Chapitre 2

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                                                                                              Nery

La mise en garde d'Akini résonnait encore dans l'esprit de Nery lorsque ce dernier lui grimpa lourdement sur l'épaule. Un silence pesant et froid vint la rejoindre dans le vestiaire. Sans un mot, elle resta de marbre un instant avant de commencer à se déshabiller. Face aux tremblements qui la secouaient, chacun de ses gestes se faisait plus incertain et maladroit, à tel point qu'elle dut s'y reprendre à trois fois pour enfiler ses bas.
De nouveau en uniforme, Nery prit une seconde, puis se décida enfin à balayer les souvenirs déplaisants qui venaient de refaire surface. Avec une confiance superficielle, elle dégagea les mèches de cheveux collées à ses joues, reprit sa respiration et termina enfin par quitter ce cours.
La plupart du temps, lorsque la jeune femme se surprenait à être faible, chaque regard braqué sur elle lui semblait deux fois plus désagréable. C'était comme si elle avait eu le malheur de faire tomber son armure et de s'être affichée nue à la vue de tous. Malgré le nombre de pensées craintives qu'elle regrettait à la minute suivante, son visage inexpressif la protégeait de toutes âmes intrusives.
L'orgue ayant sonné pour marquer le changement de classe, les couloirs de l'académie grouillaient d'étudiants en uniformes cintrés. Tout d'apparence respirait chez eux la perfection. Leurs longs corps élancés et la beauté cruellement injuste des nobles rendaient chaque geste ou chaque mot plus captivant. Toutefois, alors qu'elle venait juste de se faire volontairement bousculer, Nery ne parvenait plus à admirer cette splendeur. En effet, les habitants de Kardia se masquaient sous de lourdes capes de prétention vaniteuse.
Encore un peu ébranlée, elle contourna quelques étudiants afin de rejoindre la sortie la plus proche. Dans un coin à l'entrée de la cour extérieure, l'air semblait déjà plus respirable. À l'abri des regards indiscrets, elle s'adossa contre le mur de brique brune légèrement usé par le temps. Semblable aux châteaux de l'ancien monde, l'académie divisée en plusieurs ailes et tours voyait certaines de ses façades rongées par le lierre. À défaut de ses occupants, Nery appréciait le charme de l'extérieur.
Dès l'instant où elle fit tourner la poignée, l'écart de puissance entre les dynamistes et les prostasias se fit brusquement ressentir. Comme à chaque fois, son premier pas dans la salle de cours lui donna l'impression de plonger dans un océan fourbe et violent. En effet, l'aura produite par tous ces élèves réunis demeurait lourde et pesante.
Habituée, Nery traversa cette fois-ci toutes les rangées de hautes tables en bois sous les regards assassins des Prostasias. Sans ciller, elle rejoignit sa place, puis s'assaillit sur son tabouret au fond de la salle. À son plus grand plaisir, aucun voisin ne siégeait à sa table. La dernière fois qu'un élève avait été déplacé à ses côtés, il avait tenté de saboter son travail et de la tuer à trois reprises. Ces tentatives s'étaient révélées inutiles, puisqu'elle avait quand même obtenu la note maximale et s'en était sortie sans la moindre égratignure.
Sur son plan de travail, un manuel ainsi que plusieurs fioles, pipettes et bocaux en verre lui faisaient face de manière ordonnée. Malgré son désir de les ignorer, Nery ne pouvait pas s'empêcher d'entendre les plaisanteries sur son physique et celui d'Akini. En tant que dynamiste, la jeune femme restait la plus petite de la salle, tous la surpassaient d'au moins une tête. Malheureusement pour eux, sa taille ne l'empêchait pas de leur être supérieur.
Après quelques secondes, dame Rose sortit la tête de son grimoire comme si elle venait de remarquer les élèves devant elle. Aussi divine que redoutable, la professeur Fyto vint passer une main sensuelle dans ses longs cheveux d'un brun éclatant. Comme les autres membres de son espèce, sa peau prenait selon la lumière une teinte plus ou moins verte. Toutefois, ce n'était pas le plus impressionnant. En effet, les fytos possédaient de grands yeux aux couleurs hypnotisantes. Comme son nom l'indiquait, le rose amoureux de ses iris ressemblait à une potion scintillante.
Dans ce nouveau monde, il existait des personnes capables de soustraire n'importe qui d'un simple regard. Dame Rose en faisait partie. En plus de sa beauté insoutenable, elle dégageait une aura si envoutante qu'elle en devenait dangereuse. Les vitraux de la salle se mirent à gronder lorsqu'elle réduisit son assemblée au silence. La blouse blanche qu'elle arborait épousait fièrement chaque partie séduisante de son corps.
Avec grâce, la femme vint s'asseoir élégamment sur l'avant de son bureau, puis elle passa l'une de ses jambes par-dessus l'autre. Comme prête à révéler tous les secrets du monde, ses lèvres rouges s'entrouvrirent un instant. Tel un vautour cherchant sa prochaine proie, elle scruta les différents visages de ses élèves avant de s'attarder une seconde de plus sur celui de Nery. L'air ennuyé, cette dernière haussa un sourcil en guise de salutation.
— Bien, s'élança-t-elle d'une voix claire, le cours d'aujourd'hui portera sur les poisons.
Un râlement intérieur secoua Nery qui n'avait qu'une seule envie, rentrer chez elle. À l'inverse des autres prostasias, elle n'était pas hypersensible. Ainsi, si pour ses camarades un reniflement ou un simple regard suffisait à identifier n'importe quelle substance, elle devait se baser sur la pratique et ses connaissances.
Alors que Dame Rose s'apprêtait à distribuer les poisons, la porte s'ouvrit violemment. Trop souriant et les joues rouges d'ivresse, le prince Hélios fit son entrée. Ses cheveux blonds comme le blé et ses yeux bruns suscitèrent diverses réactions. Tel des marionnettes, des poitrines se levèrent et des mèches se virent replacer.
L'atmosphère changea du tout au tout. Le prince était imprévisible, pire qu'une bombe à retardement. Personne ne pouvait prévoir ni ses humeurs ni ses prochains mouvements. Dans un silence écrasant, il s'avança tout joyeux vers la professeure qui, désintéressée, lui offrit une modeste révérence. Comme réponse, ce dernier lui baisa la main avec malice. Dame Rose soupira et l'invita d'un geste courtois et d'un sourire hypocrite non dissimulé à venir rejoindre sa place.
Fils du roi Basile et sous un autre angle bien d'autres choses, Hélios et Nery avaient grandi ensemble à cause de la proximité de leurs parents. Or, ce n'était pas le seul, à vrai dire, elle avait passé toute son enfance avec les mêmes personnes de cette classe. Durant ces folles années, ils s'étaient amusés à rendre sa vie insupportable à cause de son rang hiérarchique. Au fond, elle ne pouvait pas leur en vouloir, ils avaient tous été conditionnés pour penser ainsi. Par chance, ses camarades avaient cessé leurs petites fourberies le jour où sa vraie force s'était éveillée. La jeune femme était alors passée d'inférieure à potentiellement dangereuse.
Nery fut agréablement surprise de constater que les poissons d'aujourd'hui étaient tous transparents et inodores. Même si sa professeure ne doutait pas de ses capacités, elle prenait plaisir à faire disparaitre l'air supérieur de ses élèves. La femme était une fyto populaire sur Kardia. Anciennement directrice au grand laboratoire, elle avait, suite à un accident, dû abandonner ses recherches et poursuivre sa carrière en tant que professeure.
Malgré les trois scalpels qui lui avaient été jetés dessus « par accident », le cours s'était déroulé sans encombre. Les six poisons, après différentes manipulations, s'étaient facilement dévoilés. Étant la première à avoir terminé, Nery avait pu quitter ce cours en avance. De son côté, Jessamine, collé à Hélios qui lui s'apprêtait à passer à son sixième poison, lui avait gentiment offert l'un de ses commentaires hilarants.
« J'attends le jour où tu la tueras avec grande impatience. »
— Ne t'en fait pas, Akini, Jessamine ne sera bientôt que le cadet de nos soucis.
Satisfait, le Dynami se gratta le dos contre son épaule avant de se rendormir.
Un doux parfum flottait dans l'air comme un mélange de lierre et de cire brûlée. Le ciel restait toujours aussi sombre. Nery combla son manque de lumière par le souvenir du lever de soleil dans le village infesté. Un sourire presque nostalgique se dessina sur son visage.
À plusieurs heures de son prochain cours, elle décida de rejoindre la salle d'art qui, comme à son habitude, serait vide. Quelques couloirs endormis et escaliers condamnés plus tard, elle arriva enfin dans l'une des parties désertes de l'académie, celle où quelques salles de travaux manuels s'étaient vu transformer en réserve abandonnée. Plus personne ne s'y rendait, car l'art était devenu une activité de classe inférieure, selon quelques prostasias trop influent.
Par chance, ce retournement intellectuel lui avait permis d'acquérir une salle. Ainsi, dans sa grande bonté, Dame Rose qui lui devait un service avait volé l'unique clef pour la lui offrir, même si un bon coup de faux aurait suffi à faire tomber le verrou de la porte rongé par le lierre.
Dans cette aile, le temps semblait figé. L'architecture y était différente, plus chaleureuse, comme habitée par un esprit créatif. Des nuages de poussière et de pollen flottaient dans l'air, portés par les quelques éclaircis du ciel. Durant ces années d'abandon, la végétation avait eu le temps de prendre le dessus : ainsi, les plantes sauvages avaient germé, donnant vie à de petites fleurs violettes aux odeurs douceâtres. Enfin, à l'abri de tous ces collimateurs, la jeune femme se sentit libérée d'une certaine pression.
Nery sortit l'élégante clé dorée de son cartable et l'inséra dans la serrure, mais elle ne rencontra aucune résistance. Instantanément, ses yeux s'assombrirent de méfiance. D'un bref coup d'œil, elle vérifia Akini qui apparemment ne sentait aucune menace. Tout de même, sur ses gardes, elle fit pivoter la poignée et entra. L'odeur lointaine de tabac qui lui imprégna les narines la fit reprendre son calme. Rassurée, elle s'aventura dans la salle d'art en prenant bien soin de fermer à clefs derrière elle.
Des tableaux s'accumulaient aux quatre coins de la pièce, tandis que des toiles de poussières s'accumulaient entre les plafonds et les socles. Habillant les murs, les chaises et toutes autres parties non désirées, des restes de peinture ternis par le temps subsistaient. C'était comme si une vie entière avait été vécue entre ces murs et avait pris soudainement fin. Nery appréciait le calme de cette salle plus que n'importe quelle autre partie de l'académie, mais aujourd'hui, ce qu'elle préférait, c'était la présence de son camarade.
Sur le banc de la véranda dont les vitraux du dernier étage offraient une magnifique vue sur Kardia, Felix observait le vide, une cigarette fumante coincée entre les doigts. En bataille, ses longues ondulations noires lui caressaient la nuque. Ainsi, même de dos, elle pouvait remarquer les mèches rebelles qui lui tombaient sur les yeux.
Malgré son désir de discrétion, un tube de peinture qui trainait sur le sol rendit bruyamment son dernier souffle sous le talon pointu de Nery. Comme sorti de sa rêverie, le jeune homme se retourna, un sourire en coin. Les bras croisés et un sourcil arqué, elle avança lentement vers le banc pour se joindre à lui.
Derrière les volutes de fumée qui s'échappaient de ses doigts, son regard de chasseur, aussi vert qu'une forêt de sapin, semblait ouvertement la défier. Il n'avait rien à faire ni dans cette salle ni dans cette ville. Avec une pointe de désapprobation, Nery resta un instant focalisé sur ses habituels cernes profondes avant de l'interroger.
– Tu sais ce que je pense de ta présence ici.
Sans joie particulière, Félix expira bruyamment avant de tapoter sa cigarette d'un doigt fin et agile. Avec une grande attention, il observa ensuite la cendre tomber sur un pan de sa cape.
– Tu as fait exploser un village ce matin. Je voulais juste savoir comment tu te sentais.
L'odeur de son mensonge demeurait encore plus désagréable que celle du tabac. Le cœur serré, Nery remarqua qu'il portait encore son ancien uniforme devenu trop petit pour son imposante carrure. Cela n'aurait sans doute pas posé de problème s'il s'agissait juste d'une question de camouflage. Ça ne l'était pas.
— Cesse donc de me regarder comme ça, râla- t-il, tu me donnes des frissons.
En l'absence de réaction de sa part, Félix gloussa avant de déclarer davantage pour lui-même que pour elle.
– Je vais bien.
Peu convaincu, Nery le dévisagea un dernier instant avant de lever les mains en signe d'abandon.
— Bien, faisons comme si de rien n'était. Comment as-tu su que je viendrais ici ?
Le jeune homme frotta l'arête de son nez parfaitement droit avant de reconsidérer l'endroit. Un sourire joueur aux lèvres, il haussa les épaules pour l'inviter à deviner.
– Laisse-moi réfléchir ? Bellatrix ?
— Et bien, si c'est ça que tu appelles réfléchir, je devrais sans doute reconsidérer notre lien... plaisanta-t-il dans un nuage de fumée.
Felix contempla la salle d'un œil nostalgique, son sourire s'effaçant à mesure qu'il s'attardait sur certains objets. Il coinça une main dans ses cheveux bruns avant de déclarer calmement entre deux inspirations.
— Je venais ici, moi aussi, avant.
Il marqua une pause pour observer la réaction de son interlocutrice qui semblait vraiment étonnée. Cela ne résultait donc que d'une coïncidence. D'un geste rapide, il tira sur sa manche afin de cacher les marques que ses poignées laissaient apercevoir, puis il continua d'un air amusé.
– À l'époque, c'était plus animé. Un vieux fyto appelé sir Jaques enseignait l'art des couleurs et des messages que permettait de transmettre l'art. À chaque cours, il ramenait des plantes de ses terres et nous faisait fabriquer nos propres pigments. Ce professeur était impossible à comprendre, il finissait toujours par se perdre dans ses pensées et nous oublier, mais il restait talentueux. Je pense que tu l'aurais apprécié. Tes œuvres me font souvent penser à lui d'ailleurs. Moi, cependant, j'étais vraiment nul. Même avec tous les efforts du nouveau monde, je n'aurais pu fournir quelque chose de signifiant.
Bouche bée, après trois ans passés au côté de ces vestiges, elle avait abandonné l'espoir d'en connaitre un jour l'histoire. Imaginer Félix assis à peindre ressemblait à ce genre de rêve improbable.
— Tu es au bon endroit alors, les Kardesiens se fichent du signifiant, ils veulent juste quelque chose qui les rende plus beaux.
— Ça ne l'était pas non plus, attends, tu sais quoi, je vais te montrer.
Felix se leva d'un bond et courut chercher quelque chose au fond de la salle en bousculant sur son passage de vieux matériaux qui traînaient sur le sol. La cigarette coincée entre les lèvres, Nery l'entendit jurer lorsque son corps massif renversa une armée de chevalets. Après plusieurs tentatives infructueuses, il finit enfin par soulever la bonne toile. D'un air insatisfait, il l'examina avant de la montrer fièrement à son amie.
Nery, à la vue du tableau, fut soudainement transporté à une époque où l'oxygène devait manquer. Tant les éclats qu'elle s'efforçait de conserver devenaient incontrôlables elle dut détourner le regard et clore les paupières. Si elle se donnait du mal pour ne pas exploser de rire, Akini que l'immondice avait réveillé de ses songes venait de tout gâcher. Secouée par une sorte de démence, la créature tomba de son épaule et se tordit hilare. Son rire, semblable à des craquements d'os, rendit la scène davantage insurmontable.
Une pomme de terre brune devait visiblement avoir subi les méfaits de la moisissure compte tenu des cercles verts qui la décoraient. En parallèle, une courgette écrasée et de petits pois en liberté semblaient vouloir fusionner. Toutes ces couleurs placées aléatoirement donnaient l'air de crier famine.
— Je t'en prie, Felix, déclara Nery sans être encore parvenue à reprendre son calme. Si tu as un tant soit peu de respect envers ton Sir Jacques, ne retouche plus jamais de ta vie aux natures mortes.
Felix fronça les sourcils, perplexe, avant de vérifier de nouveau son œuvre (si on pouvait l'appeler comme ça) avant de dévisager son amie comme si elle venait de sortir la plus étrange des absurdités.
– Nery, enfin n'exagère pas, on distingue tout de même qu'il s'agit d'un portrait.
Comme si le temps venait de s'être arrêté, la jeune femme et son dynami se turent puis se jetèrent un regard embarrassé avant de repartir de plus belle dans leur hilarité, accompagnées cette fois de Felix qui avait abandonné la défense de son tableau. Une douleur abdominale commença à la faire souffrir.
— Je t'avais bien dit que j'étais nul, lui rappela Félix en jetant sa toile dans la corbeille la plus proche.
— Ne t'en fais pas, je suis certaine que ta passion pour la cuisine est née ce jour-ci.
Après avoir repris leur calme, les deux jeunes gens rediscutèrent de faits divers pendant des heures, mais ils furent vite interrompus par la sonnerie sinistre. Nery senti son sang ne faire qu'un tour, elle ne voulait pas quitter Félix, et encore moins le laisser seul dans cette académie. Mal à l'aise, elle expira bruyamment.
— Le devoir t'appelle, on dirait.
Sa plaisanterie ne parut pas l'amuser.
- Je peux rester...
— Et perdre des points sur le classement ? Je te pensais plus intelligente que ça.
Un instant. Nery resta figé, même si elle détenait suffisamment de points pour s'absenter une semaine et rester première, elle sentait un autre besoin chez le jeune homme. Ainsi, sans grande conviction, elle se releva et épousseta le devant de sa jupe.
— Comptes-tu partir au moins ? Lui demanda-t-elle en reposant Akini sur ses épaules.
– Pas tout de suite, j'aimerais rester encore un peu. Sans lui jeter un regard, il sortit son étui métallique et en tira une nouvelle cigarette.
— Bien, n'oublie pas, si on te repère je serais obligé de te tuer.
Le jeune homme acquiesça, sachant pertinemment qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie puis elle repartit sur ces mots.
Suivi de près par un mépris indésirable, elle se dirigea vers son prochain cours le visage froncé. Si Nery détestait voir Félix sur Kardia, ce demeurait seulement parce qu'il en avait été banni il y a plusieurs années. En effet, après avoir été accusé de meurtre en série, le roi lui avait retiré son titre de noblesse et interdit la ville cœur. Il n'existait sur Kardia aucune pire sentence pour un individu de la hiérarchie. Toutefois, fallait-il encore qu'il soit coupable.
Après sa longue après-midi de travail habituel, une diligence aussi élégante que les carrosses royaux vint la chercher à l'entrée de l'académie. Unique moyen de locomotion kardésien, elle roulait grâce à l'énergie solaire captée par une pierre de la maison Diamond&Chrysos.
Au cœur de Kardia, s'élevait le palais royal, plus haut et majestueux que n'importe quel point du continent. Le manoir de Nery se situait dans la résidence des Exelixis, juste à ses pieds. Lorsqu'elle arriva, le cocher vint lui ouvrir la portière et l'aida à descendre poliment. Face au grand portail doré, une brise agitée vint lui soulever les cheveux. Machinalement, l'un des gardes quitta l'entrée pour la laisser entrer. Les grandes portes en or s'ouvrirent alors, laissant libre accès à une étendue de luxure et d'orgueil.
Comme souvent, elle se fit bousculer par Jessamine et ses trois amis, tous enfants d'Exelixis et proches du prince. Ils ne lui jetèrent même pas un regard, trop absorbés par leur conversation. Nery se demandait souvent si, Prostasia, elle serait à leurs côtés. Le profond dégoût qui l'envahi soudain la poussa à abandonner cette idée.
Malgré le dicton, l'herbe ne poussait jamais plus verte que dans les jardins du Palais. En son sein, la résidence possédait une beauté incomparable. Entretenu par une poignée des meilleurs Fytos, chaque plante et chaque chemin semblait si mirifique que s'en était scandaleux.
De son côté, un palais exagérément immense régnait sur le continent. Ses hautes colonnes en marbre doré scintillaient aux côtés des cascades aériennes miroitantes. Ainsi, les interminables tours, aussi pointues qu'élégantes, faisaient de l'ombre au soleil et striaient les cieux. Il restait le genre de bâtisse construit dans l'unique but d'être exhibé. Nery s'y était déjà rendu à de nombreuses reprises lors de réceptions ou pour rendre visite à ses parents. Si l'intérieur demeurait tout aussi somptueux, les personnes qui s'y trouvaient l'étaient beaucoup moins.
Lorsqu'ils ne s'adonnaient pas à des orgies démesurées, les Exelixis et le Roi profitaient des jouissances que leur position leur accordait. Quelques fois, ils s'accordaient sur une nouvelle loi qui, la plupart du temps, ne servait qu'à rappeler aux habitants leur supériorité.
Nery n'en voulait pas aux Exelixis d'être inutiles, bien au contraire, c'était grâce à leur insouciance qu'elle était parvenue à acquérir autant de pouvoir.
Une multitude de fontaines et de jardins plus tard, elle arriva enfin devant l'immense manoir de ses parents, cadeau du roi. Jalouser de tous les autres habitants de la résidence. Il n'était qu'un présent pour rappeler qui détenait véritablement ses faveurs. Semblable aux temples divins des vieux livres, Nery en traversa le perron fleurissant. Alors qu'elle s'apprêtait à faire tourner la poignée brillante, une aura puissante vint lui glacer le sang. Les genoux tremblants et les cils papillonnant, elle dut reprendre plusieurs fois son souffle avant de faire un pas de plus.
Décidément, cette journée était pleine de rebondissements ou plutôt de chutes brutales.
Illuminé par l'unique rayon de soleil de la ville. Son père était présent, en plein milieu de l'entrée. Apparente, sa peau bronze naturellement éclatante et sa carrure titanesque n'étaient recouvertes que par un simple peignoir de soie rouge. À vrai dire, il semblait sortir tout droit d'un ébat. Comme si elles étaient responsables de tous ses malheurs, l'exelixi consultait avec attention une liasse de lettres. Enfin, les sourcils froncés, il passa une main ferme sur son visage sans défaut.
Écrasé sous cette pression douloureuse qu'il dégageait, Nery ne put s'empêcher d'être rassuré, ce n'était pas « elle ». Un instant, la jeune femme songea à s'éclipser. Malheureusement, elle n'en détenait pas le droit. Face à lui, elle devait rester jusqu'à ce qu'il lui donne la permission de partir. Quand bien même, elle tenta un mouvement de pieds trop insignifiant pour être appelé un pas avant de le regretter aussitôt. Comme si elle n'était qu'un caillou indésirable sur son passage, il lui jeta un regard en biais aussi froid qu'une tempête de neige.
Comme à chaque fois où il détenait quelque chose à lui annoncer, Nery commença à s'imaginer le pire. Et si elle avait été démasquée... ou bien si quelqu'un l'avait aperçue avec Félix... Ses ruminements furent de courte durée, car il ne tarda pas à s'approcher d'elle. Mesurant plus de deux fois sa taille, son odeur pénétrante s'immisça dans ses narines. Les lèvres recourbées par le dégoût, il la dévisagea trop longtemps, les yeux emplit de honte et d'aversion.
Nery dut se déboiter le cou pour lui faire face, malgré la douleur que lui procurait son aura. Elle garda un air impassible, mais non sans défi. Les traits harmonieux, sans la moindre trace de vieillesse, du visage de l'exelixi n'avaient rien à voir avec ceux de sa fille d'une beauté bien différente, physiquement, aucun point apparent n'aurait pu les lier. Avec mépris, l'homme lui jeta une enveloppe qu'elle rattrapa aussitôt, avant de partir vers son bureau en un coup de vent. Voici à quoi ressemblait un exelixi puissant et un géniteur déshonoré par sa progéniture.
Comme si elle s'était arrêtée de respirer tout au long, Nery sentit l'air pénétrer de nouveau ses poumons. Malgré les habitations qui leur étaient accordées, les exelixis ne séjournaient qu'au palais, ainsi, cela faisait plusieurs mois qu'elle n'avait pas vu l'un de ses parents. Le cœur encore excité, elle porta enfin son attention sur l'enveloppe. C'était l'invitation pour le bal de la remise de diplôme qui se tiendrait dans un mois. Nery ne cacha pas sa déception. Elle s'attendait à quelque chose de plus intéressant. De plus, elle savait déjà comment s'était supposé se dérouler.
Comme cette année, le prince serait diplômé, le nombre d'invités doublerait. Les Exelixis seraient présents ainsi que les hauts parents des enfants de la noblesse. On s'y pavanerait pendant une bonne heure, puis le roi se chargerait personnellement de remettre leur diplôme aux élèves. Enfin, on annoncerait les deux étudiants ayant obtenu les meilleurs résultats et Nery ne serait jamais appelé. À sa place, on désignerait Jessamine et le prince.
Bien entendu, ça ne restait qu'une supposition.

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant