Chapitre 32

0 0 0
                                    

- J'ai une question à te poser, reprit Régina sur un ton sérieux, qui est cette fameuse Mimi Cracra ?
Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Nery devait vraiment l'avoir vexé pour qu'elle s'en préoccupe autant.
- Ne t'en fait pas, ce n'est qu'un personnage fictif tiré d'un livre de l'ancien monde. C'est une petite fille réputée pour être dépourvu d'hygiène. D'où le surnom « cracra ».
- Je vois, tu possèdes beaucoup de livre sur l'ancien monde ?
- Disons que j'en possède un nombre conséquent en effet. Au manoir, mes parents en détiennent quelques étagères et j'ai dans ma chambre un mur entier. La majorité est conservée dans la bibliothèque du palais. Cette littérature t'intéresse-t-elle ?
- Oui, avoua l'héritière en tentant de réprimer son entrain. En apprendre plus sur les divertissements des âmes qui nous composent est assez instructif. Même en dehors de la culture de l'ancien monde, j'apprécie la lecture. Malheureusement, les seuls écrivains sur Kardia n'écrivent que des aventures érotiques ou des manuels éducatifs.
- Dans ce cas, j'imagine que Vincia va te plaire.
- Qui diable est encore Vincia ? s'inquiéta Régina qui s'attendait encore à une nouvelle connaissance douteuse.
- La ville d'incompatible dans laquelle nous venons juste d'arriver.
Rapidement, la jeune femme remercia l'un des nuisibles qui conduisait puis elle descendit du véhicule aux côtés de Régina. L'une, comme l'autre, demeuraient dans un état lamentable. Malgré les longues capes, la terre sous leurs bottes et la boue sur leur visage et cheveux trahissait leur saleté.
L'air printanier était agréable tandis qu'une odeur de linge frais et de fleurs parfumée flottait dans l'air. Vincia détenait avec fierté la réputation de « plus belle ville du territoire de l'est ». Ce titre n'était pas volé, en effet, la ville possédait un charme inhabituel. Chaque façade et chaque pavé se fondait les uns avec les autres dans un camaïeu d'orange allant du jaune pale au marron foncé. Par ailleurs, il éteint peint sur des rues entières d'interminables fresques à couper le souffle.
Le sourire aux lèvres, les incompatibles se baladaient gaiement dans les rues en s'arrêtant à de nombreuses reprises pour s'aventurer dans les petites boutiques colorées. Comme partout, de larges feuillus aux branches parées de rubans arc-en-ciel longeait fièrement les trottoirs. À leurs côtés se dressaient une multitude de pots aux formes géométriques contenant diverses fleurs ainsi que de fin moulins à vents aux ailes irisés. À première vue, on ne soupçonnerait pas cette ville d'être la source de complot et la cible de nombreux monstres.
Nery invita Régina toute émoustillée à la suivre. Malgré leur allure suspecte, les incompatibles les saluèrent poliment sans trop s'attarder sur elle. Il fallait avouer qu'au milieu d'eux, elles avaient l'air de géantes.
Vincia comme les autres territoires proposait de nombreux aménagements artistique, en effet, on retrouvait dans les vitrines des boutiques, instruments de musiques, matériel de peinture et de dessin, ustensiles de cuisine ou encore tissus et kit de coutures. C'était à cause de leurs savoir-faire manuels que certaines activités sur Kardia devenaient soudainement « indigne ».

- Mais pincez-moi ! S'exclama un incompatible lorsqu'elles entrèrent dans l'auberge. Grande Dame Nerezzya, vous n'avez pas changé depuis la dernière fois, soudainement le garçon se gratta l'arrière du crâne, l'air gêné. Que suis-je bête, c'est dans votre condition en même temps.
-En effet, pourrions-nous, ma camarade et moi, bénéficier d'un bain et de vêtements propres s'il vous plait ? demanda Nery pour ne point trop s'attarder.
- Bien évidemment, votre chambre est toujours prête à vous recevoir, je vous ferais déposer des vêtements à votre taille. Déclara-t-il en les laissant entrer.
Même si elles n'étaient pas les plus grandes de leur espèce, les deux dynamistes semblaient immenses aux côtés des incompatibles. Une silhouette élancée, des membres longs, voilà ce qui contrastait parfaitement avec les modestes et confiantes apparences des incompatibles. Bien plus tassé que les leurs, ils se voyaient offrir des formes voluptueuses et des courbes physiques plus différenciables.

- Nerezzya ! Mais bon sang, tu vas m'attendre, je n'ai même pas eu le temps de bien lacé mon corset, s'égosilla Régina qui courrait littéralement après Nery.
- Tu n'avais qu'à pas passer une heure sous la douche, et puis je t'avais prévenu que nous étions pressés.
- Dois-je te rappeler que nos cheveux ne sont pas de la même longueur ? j'étais pleine de boue !
Les incompatibles ne possédaient que très peu de vêtements pour nobles dans leurs rayons, par chance, l'auberge avait dû habiller de hautes statues lors d'un évènement festif. Simples, mais élégantes, leurs longues robes fluides se voyaient ajustés par des corsets à bretelles à la broderie fleurie.
Avec frénésie, les talons des souliers que portait Régina clapotaient bruyamment sur les pavés tandis que ses longs cheveux ondulés et encore humides serpentait dans son dos tels des rubans agités par le vent. Sa mine renfrognée semblait plus adoucie grâce aux rayons chauds du soleil qui rosissait ses joues rebondies.
De son côté, Nery appréciait les beautés architecturales de la ville, dépourvu de toute opulence superflus. À l'inverse des nobles, les incompatibles portaient davantage d'importance aux milieux artistiques. Pour eux, leurs corps étaient de véritable à machine à tisser capable de cuisiner l'agréable et d'engendrer la beauté. Ces traits de leurs personnalités se retrouvaient dans chaque recoin de la ville, tantôt aux côtés des musiciens qui valsaient avec leurs rubans de notes mélodieuses, tantôt dans les fresques colorées qui s'évadaient des pinceaux.
Non loin de là se trouvait un salon de thé situé à la bordure d'une étendu de verdure. Ainsi, sur la terrasse se tenait étroitement sur une chaise trop maigre pour sa carrure, un jeune homme aux cheveux noir de jais et au regard perçant. En compagnie d'un plateau de pâtisseries miniature, il conversait avec une petite femme portant des lunettes de soleil et un large chapeau noir. Quelques secondes plus tard, tout en récupérant une pochette close que lui tendit le jeune homme, la femme hocha la tête en signe d'accord puis elle décampa telle une ombre mystérieuse.
- Qu'est-ce qu'on fiche planter là ? s'impatienta Régina, intimidé par son entourage. Tout le monde nous regarde comme si nous étions des fraises à cornes !
- Ils sont justes surpris par notre présence, ce n'est pas habituel pour eux de recevoir des nobles qui ne viennent pas les décimer.
- Nery ?
Un léger sursaut la secoua quand une voix dans son dos l'interpella.
- Je te quitte des yeux trois secondes et voilà que tu me prends par surprise !
- Je pourrais te retourner l'accusation, qu'est-ce que tu fais ici, et surtout avec elle, cracha-t-il à l'intention de Régina dont le visage se décomposait peu à peu.
- Marchons un peu que je t'explique, lui proposa Nery qui avançait déjà, hâte-toi aussi Régina ! s'écria-t-elle quand elle la vit rester planter là comme un piquet.
Cette dernière jaugea Félix de haut en bas avec une mine dégouté puis elle rattrapa Nery, un sourire hypocrite aux lèvres.
- En bref, nous nous occupions d'un village infesté, mais le combat a commencé à m'agacer et là, Nery claqua des doigts bruyamment avant de poursuivre, je me suis rappelé que tu avais ton entrevu avec la porte-parole. Je suis juste passé vérifier que tout allait bien et je voulais montrer à Régina la ville.
- Tu n'as plus confiance en moi pour me laisser faire ma part du travail seul ou je rêve ? ironisa-t-il, les mains dans les poches de son pantalon droit.
- Ne t'emporte pas, il s'agissait juste d'une coïncidence.
- Dès lors que tu prémédites une rencontre, ce n'est plus une coïncidence, fit remarquer l'héritière avec un rire sans joie.
Félix serra son poing dans sa poche quand elle ouvrit la bouche et lui jeta un regard noir, l'invitant à se taire. Malheureusement, ce n'eut pas plus d'effet sur elle que la caresse d'un brin d'herbe.
- Pourquoi me dévisages-tu avec tant d'animosité, Félix ? Si ma présence te dérange, tu peux partir sans crainte. Ta mission est terminée en plus, non ?
- D'animosité ? répéta-t-il avec un sourire mesquin, culotté venant de l'animal de compagnie que Nery trimbale sur tous les . territoires.
Comme habité par la frénésie, la paupière gauche de Régina se mit à tressaillir d'incrédulité. Le timbre sarcastique de Félix venait sans doute de franchir son seuil de tolérance.
- Dixit celui qui vit dans la nature tel un sauvage.
- Cela vaut toujours mieux que d'être enchainé dans ta niche.
- La seule chaine qui me lie à cette niche dont personne, moi, ne m'a expulsé, rétorqua Régina en haussant un sourcil méprisant, c'est celle de sa supervision.
Touché par la référence à son exil, Félix prit sur lui.
- Oh ! s'exclama Nery, c'est ici.
Au bout d'un chemin encadré par de majestueux citronniers aux odeurs printanières ainsi que quelques bancs en métal verdâtre, trônait fièrement un manoir de pierre.
- La grande librairie ? la questionna le jeune homme en avançant.
- Oui, je dois récupérer un ouvrage et Régina doit absolument découvrir la littérature de Vincia.
Félix leur ouvrit la porte pour les inviter à entrer
- Une véritable petite nourrisse... Tu devrais procréer Nery, je t'assure, tu serais une bonne mère.
- Ferme là deux secondes, tu veux ? soupira-t-elle en levant les yeux au ciel.
Cette remarque ne lui fit ni chaud ni froid pourtant, elle ne put s'empêcher d'imaginer cette perspective, cependant, elle se transforma vite en vision d'horreur quand le père prit le visage d'Hélios.
La grande librairie sentait le parquet ciré et les vieux livres. Avec un charme naturel, elle dégageait la même aura qu'un cocon réconfortant, doux et paisible. Au milieu de rubans lumineux que rependait le soleil, les murs entiers se voyaient draper d'immenses bibliothèques débordantes de manuscrits en tout genre. Classés uniquement par genre, les livres se suivaient étroitement tels des escaliers irréguliers aux couleurs douçâtres. D'autre part, il trônait au centre de la librairie plusieurs étalages qui s'enchevêtraient avec harmonie sous une multitude d'étagères de fortune.
Sans plus attendre, Nery salua la libraire élégamment vêtue qui s'était empressé d'accourir, bien que ralenti par sa jupe crayon. La femme surpassait naturellement la majorité des incompatibles et cette grande taille lui proférait une allure remarquable. Tandis que ses cheveux crépus s'élevaient au-dessus de son visage telle une auréole volumineuse, sur son nez reposait de larges lunettes qui mettaient en valeur ses grands yeux de poupées.
- Quel surprise ! Ma lettre vous est bien parvenue à ce que je vois, souhaitez-vous le récupérer maintenant ?s' enquit-elle sur un ton fluet.
- Oui, si cela ne vous dérange pas, nous allons jeter un œil aux ouvrages en attendant.
- Aucun problème, je n'en ai que pour quelques minutes, n'hésitez pas à prendre ce qu'il vous plaira.
La femme disparue à la hâte derrière son comptoir tandis que Régina examinait les manuscrits avec une certaine réticence. Quelques secondes ensuite, un jeune libraire vint à sa rencontre ou bien à sa rescousse, prêt à la conseiller comme il se devait. Les yeux brillant d'un éclat passionné, l'incompatible faisait preuve d'une retenue sidérale pour ne pas venter tous les livres de la bibliothèque.
Cependant, tant elle était encombrée par l'immense pile qu'entassait le libraire entre ses bras, Régina ne remarqua pas que le lacet défait de son corset fouettait les têtes des visiteurs les unes âpres les autres.
- Je ne sais pas ce qui me désespère le plus, râla Félix qui jaugeait la scène de loin, Les pauvres incompatibles qui n'osent pas lui faire remarquer que son saleté de corset est défait ou bien les gouts défaillants du libraire...
- Non, moi, ce que je trouve amusant, c'est de constater qu'en territoire inconnu son caractère d'héritière présomptueuse se transforme radicalement en une certaine timidité.
Sans commentaire, ils scrutèrent la jeune femme qui, aveuglé, donna un coup au vieil homme derrière elle. L'incompatible tomba à la renverse, emportant avec lui dans sa chute, une étagère de livres qui lui tombèrent grossièrement un par un sur la tête. Le vacarme causé par l'accident fit accourir les lecteurs environnants. Même le libraire lui faussa compagnie pour aller sauver le vieil homme.
- Non, là c'en est trop, déclara Félix bouillonnant avant de traverser à grands pas la distance qui le séparait de l'héritière.
Brusquement, il lui prit la pile des mains avant de la déposer sur l'établi juste en face d'eux. Mal à l'aise, Régina affichait une mine désolée depuis qu'elle avait remarqué tout le désordre rependu sur son passage. De son côté, Félix l'accablait de jugement sarcastique à chaque livre de la pile qu'il reposait ou remplaçait. Quand sa sélection fut enfin terminée, le garçon lui offrit les quelques ouvrages avec un énième commentaire désagréable que Nery n'entendit point.
Épuisé par cette éprouvante visite, Régina tenta de rejoindre sa camarade, mais elle fut vite stoppée dans sa lancée quand on la tira violemment en arrière. Son visage se fronça tandis que ses protestations fusaient dans toute la grande libraire.
- Bon sang, arrête de te débattre, lui rétorqua Félix en relaçant de ses mains agiles les lacets de son corset. Tu nous fais honte là.
- J'aurais pu le faire moi-même, pesta-t-elle en retour.
- Oh, mais je n'en doute pas, railla-t-il en laissant échapper un rire sans joie, l'homme que tu as renversé a le crâne en sang et la moitié des clients ont une trace de fouet sur le visage, tu effraies tout le monde.
Les sourcils froncés, il la relâcha quand il fut satisfait de son laçage qui ressemblait davantage à une embrouille qu'à un nœud. Puis à toute vitesse, Régina s'écarta le plus loin possible de sa personne et rejoignit Nery qui venait de récupérer son ouvrage.
- Vous avez terminé, s'impatienta-t-elle ?
- Il me reste encore des choses à faire ici, je vous abandonne. Nery, je viendrai en personne te faire mon rapport. Quant à toi, cracha-t-il à l'attention de Régina, ne t'avise plus de...
- Bon, dépêche-toi de partir au lieu de perdre ton temps avec de frivoles menaces, le pressa l'héritière sans un regard.
Le visage pétrifié, il s'apprêta à l'insulter avant que Nery ne le coupe dans son élan.
- À demain, Félix ! s'enquit-elle, sur un ton taquin, tout en quittant la librairie.

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant