Chapitre 12

11 3 0
                                    

Le lendemain, à présent de retour au manoir, Nery s'était empressé de faire sa toilette. Personne n'était venu voir s'il elle allait bien, mais elle s'y attendait trop pour faire semblant d'être déçue. A la place, elle choisit avec soin sa tenue du jour.
Après plusieurs tours dans les grandes armoires de sa garde-robe, elle opta enfin pour une chemise noire dont les épaules se voyaient légèrement bouffantes et les manches envasées. L'épais tissu était recouvert de dentelle aussi fine que gracieuse et de boutons de la même teinte lui allant du bassin jusqu'au haut du cou. Par-dessus, Nery rajouta un corset rouge aussi foncé que le sang séché et jeta son dévolu, après de longues minutes, sur un pantalon à coupe droite. Pour finir, elle enfila des souliers pointus à talon et se munit d'un ensemble de bijoux en rubis confectionné par la maison Diamond&Chrysos.
La jeune femme vouait un amour inconditionnel pour les vêtements. Elle y voyait une forme d'art qui lui permettait de se camoufler tout en s'appréciant. De plus, depuis la création du nouveau monde, une multitude d'ouvrages ayant été rescapé avait permis de garder certaines coutumes vestimentaires du monde précédant. Par ailleurs, c'était la maison Donatella qui se chargeait de la création de la majeure partie des habits de Kardia.
Lorqu'elle arriva devant la porte de son manoir, une sensation étrange l'envahit. Elle n'avait rien à voir avec l'aura des Exelixis. C'était plutôt comme si le vide l'avait consumé. Nery sortit quand même, suspicieuse. Le ciel demeurait si gris qu'il en paraissait blanc et le soleil si petit qu'il ne détenait guerre plus d'allure qu'une bille. Dépourvue du moindre signe de vie, la résidence semblait avoir été déserté.
Par chance, devant le portail colossal, une vingtaine de gardes armés surveillaient l'entrée. La jeune femme eut un mouvement de recule davantage par sûreté que par crainte, mais elle n'arrêta pas sa route pour autant. Quand enfin un Dynamiste tenant une longue lance aiguisée dans une de ses mains l'aperçut, il s'avança activement vers elle.
Comme les autres gardes, il portait une combinaison en polytextile sous des protections métalliques, semblable à celle d'une armure, lui allant du cou jusqu'au pied. Situé sur son cœur, le blason de Kardia resplendissait. Le garde en lui-même était assez svelte, ses cheveux très courts lui donnaient un air enfantin. De plus, sa façon de se tenir et son manque d'assurance trahissaient sa place de novice, il ne devait être que récemment garde, et pas habitué à un poste d'une telle importance.
Nery ne comprenait pas ce que cette escouade faisait là, tous les Exelixi étaient au palais et surtout très largement en capacité de se battre seul. Et puis, sauf si c'était pour protéger leurs quelques enfants apparemment absents, leur présence restait inutile.
— Navrée ma Dame mais vous ne pouvez pas sortir, l'arrêta-t-il.
— Ah oui, et pourquoi donc ?
La jeune femme fit mine d'être surprise, sans se plier aux ordres pour autant.
— Il y a eu un, comment dire... Incident à Kardia hier soir, toutes les rues sont sous surveillance maximale.
– Un incident ? Que voulez-vous dire par là ? S'inquiéta faussement Nery.
— Eh bien, c'est assez délicat, je ne suis pas sûr de pouvoir vous en parler.
— Faite-le, répondit elle un peu trop sèchement.
Le garde mordit sa lèvre inférieure, l'air gêné, puis il vérifia autour de lui que personne ne l'écoutait.
- Ma Dame, des créatures monstrueuses ont débarqué de tous les coins de la ville cœur. Leur passage à causé de nombreux dégâts, des bâtiments ont brûlé́ et des corps péri...
Nery écarquilla les yeux et plaqua une main devant sa bouche à la suite des paroles du garde royal.
– Comme c'est regrettable, murmura-t-elle dans un sanglot dépourvu de larmes.
— Ma Dame, l'armée royale a vite pris le contrôle de la situation, vous n'avez aucun souci à vous faire, nous sommes là pour vous protéger.
– Merci beaucoup, mais seriez-vous en train de m'insulter ?
– Pardon ? Loin de moi cette idée ma dame je vous...
— Savez-vous qui je suis mon garde ? Sans lui laisser le temps de répondre, elle poursuivit,
– Je suis à la tête du classement de l'académie de Kardia, la fille des deux plus puissants exelixis et une élue des éléments, je n'ai nul besoin de votre protection.
Amusé par son propre petit numéro, Nery retenait le sourire qui lui chatouillait les commissures des lèvres.
— Je n'en doute absolument pas ma Dame mais il est de mon devoir de vous empêcher de sortir.
– Essayez un peu pour voir.
Sur ses mots elle contourna le dynamiste et continua sa traversée sans se soucier des gardes qui l'interpellaient.
— Ma Dame, s'il vous plait...Les créatures sont peut-être encore présentes, tapis dans l'ombre, prêt à vous bondir dessus.
Face au ton qu'il avait employé, Nery grimaça. Quel âge pensait-il qu'elle avait au juste.
— Mon garde, j'avoue avoir du mal à vous suivre, il y a encore quelques instants, vous m'assuriez que tout était sous votre contrôle.
— Et c'est effectivement le cas ma Dame.
— Soit, dites m'en plus sur ces créatures.
Quelques gardes se tenaient toujours près du portail à distance respectable de la jeune femme, mais suffisamment proche pour l'entendre. Comme elle s'y attendait, ils n'avaient pas le droit de la toucher.
- Eh bien... Je ne les ai pas vu personnellement mais à ce qu'on m'a rapporté, elles étaient énorme avec une quantité́ démesuré de muscles, leurs yeux étaient entièrement rouge et suintant. On m'a aussi dit qu'elles poussaient des cris stridents à en perdre l'audition et que de longues griffes trônaient au bout de leurs doigts.
Nery fit mine de réfléchir et passa une main songeuse sur son menton avant de feindre l'étonnement. Avec cette comédie, le grand théâtre devrait la prier d'accepter un rôle principal.
- Mais ! Je me rappelle avoir déjà entendu une description semblable il y a quelques années. Je ne sais plus où, mes souvenirs sont flous...plusieurs fois elle claqua des doigts comme pour faire ressurgir l'idée déjà parfaitement clair dans son esprit. Des créatures similaires...
Le garde réfléchit un instant, puis ses sourcils se dressèrent, dévoilant un regard illuminé.
– Maintenant que vous le dites...
Il était si long dans sa réflexion que Nery qui s'impatientait songeait déjà à lui secouer la tête.
— Oui, exactement ! C'était quelque chose comme cela. Un groupe d'anarchiste rebelle venu sur Kardia pour défendre les incompatibles.
Le terme qu'il avait employé fit tressaillir l'œil de la jeune femme.
- Permettez-moi de me joindre à la conversation, je suis le garde Flavius. En vous entendant parler, quelques souvenirs me sont revenus. Il me semble que ces créatures s'en prenaient aux incompatibles et qu'une sorte d'association avait demandé́ de l'aide au roi.
Une association ? Visiblement, Nery n'avait pas assez insisté sur le rôle de l'organisation dans son opération précédente.
— Tu as raison, ils se baladaient avec les créatures au bout de fourches, je me souviens.
– Il me semble que le roi Basile avait décidé́ de ne rien faire pour les aider car ça n'était pas une menace pour Kardia...renchérit Nery pour accélérer un peu.
Le premier garde fronça les sourcils troublés.
— Ce n'était sans doute pas très judicieux, compte tenu des évènements d'hier soir... Nombre d'entre nous ont perdu la vie à cause de sa décision.
Son camarade lui donna un coup de coude avant de lui chuchoter, embarrassé par la présence de Nery :
— Fait attention à ce que tu dis Flavius, n'oublie pas ta position et ton respect pour le roi.
— Ne vous en faites pas, les rassura Nery, je ne répéterais rien. À vrai dire, ce qu'il dit n'est pas totalement faux, le roi n'a pris aucune mesure pour protéger tout son peuple dés le départ.
La dynamiste insista particulièrement sur le « tout ».
— Et maintenant, cela se retourne contre Kardia...termina Flavius.
La dynamiste émit un hochement de tête faussement scandalisé tandis que les gardes restaient silencieux, prenant un peu plus conscience de la situation.
— Tout bien réfléchi, je vais m'abstenir de sortie pour aujourd'hui, j'espère vous revoir en bonne et due forme, conclut Nery.
Les gardes la saluèrent poliment et retournèrent partager leur impression avec les autres gardes. Quand elle les vit, Nery ne put s'empêcher de sourire. Tout s'était déroulé, encore une fois, exactement comme elle l'avait prévu.
Akini émit un petit gloussement plaisant du haut de son épaule.
Quatre ans auparavant, lorsqu'elle réfléchissait déjà aux opérations actuelles, elle avait eu l'idée d'introduire les anomalies au peuple de Kardia. Ainsi, si elle savait qu'elle n'obtiendrait rien du roi, l'objectif n'avait été que de préparer le terrain pour ce jour.
Bien décidé à se balader, Nery traversa la résidence et sortit par un petit passage inconnu qui menait aux rues de la ville cœur. Quand elle traversa, c'est l'épais brouillard qui la frappa en premier. En effet, une brume blanche et opaque recouvrait les environs tel une couverture duveteuse. Pas une seule âme ne se trouvait à l'horizon et le seul bruit présent subsistait celui du vent apeuré́.
L'odeur métallique du vieux sang se faisait encore sentir, bien que les nombreuses fleurs ternis par la météo la couvraient. Nery se sentit étrange, un mélange de satisfaction et d'amertume lui restait en travers de la gorge. Même si elle n'éprouvait aucun remord suite aux vies perdus, une sensation désagréable la dérangeait.
Nery resta quelques instants à contempler la brume qui l'entourait. De toute sa vie et de sans doute celle de tous les autres habitant de Kardia, elle n'avait jamais vu la ville cœur aussi éteinte. Kardia était donc devenu en l'espace d'une seule nuit un désert d'inquiétude et une partie de la jeune femme se réjouissait d'en être la cause.
Des bruits commencèrent à résonner quelque part aux alentour, alors sans plus attendre, Nery rentra à la résidence par là où elle en était sortie.
Son manoir possédait une atmosphère encore plus morose que la ville tout entière. Aucune bougie n'était allumé et aucun signe de vie ne se manifestait. Seul le claquement de ses propres pas animait l'entrée.
« Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Akini qui s'ennuyait à mourir. »
La jeune femme eut un léger sursaut, comme si elle avait oublié́ la présence de son propre dynami.
- Je ne sais pas trop, j'aimerais me rendre au papillon, mais mon absence paraitrait sans doute suspecte.
« Sans vouloir te vexer, il n'y aurait personne ici pour la remarquer... »
- Merci pour cette remarque pertinente Akini mais je te rappelle que ces derniers temps, mes chers parents aiment faire des apparitions surprises.
« Fais ce que tu veux, moi je suis fatigué. »
En plus d'avoir le seul Dynami capable de parler, et encore, la plupart du temps dans l'unique but d'être désagréable, il fallait qu'elle détienne le seul qui passe ses journées à dormir.
Seule, elle décida alors de faire un peu de lecture.

Le matin suivant, le brouillard ne s'était toujours pas estompé. Miraculeusement, quelqu'un frappa enfin aux portes du manoir. Nery se précipita pour ouvrir dévalant, méfiante, les escaliers quatre par quatre. Comme elle s'y attendait, ce fut le garde de la veille qui se tenait devant elle.
Il tenait son dynami dans une main et une enveloppe interpellante dans l'autre. La jeune femme l'accueillit toute souriante.
— Bonjour, ma Dame, excusez-moi de vous déranger, mais j'ai une missive à vous transmettre de toute urgence.
Il lui tendit l'enveloppe, le visage rougit par la gêne. La jeune femme comprit vite que son malaise puisait sa source dans la fine tenue qu'elle portait. Venant habituellement du bas Kardia, les gardes n'étaient pas habitués à la luxure kardésienne.
— Et bien, qu'est-ce donc ?
Le papier était noble, cela s'identifiait à première vue. En effet, le grain pale était coupé à l'or ce qui le rendait légèrement brillant. De plus le seau cuivré du palais l'interpella encore plus.
— C'est un message du roi, il a été transmis à tout Kardia. Informa le jeune homme.
Nery passa une main délicate dessus, appréciant sa texture lisse, puis elle la tendit à Akini qui fendit le sceau en matérialisant une partie de sa lame.
Nery la déplia sous le regard attentif du garde, puis lue son contenu à haute voix.
« Vous avez été convié au discours du roi qui se tiendra devant la face sud du palais. Merci de bien vouloir vous présenter à midi. Le conseil royal. »
Elle ne fut pas étonnée par son contenu improviste, au contraire elle n'attendait que sa venue. Un sourire victorieux se dessina sur ses lèvres pleine avant que la présence du messager ne la ramène à la raison.
— Je viendrais vous chercher dans deux heures, si vous êtes d'accord.
— Comment vous appelez-vous, mon garde ?
- Moi... euh Silas Ma dame.
— Bien, Silas, je t'attendrais.
Le jeune homme acquiesça énergiquement avant que Nery ne ferme les portes et ne monte se changer.
Elle retira le corset à fine dentelle qu'elle portait et la robe ridiculement transparente, choisie expressément pour la venue du messager. Comme c'était facile à prévoir, Silas s'était présenté́ a sa porte et avait sans doute dû insister pour venir lui-même. Sa façon de parler et ses manières trahissaient la basse classe dont il était issu.
Il ne devait être héritier de rien et habiter dans la partie reculée de Kardia dans une modique famille de combattant. Ne sachant pas quoi faire de sa vie, il était donc logiquement devenu garde royale. Nery savait qu'à l'inverse de la haute cour, la pudeur était importante dans les plus bas quartiers car elle aimait beaucoup s'y rendre. Là-bas les habitants portaient un gout particulier aux vêtements, ce qui les rendait dument appréciable. Les rues y étaient plus calme et joviale et de nombreux petites boutiques offraient des collections si belle que Nery les achetaient toute entières.
Elle récupéra donc l'ensemble qu'elle avait sorti au préalable sur son cintre.
Après avoir noué ses hautes bottes à lacets puis enfilé une parure d'onyx, vint rejoindre sa coiffeuse. Comme tous les miroirs de sa chambre avaient été recouverts, elle se maquilla sans glace.
— À quoi je ressemble, demanda-t-elle à Akini.
« Tu n'as qu'à te regarder dans le miroir ».
Face à son visage soudain inexpressif, il reprit.
« Tu es renversante »
Satisfaite, la jeune femme le remercia d'un mouvement de tête, puis s'en alla rejoindre Silas qui l'attendait devant les portes.
Il lui adressa une salutation respectueuse, puis l'invita à le suivre, complimentant son accoutrement au passage.
Devant le haut portail silencieux, une dizaine d'autres enfants d'exelixi, d'âge divergeant attendaient dans la brume, Jessamine qui l'a dévisageait déjà portait une robe longue assortie à ses yeux d'un bleu glacial. Sous un large chapeau, ses longs cheveux blancs venaient lui frôler l'arrière des genoux.
La Prostasia lui adressa un regard carnassier que Nery n'eut pas la moindre difficulté́ à ignorer, avant de retourner à sa discussion avec ses amis bien vêtu également.
Silas qui n'avait rien manqué à la scène resta muet jusqu'à ce qu'une voix familière ne s'élève derrière son épaule.
— Silas, sais-tu qui elle est ? Pauvre imbécile, tu n'es pas assez formé pour être à ses côtés !
- Je... Pardonnez-moi... Je vous laisse à sa garde.
Sans même jeter un regard à son supérieur, il s'excusa avant de courir rejoindre les autres gardes.
L'homme derrière elle était d'un mètre plus grand qu'elle et son imposante musculature rendait ses protections métalliques presque ridicules. Nery l'avait déjà reconnu, bien que la moitié de son visage ne soit masqué. Son regard sombre comme les profondeurs d'une forêt, les cheveux en bataille et les deux dagues à lames parallèles sur sa ceinture le trahissaient.
– Mon garde, salua Nery avec un sérieux factice.
— Vous êtes sous ma surveillance, général Xilef à votre service.
Nery voulu pouffer de rire, mais elle se retenu pour ne pas se faire remarquer, à la place elle hocha avec respect la tête se demandant qu'est-ce qu'il faisait encore sur Kardia.
Restant à une certaine distance des autres progénitures, le général Xilef la guida vers le portail qui venait d'être ouvert avec précaution. Comme il était commun pour les gardes spéciaux de se masquer, Félix ne risquait pas d'être suspect ou reconnu.
Semblable à une marche funèbre, les nobles traversaient Kardia dans leur toilette la plus onéreuse. Le menton relevé, ils chassaient leur angoisse avec les larges éventails qu'ils s'agitaient sur leur poitrine. Ainsi, ils ignoraient volontairement les traces de sang entre les dalles de l'allée et les morceaux de vêtements déchiquetés laissés à l'abandon. De cette manière, le silence régnait, motivé par la crainte de réveiller quelque chose tapi dans l'ombre.
La face sud du palais, ou autrement dit la façade principale, restait reconnaissable grâce à ses deux portes d'entrée titanesques. Semblable à une demi-amande géante, elles ne s'ouvraient que pour les grandes occasions.
Les enfants d'Exelixi accompagnés de l'escouade furent conduits sur la terrasse du toit de la maison des plaisirs devant le palais. Confortablement assis sur leurs divans, ils parvenaient encore à mépriser les autres nobles amassés en contrebas. Nery vint s'installer à l'écart, sur une chaise de cristal ornée, là où une bouteille de Nectar l'attendait dans un joli flacon de la maison Jouvence.
Épais et menaçants, les nuages gris dans le ciel n'arrangeaient rien à l'atmosphère pesante qui les entourait.
- Je n'ai même pas envie de savoir comment tu as fais déclara enfin Nery à l'attention de Félix l'infiltré.
— Non, je te le confirme, tu n'en a aucune envie. C'est moi où il y a une ambiance étrange ? demanda son nouveau garde en sondant les alentours.
– C'est le cas. Ils pensaient être intouchables et les voilà soudainement vaincus par quelques bestioles. Pour une fois dans leur vie, ils expérimentent la peur.
— Et toi Nery, as-tu peur ?
— Je suis terrifié.
À l'inverse des autres élèves qui la fusillaient du regard, Félix, amusé par son sarcasme, souria sous son masque. Même à l'écart, elle pouvait sentir le sang de ses congénères bouillonner et devenir plus amer. Pour ne rien arranger, les murmures incessants à son égard demeuraient si peu discrets qu'elle aurait pu tous les reciter.
Malgré toutes les choses horribles qu'ils lui avaient faites, Nery ne demeurait plus intimidé par eux. Au contraire, ils la divertissaient, ces nobles restaient ses bêtes de foire favorites. Après un bref instant, la pression atmosphérique devint si pesante que Nery en eut la nausée, tout comme les autres nobles grimaçants.
Un air dramatique résonna dans tout Kardia, captant l'attention de tous. Un silence s'abattit ensuite sur les nobles silencieux, puis le balcon s'ouvrit, laissant place à la dizaine d'exelixi dont ses parents qui ne prirent pas la peine de la chercher du regard. En même temps qu'eux, les nuages se dispersèrent afin de laisser briller un soleil resplendissant. Ce devait sans doute être l'œuvre de son père. À leur côté, le roi Basile entra en scène, enrobé d'une aura si éblouissante qu'elle rendait le soleil ridicule. Nery saisit les petites lunettes rondes aux verres obscurcis, qu'elle avait soigneusement mis dans sa poche avant de partir, afin de ne pas succomber à sa superbe.
Détenteur des pouvoirs de l'ancien monde, dont celui de l'esprit, le roi, bien que plus petit que les Exelixis, détenait une présence si imposante qu'elle en était douloureuse. Drapé sous sa cape impériale dont les broderies en fil d'or serpentaient entre les différents ornements, il laissa ses deux bras sortir des fentes de cette dernière. Sur ses cheveux blonds parfaitement coiffés, la couronne royale trônait avec fierté. Taillée dans le premier arbre du continent, elle se voyait sertie de différentes pierres solaires.
La confiance et l'aisance qui émanaient de tout son corps faisaient partie de son attirail de charmes.
Nery soupira, déjà fatigué du spectacle.
En contrebas, une vague de révérence s'abattit tandis qu'à son étage, toutes les mains dont, à contrecœur, la sienne se hissèrent vers les cieux, en signe de respect. Avec une attention toute particulière, la jeune femme observait chacun des corps se soumettre à la suprématie du roi. Cette allégeance, ce pouvoir, cette domination, elle les voulait tous.
À ses côtés, le jeune homme qui avait dû se baisser pour saluer Basile, serrait si fort sa dague qu'il aurait pu la pulvériser. Jamais il ne lui pardonnerait d'avoir volé sa troisième âme, son Dynami. Comme Nery et Akini qui ne formaient qu'un seul et même être, Félix serait pour toujours contraint de vivre sans une part de son propre corps.
Tel une plateforme volante, le balcon se détacha et vint se positionner devant les portes d'entrée comme une estrade surélevée. Grâce au don d'Exelixi de Calliope, ils pouvaient maitriser l'espace et la gravité. Face à son peuple préféré, le roi dévoila un sourire radieux avant de commencer son discours.
— Mon cher peuple de Kardia, sa voix puissante résonna dans toute la ville cœur sans pour autant être assourdissante. Vendredi soir, lors de notre festival bien aimé, un incident des plus tragiques s'est produit. Une horde d'immondes créatures s'est invitée aux festivités. À mes plus grands regrets, beaucoup d'entre nous ont périt.
Il marqua une pause honorifique afin de laisser les nobles sortir leurs larmes. Puis, dans un spectacle absurde, ces derniers tirèrent une pipette des flacons qu'ils tenaient et se versèrent une goutte dans chaque œil.
Nery sentit une sorte de malaise lui retourner l'estomac.
— Bien, ne laissons pas la peine nous plonger dans la méfiance. La menace a été neutralisée, poursuivit-il, le conseil a su réagir avant que d'autres vies ne soient perdues et à envoyé l'armée royale pour vous protéger. Je peux donc vous garantir que la ville est à présent sans danger.
Des soupirs de soulagement fusèrent au sein de la foule, mais ils furent vite remplacés par des cris de stupeur.
- Quant a la nature de ces créatures, nous avons appris qu'elles venaient des territoires d'incompatibles. Mon cher peuple, certaine chose nous pousse à croire que ces territoires nous jalousent et cherchent donc à nous nuire. Leurs corps faibles et sans défense ont développé des maladies causées par la médiocrité. Voyez-vous comment ce virus à fait périr leur corps ? N'est-ce pas donc la preuve que l'infériorité est un monstre ?
Une nouvelle fois, Basile laissa son peuple acquiescer avant de reprendre,
— Tant que vous resterez sur Kardia, entourés de gardes pour vous empêcher de vous affaiblir, rien ne vous arrivera. Jouissez donc des plaisirs de notre magnifique ville cœur et jamais le virus ne vous atteindra.

Si le visage de Nery affirmait un certain calme, ses pensées agitées prenaient source dans le chaos. Intérieurement, elle riait, d'une part à cause des bêtises qu'elle entendait et d'une autre à cause des futures opérations qui arrivaient. Bientôt plus aucun noble n'avalerait la moindre parole de ce fabulateur.
– Comme je ne veux prendre aucun risque, si vous suspectez la moindre chose ou personne, nous vous serions reconnaissant de bien vouloir nous en faire part. N'hésitez pas à vous adresser aux gardes qui patrouilleront en permanence dans les rues de Kardia. Mais surtout, n'oubliez pas que vous êtes des êtres supérieur, n'oubliez jamais vos capacités et la force qui vous a été attribuée.
Les paupières closes, elle n'attendait que la fin de cette mascarade.
— Je vous invite donc à reprendre le cours de vos vies en toute tranquilité, Kardia est une ville sure qui chérit ses habitants. J'aimerais aussi vous annoncer que le mois d'Agapi débutera dans neuf jours alors soyez prêts, sur ce, nous nous disons à très bientôt.
D'un geste de la main chaleureux, il salua son public comme l'acteur qu'il était. Les hurlements festifs et les applaudissements qui fusèrent ensuite effacèrent toute trace du massacre. Xilef invita Nery à se relever, ce qu'elle fit sans se faire prier.
— Que vas-tu faire maintenant, l'interrogea-t-il le regard vitreux.
Sa voix teintée de colère le fit froncer les sourcils.
Tandis que les progénitures s'en allaient rejoindre l'étage de Jessamine, la dynamiste s'avança au rebord du balcon afin de mieux gouverner les nobles excités.
Quand elle apparut au-dessus des milliers d'habitants, un sentiment étrange lui écrasa la poitrine. Partagé entre un mélange de dégoût et de mépris, son visage s'assombrit. Alors qu'elle songeait déjà à les faire exploser tous jusqu'au dernier, la jeune femme sentit une sorte de magnétisme l'attirer vers la foule. Simultanément, plusieurs centaines de nobles se mirent à l'épier.
En cherchant à trouver quelque chose de récupérable dans cet amas de cas perdus, elle avait inconsciemment attiré le regard de tous les nuisibles infiltrés. Au milieu de la foule agitée, ils se mirent chacun à lever un bras. Eux-mêmes révoltés par l'humiliation des incompatibles, leurs compagnons, ils reprirent le signe de respect des progénitures, mais l'adressèrent cette fois-ci vers l'organisation.
Surprise, Nery esquissa un sourire satisfait, puis s'en alla à son tour.
- Nous sommes partout, Félix, tout est déjà fait

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant