Chapitre 7

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Nery qui avait somnolé une bonne partie du cours se sentit revivre lorsqu'elle entendit la sonnerie retentir. À vrai dire, elle avait commencé à soupçonner le temps de faire ralentir l'horloge pour qu'elle reste enfermée toute sa vie dans cette maudite salle. Elle en était même venue jalouser Akini de ne pas avoir à supporter la voix cristalline de Jessamine tout le long du cours. Cette dernière n'avait pas cessé de lâcher une multitude de commentaires aussi inutiles que le cours de Sir Maverick.
Helios qui ne l'écoutait que d'une oreille semblait, lui, attentif aux paroles de son professeur. Le jeune homme était comme ça après tout, faussement intéressé par tout ce qui l'entourait pour mieux séduire la foule. Hypocrite, songea la jeune femme.

À côté du carnage de son cours, même celui d'étiquette hiérarchique semblait plus intéressant. Bien que lorsque les mots « dynamiste » et « inférieur à » se retrouvaient dans la même phrase, elle devenait la cible des regards mesquins. Le cours amusait la jeune femme qui trouvait divertissant de voir dame Maggie se persuader des choses ridicules qu'elle brassait. Par ailleurs, face aux bals de la saison qui approchaient, cela permettait à la dynamiste de recueillir un certain nombre d'informations supposées anodines. De ce fait, même si son éducation comblait largement les attentes qu'un bal royal exigeait, avec les opérations qui s'y dérouleraient, elle préférait prendre toutes ses dispositions.
Tandis qu'elle notait quelques détails majeurs, dame Maggie, qui d'habitude la négligeait, eut soudainement envie d'humilier la jeune femme.
— Prenons l'étude de cas suivante, si par inadvertance une fyto vous bousculait et renversait dans la secousse votre verre d'elixir rouge, puis qu'elle se mettait soudainement à vous reprocher de l'avoir taché par la même occasion que feriez-vous ? Demandons à Isadora d'y répondre et à laissez-moi voir... La femme balaya la salle du regard à la recherche de sa proie. Un sourire en coin vint tordre ses lèvres charnues quand elle désigna Nery à la non-surprise de tous.
Lassée par son manque d'imagination, la jeune femme souffla intérieurement avant de se redresser avec lenteur. Pour commencer, elle ne voyait même pas l'intérêt de cette question. D'ailleurs, elle n'avait jamais compris pourquoi les prostasia étaient hiérarchiquement supérieurs aux fytos, étant donné que ces derniers contrôlaient la nature elle-même. Il était évident qu'ils auraient dû être supérieurs, Nery soupira, le regard perdu dans le vide, car le jour où quelque chose aurait du sens à Patoma, elle serait en première loge pour le constater.
La douce Isadora commença à prendre la parole, et Nery sentit les dernières miettes de sa logique s'envoler.
— Je suppose que la manière la plus élégante pour répondre à cet affront serait dans un premier temps de lui laisser une chance de se reprendre. J'imagine que si elle était dotée de bon sens, elle verait qu'à mon aura elle ne devrait pas plus se ridiculiser. Ensuite, elle se proposerait d'invoquer une plante absorbante comme une fougère pour nettoyer discrètement la tâche qu'elle aurait laissée sur ma propre robe. À l'inverse, si elle décidait de se montrer plus retissante, j'imagine que je la menacerais de lui ôter la vie jusqu'à ce qu'elle me supplie à genoux de l'épargner, ce qui selon l'ampleur de la tâche serait à méditer.
Tous les étudiants étaient restés suspendus à ses lèvres, buvant à pleine gorge la moindre parole que sa voix délicate était en mesure de prononcer. Isadora empestait le cliché à plein nez, fille d'un exelixi, elle faisait penser à une fleur toute droit sortie de son bourgeon si délicate et emplie de finesse.
Ses longs cheveux châtain parfaitement lisses et soyeux se voyaient retenus par un ruban blanc virevoltant au contact de l'air. Ses grands yeux bruns sublimés par une rangée de longs cils détenaient le don de charmer son entourage. En prime, elle possédait un petit nez maculé d'une pluie de taches de rousseur.
Il n'était pas dur de deviner son complexe de biche, forte et agile, elle brillait par sa délicatesse. Mais bon sang, quelle garce elle restait. Nery l'avait déjà vu brûler vif des domestiques par pur divertissement ou encore s'amuser à tour de rôle avec ses amis cinglés à découper une jeune dynamiste. Comme le reste du mirage kardésien, Isadora demeurait tout aussi pourrie jusqu'à la moelle que les autres nobles et sa beauté que tout le monde possédait ici n'y changerait rien.
Pourtant, dame Maggie la félicita, sous le charme, avant de se retourner vers Nery avec un sourcil arqué qui semblait dire « essaye un peu de faire mieux ». Avec cet exercice, elle imaginait sans doute rappeler l'écart qui séparait Nery de sa camarade. Elle voulait montrer que même face à une simple fyto, elle devait se soumettre. Nery savait bien évidemment ce qu'elle devait répondre, mais son sarcasme et son aversion pour la matière lui hurlait de dire le contraire. Malheureusement, comme Nery restait une gentille fille, elle ne voulait pas faire de tort à ses désirs.
- Je suppose que je lui demanderais gentiment une fougère avant de la pardonner.
— La pardonner ? Mais qui penses-tu être, jeune fille ? Comme elle l'avait initialement prévu, elle gratifia son élève d'une série de remarques. Ce n'est pas parce que tu es la fille d'Exelixi que tout t'est permis. La femme devant toi est une fyto, recommence sans oublier ton rang, je te prie.
Justement si...
– Dans ce cas, je lui trancherai la tête.
Les rirent moqueurs, s'interrompirent brusquement, puis ils toisèrent Nery et considérèrent ce qu'elle venait de dire comme la pire des insanités possibles. Leurs visages décontenancés lui procurèrent un plaisir si intense qu'une courbe amusée vint se dessiner sur ses lèvres rose.
— Pourrais-je savoir pour quelle raison farfelue feriez-vous cela, s'offusqua dame Maggie, ses sourcils pointus étaient si arqués qu'ils auraient pu fendre l'air.
— Parce que vous l'avez dit vous-même, je suis la fille de deux Exelixis.
Sauf si ses deux parents en décidaient autrement, Nery était intouchable. Les étudiants et les professeurs pourraient bien l'en persuader du contraire autant qu'ils le voudraient, cela n'y changerait jamais rien. Bien que les positions sociales ne lui plaisaient pas, Nery se régalait toujours de pouvoir utiliser la sienne contre ceux qui se sentaient avides de la leur.
La professeure, essayant de garder contenance comme elle le pouvait, lui cracha au visage un sourire satisfait.
- Très bien, et si c'était le prince, à la place de la fyto, que feriez-vous ?
Une ouverture...
Sans le savoir, cette idiote venait de lui permettre de vérifier un paramètre qu'elle ignorait depuis leur première heure de cours.
La jeune femme jeta un bref regard curieux à l'intéressé, qui lui aussi semblait enchanté de pouvoir communiquer indirectement avec elle.
— Dame Maggie, commença-t-elle sur un ton posé, mais non sans défi. Un bref instant, j'eus l'impression que vous accusiez le prince, devant lui qui plus est, d'être trop lent pour ne pas être en mesure d'esquiver ma maladresse. Et puis, à un bal organisé par le palais, de l'elixir rouge ? N'y avez-vous donc jamais mis les pieds ?
Le visage de la concernée se décomposa avant qu'elle ne se tourne vers le prince. Mal à l'aise, elle essaya de se rattraper, mais aucun son ne sortit de sa bouche trop ouverte.
- Tenteriez-vous de ridiculiser votre prince ? Reprit Hélios avec un profond sérieux.
Les autres étudiants interdits mais divertis n'attendaient qu'ouvertement la réponse de dame Maggie qui se sentit soudain toute petite face à lui.
— Je, non, bien sur que non... tenta-t-elle de se rattraper. Ce n'est qu'une étude de cas après tout. Je ne pensais pas...
- Ne vous enfoncez pas plus, professeure, ordonna le prince faussement concerné.
Si Nery s'amusait intérieurement de la situation, Jessamine, plus figé que dame Maggie, fixait Nery avec une intensité glaciale. Comme si le plus gros secret du Nouveau Monde venait d'éclater devant ses yeux, elle se mit à devenir livide. Après plusieurs secondes, son regard se tourna vers Hélios.
Telle un sauveur, l'orgue retentit de nouveau, laissant une dame Maggie enfouie sous une maladresse dont elle était la seule responsable. En furie, Nery fut l'une des premières à quitter la salle. En passant devant le bureau, elle adressa un sourire satisfait à sa professeure.
La jeune femme ne prit même pas la peine d'observer sa réaction.
« Tu sais, remarqua Akini, je suis pratiquement sûr que tu contribue à rendre les cours plus attrayants. »
— C'est drôle, lui répondit-elle amusée, je me disais justement la même chose.
Les deux monstres se rendirent en salle d'art, réjouis par la tournure qu'avait prise la situation.
Comme à son habitude, enfin avant que Félix ne lui rende visite, la salle d'art était abandonnée et calme. L'odeur de peinture séchée flottait dans l'air comme un arrière-gout indescriptible. Nery ne perdit pas de temps et sortit une toile vierge ainsi que les petites fioles qu'elle avait cachées dans sa veste. Il s'était révélé par pur hasard que le sang d'anomalie constituait une superbe aquarelle, alors Nery en conservait à certains intervalles pour en obtenir de différentes teintes et textures. Machinalement, la jeune femme vint récupérer un bocal délaissé avant de le remplir d'une eau qui ne restait claire qu'un bref instant. Enfin, elle retira sa veste et vint se placer face à son chevalet.
À mesure que le sang venait obscurcir l'étendue blanche, les fioles se vidaient et le temps s'écoulait. La salle était plongée dans un calme paisible que seuls les grattements du pinceau contre la toile perturbaient. Akini avait pris l'habitude lors des séances improvisées de Nery de se placer sur ses genoux afin de lui laisser une plus grande liberté de mouvement. Nery aimait l'art, c'était même l'un de ses plus grands talents. Elle avait l'impression de transmettre une partie de son être dans ses tableaux comme si quelque chose lui pompait son essence puis la transfusait sur le support.
L'art ne jugeait pas, au contraire, il se contentait juste d'exhiber le meilleur de ceux qui l'utilisaient. Une image de Félix et de ses pommes de terre écrasées lui revint soudainement à l'esprit, puis, soudainement, elle refoula sa théorie.
Quand elle eut terminé, elle contempla son œuvre avec fierté. Encore une fois, des papillons ensanglantés comme pris au piège dans leur envol. Rapidement, elle s'empressa de transporter la toile dans un coin parmi d'autres tableaux et sculptures. Nery préférait prendre ses précautions, car même si plus personne ne s'aventurait dans cette salle, le symbole de l'organisation exposé comme tel pourrait paraitre suspect. Après avoir remis sa veste et Akini sur son épaule, elle se dirigea vers les jardins, là où son cours de connexion aurait lieu.
Entretenus par les classes fytos, les jardins harmonieux de l'académie se voyaient agencés de manière à former des allées perpendiculaires entre elles. Des multitudes d'arbustes et de fleurs éclairés par le soleil à son zénith rependaient des parfums aromatiques, tandis que quelques hautes fontaines de pierre faisaient jaillir de magnifiques jets d'eau miroitant. Un peu plus loin, un imposant kiosque réservé aux cérémonies trônait sur une colline.
En outre de la fusion d'âmes, le nouveau monde avait développé chez les êtres humains la capacité d'établir une certaine connexion avec la nature. Noble ou non, il subsistait possible pour tous les habitants du continent de l'exercer.
Par conséquent, les cours de connexion se déroulaient au lac, car ce demeurait l'endroit où les ressources naturelles y étaient les plus abondantes.
Semblable à une plume tourbillonnante au gré du vent, dame Daphné fit son entrée. Si ses longs cheveux roux et bouclés la rendaient facilement reconnaissable, la lumière douceâtre de son aura la distinguait particulièrement des autres. En effet, la professeure semblait dépourvue de toute trace de malhonnêteté. Chacun de ses mouvements, plus gracieux et léger que le précédent, lui donnait un air pur inhabituel sur Kardia.
Par ailleurs, elle demeurait la deuxième meilleure connexionniste du continent, apprendre d'elle demeurait donc un véritable honneur.
Lorsque Nery vint rejoindre ses camarades déjà au complet, elle commença son discours habituel d'une voix douce et pose.
– Vous connaissez l'importance que jouent les éléments dans vos vies. Présent à chaque instant à vos côtés, ils vous conseillent, vous protègent et vous guident dans vos choix. C'est pour cela qu'il est primordial de savoir leur exprimer votre gratitude avant d'entrer en connexion avec eux.
Sa personnification des éléments lui rappelait celle d'Augustus. Son mentor lui avait toujours rabattu les oreilles avec l'importance qu'avaient les éléments, ils les qualifiaient même parfois de divinités élémentaires. Sur Kardia, la connexion était assez mal vue puisqu'elle visait à louer d'autres êtres supérieurs que le roi lui-même. Ainsi, les croyances du vieil homme ne demeuraient pas tolérées dans une ville où la seule force suprême demeurait celle du Roi.
Afin de commencer le cours, dame Daphné se mit à effectuer une prière si intense qu'elle parut puiser dans le cœur de la terre avant de s'élever vers l'océan céruléen qu'était le ciel. Avec frénésie, l'herbe émeraude se mit alors à frissonner tandis que l'eau limpide du lac s'écrasait contre ses bordures de pierre. Des rayons chaleureux descendirent alors des cieux pour leurs embrasser les joues. Après toutes ces années, Nery paraissait toujours aussi impressionné par l'accueil des éléments.
Le lien à présent établi, la connexiste invita son auditoire à la suivre, puis, selon ses ordres, ils vinrent tous se placer autour de l'étendue aquatique. Nery eut l'immense chance de se retrouver en face de Jessamine qui, à l'autre bout de sa partie du lac, la fusillait du regard. À en juger par l'animosité particulière qui émanait de sa personne, quelque chose devait la tracasser.
Dame Daphné, dans toute sa splendeur, vint poser ses pieds nus à la surface de l'eau et commença à s'y déplacer tout en formant de petites ondulations sur son passage.
Elle ressemblait, dans sa robe blanche aérienne, à une créature mystique. Semblable aux nymphes des livres de contes, marchant sur l'eau comme si elle se mouvait dans une atmosphère inconnue. Captivant tous les regards, aspirant toute l'attention, elle retenait les souffles comme si à n'importe quel moment elle aurait pu céder à l'emprise de la connexion et couler aux fonds du lac.
— Aujourd'hui, écoutez-moi bien, j'aimerais que vous arriviez à demander à l'esprit de l'eau de materialiser l'une de vos pensées. Cela peut être n'importe laquelle, mais je vous conseille de ne pas choisir quelque chose de trop compliqué pour commencer. Ensuite, demandez à celui de l'air de la faire s'envoler. Pour ce faire, je vous prie de bien vouloir insérer vos mains dans le lac et de vous en remettre aux éléments.
Nery jeta un regard furtif à Hélios, assis à quelques mètres de Jessamine. La grimace qu'il affichait trahissait ouvertement son aversion pour les fluides. Le prince détestait l'eau plus que tout, à chaque pluie, il était le premier à s'abriter et toujours le dernier à se baigner. Il n'avait jamais subi de traumatisme dû au liquide, donc cela devait venir de sa deuxième âme de félin.
Établir une connexion avec l'essence des éléments n'avait rien à voir avec le pouvoir qu'exerçaient les fytos. Alors que ce dernier résultait d'une soumission et d'un contrôle total de la végétation, les éléments, à l'inverse, détenaient leur propre volonté. Décidant eux-mêmes d'accepter ou non la requête de leur invocateur, ils détenaient chacun une conscience propre. Pour pouvoir espérer recevoir l'aide de l'un d'entre eux, il fallait avant tout respecter plusieurs conditions :
Premièrement, cela nécessitait de s'abandonner à soi-même. Il fallait savoir écouter au-delà de ce qui était audible afin de s'offrir pleinement aux murmures camouflés de la nature. De cette manière, Nery plongea ses mains agiles dans l'eau fraîche et laissa un frisson l'emporter.
Deuxièmement, il fallait faire preuve d'honnêteté la plus entière envers soi-même. Les éléments étant des consciences pures, tous les mensonges ou demi-vérités qui voilaient l'esprit et le reflet d'un invocateur empêchaient les liens de se former. Pour les nobles, ce demeurait sans doute la plus difficile des conditions, puisqu'ils aimaient se couvrir de surestime et d'illusions les concernant.
Au fil des années, malgré les commentaires incessants sur sa valeur, son existence et bien d'autres paramètres, Nery était parvenu à accepter sa véritable nature. Elle savait ce qu'elle valait réellement, même si certains points restaient encore troubles.
Pour finir, il fallait tout bonnement faire preuve d'ouverture d'esprit et de foi. Les éléments fougueux et mouvementés ne voyaient aucun intérêt ni amusement à s'offrir à un être clos d'esprit qui ne chercherait qu'à se servir d'eux, sans la moindre conviction.
De cette manière, tous les étudiants, y compris Helios qui prenait sur lui, plongèrent leurs mains dans le lac. Si durant plusieurs minutes, elle songea à la meilleure chose à invoquer, le rire victorieux d'un de ses camarades l'interrompit.
L'héritier de la maison Luminescence, Jeremya, un jeune homme simple, réussit l'exploit le premier. Sous les regards ébahis, il matérialisa une reproduction simplifiée du kioske des jardins. La forme s'étira comme de la gelée rebondissante avant de se détacher de la surface du lac. Un sourire calme et humble aux lèvres, le kiosque s'envola et pivota sur lui-même comme s'il s'exhibait avant de venir rejoindre le lac dans un souffle.
— Felicitations ! S'exclama dame Daphné enchantée. N'oublie pas de remercier les éléments de t'avoir aidé.
Il n'eut pas le temps de lui répondre, car Victoria, fille du général à la tête de l'armée royale, fit à son tour émerger de la surface une épée aqueuse qui se retourna avant de fendre les eaux du lac. La jeune femme vint essuyer d'un revers de la main les quelques gouttes qui avaient éclaboussé sa peau cuivrée et ses cheveux frisés.
De nouveau, la professeure se mit à applaudir avant de se tourner vers une autre élève. Après qu'elle eut terminé, ce fut étonnement Jessamine qui s'élança.
Selon la deuxième condition, un être pouvait bien représenter ce qu'il y avait de pire au monde. Tant qu'il était honnête avec lui-même et qu'il acceptait sa condition, tout lien restait possible.
Les yeux clos, elle resta concentrée un instant, sous les yeux attentifs de ses camarades, avant de faire sortir du lac une créature semblable à sa deuxième âme de louve. Aussi enragée que sa créatrice et probablement de taille réelle, elle se mit à bondir de gauche à droite avant de foncer tout droit vers Nery.
Sincèrement impressionné par la force de sa volonté, cette dernière ne cilla point. Ainsi, tandis que sous les regards excités à l'idée que la louve puisse lui rentrer dedans, la dynamiste fit de son mieux pour ne rien laisser paraître de son admiration. Chaque détails de la créature, son long museaux, ses oreilles pointues ou bien même ses yeux perçants trahissait une documentation précise. En d'autres termes, Jessamine avait sans doute dû tellement étudier son prostasi que celui-ci semblait plus vrai que nature. Jamais plus elle n'aurait l'occasion d'en voir un si réel. Pour cette raison, qu'il l'éclabousse ou non, Nery, reconnaissante pour ce spectacle, ne ferait rien pour l'esquiver.
Si dame Daphné en panique s'apprêta à l'interrompre, ce fut inutile puisque l'animal replongea, juste devant elle, aussi rapidement qu'une flèche, ce qui éclaboussa tout de même la jeune femme. Apparemment, ce ne devait pas être son intention de base vu la déception qui trônait sur le visage de Jessamine.
D'un air détaché et sous les gloussements amusés de ses camarades, Nery passa une main dans ses cheveux humides avant de dégager son champ de vision. Le sourire aux lèvres, elle se mit alors à pester intérieurement. Bien que le spectacle fût impressionnant, Nery ne pouvait pas laisser passer un tel affront.
La connexion comme chaque art pouvait s'exercer. De cette manière, plus on la pratiquait, plus on renforçait son lien avec les éléments. Sur Kardia, comme cela restait assez controversé, il était rare que les nobles prennent cette discipline au sérieux. Ainsi, il ne pouvait la majeure partie du temps faire plus que de jolies sculptures aqueuses. Par chance, Nery n'avait quasiment pas grandi sur Kardia. De ce fait, elle détenait à son actif plus de dix-huit ans d'entrainement.
Si une partie introvertie d'elle-même commençait à se lasser de se donner en spectacle à chaque cours, une autre plus théâtrale appréciait l'idée de marquer ainsi les esprits. Et puis, c'était inévitable, tous tournés dans sa direction, ses camarades n'attendaient qu'une riposte. Malgré les restrictions qu'elle s'imposait depuis plusieurs années, cette fois-ci, elle décida d'y mettre tout son cœur.
Akini s'endormit près de ses cuisses et se réveilla soudainement comme s'il avait flairé mets à son goût. À l'affut de son prochain mouvement, la présence du dynami inspira sa porteuse. Jessamine voulait donc un duel d'âme. Soit, imposé si gentiment, Nery ne pouvait qu'accepter.
Joyeusement, Nery replongea alors ses mains dans l'eau juste avant de s'interrompre.
- Dame Daphné, cela vous dérangerait-il de retourner sur la Terre ferme ?
Si la professeure, toujours au milieu du lac, craignait le pire, sa curiosité et son incapacité à aller à l'encontre des éléments la fit accepter de bon cœur. Sautillante, elle retourna donc à côté du lac.
À présent satisfaite, Nery se détendit les épaules avant de replonger ses mains dans l'eau froide. Avant de commencer, elle pria pour que toutes ces années d'entrainement ne furent pas vaines, sinon elle aurait l'air bien ridicule. Les paupières closes, elle commença alors par laisser une quantité d'air maximale entrer dans ses poumons.
Si la connexionniste avait insisté pour faire appel à l'esprit du vent et de l'eau, elle n'avait pas interdit celui du feu pour autant, tout comme elle n'avait pas précisé d'utiliser uniquement l'eau du lac. Seul face aux bribes que sifflotaient les éléments dans son esprit, Nery se mit en premier lieu à remplir les trois conditions.
Lorsqu'elle fut totalement abandonnée à leur puissance, la jeune femme assembla peu à peu ce qu'elle désirait construire avant de rouvrir les yeux. Amusés par son imagination, les principaux concernés semblaient avoir accepté sa proposition. Face à tous les regards impatients, elle se lança enfin.
Il faisait beau ce jour-là, suffisamment pour que les rayons du soleil projettent sur les jardins une lumière chaleureuse, mais pas assez pour que le ciel soit dépourvu de nuages. Ce fut donc par là qu'elle débuta. Comme des aimants attirés par un champ magnétique puissant, tous les nuages qui s'étendaient sur un rayon d'un kilomètre vinrent tous se réunir pour n'en former qu'un seul, vaste et sombre, au-dessus de leur tête.
Malgré les râlements désapprobateurs qui fusaient autour d'elle, Nery ne s'arrêta pas pour autant. Concentré sur sa prestation, une pluie se mit alors à tomber uniquement dans le lac, tandis que l'eau de ce dernier s'élevait vers les cieux. Lentement, mais surement, l'étendue aqueuse se vida, ne laissant qu'un gouffre de terre et une cascade colossale. Entre les nuages et la terre ferme, Nery fit alors, à l'aide des vents violents qui s'abattaient sur les étudiants, tourner l'étendue d'eau en suspens.
Les cheveux en furie, balayés par la bourrasque et le visage trempés par les gouttelettes qui jaillissaient violemment, le tonnerre se mit à gronder. Les mains vers le ciel, elle se mit alors à façonner la tornade pour lui donner une forme cylindrique. Plusieurs cris aux loin retentissaient. Toutefois, presque à son apogée, la monstrueuse étendue aqueuse prit enfin forme.
Au milieu des jardins de l'académie, se mouvait à présent un gigantesque Akini. Si sa taille prodigieuse en devenait presque effrayante, les courants qui se mouvaient à l'intérieur l'étaient d'autant plus. Afin de finir en beauté son petit tour, Nery le fit tournoyer tel une spirale infernale. Comme les autres étudiants immobiles à cause de la pression que dégageait le mastodonte, Jessamine tenta de se protéger avec son avant-bras lorsque le dernier prit de la hauteur et chargea en sa direction.
Si elle n'était pas aussi concentrée, Nery aurait sans doute explosé de rire. Le simple fait de voir un Akini titanesque danser dans les cieux et foncer vers ses camarades terrifiés lui procura le plaisir qu'elle avait recherché.
Satisfaite, à une dizaine de mètres de la prostasia, la créature s'arrêta, lui cracha au visage avant de plonger tête la première dans le lac. Tels des lames tranchantes, ses hurlements venaient fendre l'air tandis que le ciel s'éclaircissait de nouveau. De son côté, le soleil refit surface plus brillant que jamais, alors que le vent reprenait son calme. Comme s'il n'avait jamais quitté son lit, seuls quelques secousses animaient le lac de nouveau paisible.
Durant une longue minute, mis à part Jessamine qui se tordait de douleur, aucun étudiant autour du lac ne bougea. À l'inverse, penchés aux fenêtres, les étudiants de l'académie s'exclamaient dans tous les sens aux côtés de ceux en contrebas. Assez fière, Nery se releva avant d'épousseter l'arrière de sa jupe couverte d'herbe. Comme s'il avait tout mis en œuvre, Akini de son côté monta sur sa tête et se tordit pour mieux saluer son public. Quand elle s'en rendit compte, Nery s'empressa de le faire descendre et le posa sur son épaule, malgré le tonnerre d'applaudissements.
- Cesse donc de faire le pitre. Lui ordonna-t-elle discrètement.
Autour de Jessamine, les étudiants semblaient la dévisager tandis que la professeure aidait l'infirmière à se frayer un chemin.
« Regarde comme elle me vole la vedette ! Même un incompatible n'en ferait pas autant pour quelques gouttes d'eau. »
-Amusé par sa remarque, Nery leva les yeux au ciel d'un air faussement innocent.
- Tu sais, Akini, les éléments sont parfois imprévisibles. Il n'est donc pas impossible que ton alter géant lui ait craché de l'eau bouillante à la figure.

En s'attardant davantage sur le petit groupe, Nery fut surprise de n'y trouver Hélios. Après avoir rapidement sondé les environs, elle ne fut pas surprise de le retrouver accoudé à la balustrade du kiosque, en première loge du spectacle. À en juger par son uniforme parfaitement sec, il avait dû s'éclipser même avant qu'elle ne commence. Une partie d'elle fut satisfaite qu'il ait compris l'ampleur de sa riposte dès le départ.
Même si de là où elle se trouvait elle ne pouvait distinguer que sa silhouette, son aura bien trop scintillante trahissait une joie clandestine.
- Nous allons faire une courte pause pour que votre camarade... reprenne ses esprits. Entrainez-vous en attendant. Nerezzya, quant à toi, viens avec moi deux minutes, s'il te plait. La voix douce de dame Daphné ne traduisait pas une once de colère, au contraire, elle semblait encore émerveillée.
La professeure étudia un instant son élève, la tête penchée sur le côté, un sourire interrogateur aux lèvres, elle semblait chercher des réponses là où il n'y avait pas de questions.
— Et bien... je ne vois rarement ce genre de prouesse parmi mes élèves, la connexion que tu as établie avec les div-, enfin les éléments, je veux dire, était vraiment spectaculaire. Je...
— Alliez-vous dire Divinité ? La coupa Nery, surprise par le mot qu'elle avait employé, la femme la scruta à la fois sous le choc et agréablement surprise.
– Je suis très curieuse de savoir comment tu connais ce terme, jeune fille.
– Une personne très proche de mon entourage l'utilise souvent pour parler des éléments, déclara-t-elle en référence aux paroles d'Augustus.
— OH, vraiment ? Je serais sincèrement ravi de la rencontrer, s'émerveilla la professeure.
– Malheureusement, c'est impossible.
Dame Daphné parut sincèrement déçue et elle ne pouvait que la comprendre. Cela ne devait pas être facile d'apprendre que sans doute la seule personne de Patoma partageant la même croyance que vous n'était pas apte à vous rencontrer. Or, Nery devait garder l'anonymat de son mentor , quoi qu'il en coute.
— Cependant, vous pouvez lui écrire une lettre si cela vous tient à cœur, il sera ravi de vous lire. La rassura Nery.
— Oh, dans ce cas, j'y songerai, son visage paru s'illuminer encore plus qu'il ne l'était déjà.
– Au sujet de Jessamine... tenta Nery pour changer de sujet.
— Ne te fais pas de souci pour ça, même si je doute que tu t'en faces... Si les éléments ont décidé de t'aider, c'est qu'ils jugeaient bon de le faire. Je reste tout de même très impressionné par ta prestation.
- Comparé à ce que vous êtes en mesure de faire, mon tour n'était qu'un petit spectacle puérile.
En effet, s'il était courant de la voir voler dans les jardins de l'académie ou même de déplacer l'eau du lac pour en créer un nouveau, elle avait elle-même soulevé la terre sous le palais pour le rendre plus grand. Ainsi, même si elle devait avoir plusieurs siècles, les services que dame Daphné rendait à Kardia n'étaient point comparables.
– Tout de même, il est bon de féliciter ce qui mérite de l'être, répondit l'enseignante avec un sourire tendre. Oh, juste une dernière chose, serait-ce mon imagination ou ton dynami rit depuis tout à l'heure ?
— Oh, euh, non, il s'étouffe juste, ça lui arrive parfois à cause de son poids.
Nery le maudit intérieurement pour son manque de coopération.
- Je vois... Commenta-elle peu convaincue.
Lorsqu'elles revinrent à proximité du reste de la classe, Nery se fit fusiller du regard par tous ses camarades. Un instant, elle eut l'impression de leur avoir ôté leur bal des diplômes. Bien entendu, si ça avait été Jessamine qui avait causé toute cette agitation, on l'aurait acclamé haut et fort. Soit, quoi qu'ils en pensaient, elle avait gagné leur petit duel. Encore une fois, Nery avait prouvé que toutes les choses que Jessamine pouvait tenter contre elle, elle pouvait les faire mieux.
- As-tu prévu de t'arrêter un jour ? Demanda Nery, qui s'éclipsait dans l'un des couloirs de l'académie.
Face au rire de brindille de la créature, Nery roula des yeux.
« Ecoute-moi bien Nery, jusqu'à ma mort, je rirai. À partir d'aujourd'hui, même dans mon sommeil, je rirai de Jessamine qui se fait cracher dessus par une chenille géante. »
Un gloussement s'échappa alors de ses propres lèvres lorsqu'elle prit la situation sous cet angle. Avant de ne pouvoir répondre à Akini, elle fut bloquée par une imposante carrure trop familière. Helios.
Les mains dans les poches, il s'approcha un peu plus d'elle en faisant attention de ne pas la toucher. Comme des aimants attirés l'un par l'autre, leurs regards se rencontrèrent. Brun comme l'écorce et parsemé d'une pluie d'or, ils firent une nouvelle fois remonter un tas de sensations qu'elle refoulait depuis bien trop longtemps.
De son côté, le cœur d'Hélios bondissait dans sa poitrine. Nery pouvait le sentir à ses pulsations irrégulières. Dans un souffle, le prince silencieux s'attarda sur chaque détail de son visage. Face à son aura écrasante, Nery se sentit vaciller.
- Il n'y a pas à dire, confirma-t-il, l'original ne pourra jamais être égalé par de pâles copies.
- Je te demande pardon ?
Face à ses mots dépourvus de toute logique, il revint rapidement à la raison.
— Excuse-moi, je me suis égaré dans mes pensées.
Un silence empli d'une tension qui ne les avait jamais vraiment quittés s'immisça de nouveau entre eux. Nery tenta de penser à autre chose qu'à l'odeur envoutante de son sang qui lui emplissait le nez. Si elle contrôlait parfaitement son apparence et qu'elle ne laissait rien paraitre de sa respiration irrégulière, son cœur palpitant et ses frissons, eux, restaient bien là.
Du côté du prince, ce n'était encore une fois pas mieux, il était venu lui parler sur un coup de tête, après plus de trois ans. Le simple fait qu'elle lui adresse la parole lui donnait l'impression de renaitre. Le fait d'inhaler son odeur fruitée qui lui intimait de la dévorer tout entière. Son regard ténébreux qui avait hanté chacune de ses nuits...
- Helios ?
Le jeune homme ressentit une pointe ardente transpercer le bas de son abdomen.
— Oui, Nerezzya ?
— Tu avais quelque chose à me dire en particulier ?
— Je... Il ne savait pas vraiment quoi lui dire, et s'en voulait de ne pas trouver les bons mots alors qu'il avait tant de choses à lui raconter. Je voulais juste savoir si tu allais bien.
— Je respire la forme et la vivacité comme tu peux le voir. Si c'est tout, je vais partir, j'ai étude de l'insecte à l'autre bout de l'académie.
Bouche bée, il ne put prononcer le moindre mot.
Les deux jeunes gens se quittèrent alors avec un pincement au cœur. Même s'il avait demeuré bref et dépourvu d'intérêt, il avait au moins eu le mérite de faire renaitre la tension qui planait entre les deux. Plus tard, il reprendrait plus sérieusement leur conversation, mais pour l'heure, c'était plus que suffisant.
Akini, tel un diablotin, se dandinait tout émoustillé par l'échange de sa maitresse, il jubilait déjà face à la pensée d'une source de divertissement si importante.
« Viendrais-je de rêver ou ce qu'il vient de se produire s'est vraiment produit ? »
— On dirait bien, lui répondit Nery, elle-même encore un peu bouleversé.

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant