ronds s'abaissent un instant avant de regarder à nouveau le visiteur. Elle parait gênée, se grattant l'arrière de la tête.

« Rentre. »

Elle se dégage de l'entrée, laissant le blond découvrir l'appartement.

Le hall est minuscule, se prolongeant sur le côté. Quelques mètres plus loin, un encadrement sépare le hall et le salon. Lui aussi est petit. À peine circule-t-il que du bazar se trouve à ses pieds. Entre journaux et vêtements, un parterre en bois se découvre, tout comme ses jointures qui renferment une couche de poussière. À sa droite, un canapé fait face à une télévision, tandis qu'à sa gauche une porte-fenêtre donne sur un balcon où siège une table-basse, accompagnée avec deux sièges opposés. Elle s'y dirige, Rory la suit. Elle s'assoit à la place contre la rambarde en pierre, lui celle à l'opposé. Derrière elle, le paysage gris péri-urbain se dessine, alors qu'elle s'allume, d'un geste adroit, une cigarette.

Un étrange silence occupe l'espace, elle jetant les cendres par-dessus la corniche et lui cherchant des formulations qui ne trahiront pas son ressentiment. Elle ne lui a pas proposé une boisson et elle semble ne pas le remarquer. Puis en suivant le mouvement de la cigarette qui va et vient à ses lèvres gercées, une question lui taraude l'esprit.

« Ils vous disent rien la régie ? »

Elle balance son mégot pour toute réponse. Charmant.

« Bon, qu'est-ce que tu veux savoir ?

- C'est vrai que votre fils est venu vous voir ? »

Une réponse par l'affirmative ou la négative, voilà comment entamer une discussion avec les personnes fermées. C'est de cette manière qu'a procédé sa psychologue à leur premier entretien. Quand bien même l'évocation de Luke lui a permis de rentrer dans l'appartement, la suite ne parait pas si simple à aborder. Mais c'est à force de poser des questions qu'elle commence peu à peu à s'ouvrir. D'un air nostalgique, Rory découvre un nouveau récit.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant