Chapitre 5

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Helios
Tandis qu'il rentrait tout juste de l'académie, l'air ennuyé, le prince remarqua un certain affolement à l'entrée du palais. Les lustres de cristaux tremblaient sous la pression qui animait les dizaines de domestiques affolés. Sans qu'il n'eût à l'appeler, Verion rappliqua le visage toujours masqué.
Toujours sans prononcer le moindre mot, le visage du prince s'illumina aussitôt. Sans considération, il lui jeta son cartable dans les bras et commença à avancer d'un pas assuré vers l'aile ouest du Palais. À trois pas derrière lui, le serviteur le suivait machinalement. Les moulures qui se dessinaient sur le plafond du vaste couloir lumineux lui intimèrent de s'arrêter.
Intriguée par les cris de supplice qui irradiaient de l'une des portes voutées, Hélios s'en approcha curieux. À l'aura puissante qui s'en dégageait, la présence d'un exelixi demeurait certaine.
Semblable à un petit théâtre, Raphiel, un grand homme au visage angélique et aux longs cheveux d'or, jouissait sur une méridienne du balcon central. La tête sur les genoux d'une harpiste en étoffe fine ne couvrant que son nombril, l'exelixi, entouré par sa cour, se laissait gâter par divers mets. En contrebas, sur la scène tamisée, suspendue et ligotée, des domestiques flottaient, sauvagement déshabillés. Chacun, à cause des cordes qui striaient leur peau, subsistait dans des positions aussi douloureuses que provoquantes.
Au beau milieu de cette pluie obscène, une danseuse du Grand Théâtre se mouvait sensuellement avec un fouet qu'elle ne se gênait pas d'utiliser. Les gémissements des domestiques résonnaient en harmonie avec les notes de la harpe. Habitué à ce genre de spectacle qui ne semblait même pas intéresser Raphiel, le prince referma la porte qu'il avait entrouverte et poursuivit sa route.
Toujours plus dégouté par l'extravagance des exelixis, il se demanda ce que Mary avait dû endurer. Connaissant Xeryna, elle devait sans doute lui avoir infligé des douleurs pour calmer ses sautes d'humeur. Cette vision le fit sourire alors qu'il se préparait déjà à rentrer dans son personnage.
D'ailleurs depuis plus d'une semaine, la présence de cette nouvelle servante semblait lui avoir rappelé ce pour quoi il se battait vraiment. Meme si elle n'était qu'une ombre deformé de Nerezzya, la voir constamment n'avait fait qu'accroitre en un temps record son obsession pour elle. Ainsi tel une étincelle en cage, Hélios ne pouvait plus supporter sa solitude.
Devant les grandes portes, une demi-douzaine de garde restait plantés là en prévention, leurs armures bleu luisante tintèrent à son arrivée. Malgré les lances croisées qui lui bloquaient l'entrée, d'un signe de la main enthousiaste, Hélios les salua, mais ils ne bougèrent pas d'un poil. Il n'avait pas le droit d'entrée. Trop pressé pour jouer la comédie, ses doigts claquèrent, puis Verion sortit de l'ombre. À la vue du jeune homme masqué, l'escouade s'échangea des regards affolés.
— Je ne suis qu'un plein de bonnes intentions, alors laissez-moi aller le voir. Je n'aimerais pas avoir à employer la manière forte.
Après plusieurs secondes, quand la menace parut suffisamment réelle à leurs yeux, les deux gardes décroisèrent leurs armes et lui firent tourner la poignée.
L'air épuisé, son père, le Roi, griffonnait quelques mots à son bureau. Les tremblements qui agitaient ses poignets et ses paupières mi-closes trahissaient une faiblesse extrême. Lorsqu'il entendit la porte claquer, Basile se redressa aussitôt avant d'apercevoir Hélios. Un certain désarroi vint tordre son visage. Ses cheveux parfaitement coiffés aussi blonds que les feuilles d'automne et son visage charismatique n'avaient jamais paru aussi terne.
Face à tout ce mobilier immaculé et ses bordures dorées, ce dernier passa une main sur son visage avant de rejoindre le roi.
— Père, pardonnez-moi d'entrer sans prévenir, je tenais à constater directement votre état. Votre séjour au grand laboratoire semble avoir été plus éprouvant que prévu.
Face à son air trop préoccupé, Basile secoua la tête avec désapprobation.
— Tout va très bien, sors d'ici, Hélios.
— Ce sont toutes les âmes... poursuivit le prince, le regard faussement peiné. Père, sauf votre respect, vous n'êtes plus apte à maitriser une telle quantité de pouvoir. Laissez-moi vous venir en aide.
Un gloussement sans joie parcourut le roi, les deux doigts sur la tempe.
— Tu ne sais rien, pauvre avorton, tu veux m'aider, ne me fais pas rire. Comment pourrais-tu bien me servir à quelque chose.
— Faites de moi un exelixi, cela vous permettrait de tenir au moins quelques mois de plus.
Agacé, Basile fit claquer sa langue contre son palais avant de quitter son fauteuil orné de joyaux. Le surpassant d'au moins deux têtes, le roi dans son pourpoint brodé le toisa avec mépris. Hélios sentit son aura lumineuse lui brûler la rétine.
— Tel est donc ton véritable objectif... Sa voix claire fit trembler les vitraux de l'immense fenêtre face à lui. Si je me suis efforcé de maintenir l'équilibre sur Patoma, ce n'est surement pas pour voir un perturbateur tel que toi vienne tout gâcher. Et puis, faudrait-il encore que tu survives à la mutation.
– J'ai conscience du mal que j'ai pu causer ces dernières années, retorqua Hélios avec ferveur. Toutefois, durant ces quelques semaines en votre absence, j'ai beaucoup réfléchi. Je ne prétendrais pas non plus être devenu une personne différente, mais tout de même, j'ai changé. L'avenir de notre continent m'est bien plus important que n'importe lequel de mes anciens désirs puérils. Père, reprit-il plus intensément. Je ferais n'importe quoi pour vous aider.
Le sourcil arqué, Basile fit claquer ses bagues entre elles. Sous ses pieds, le tapis soigneusement tissé se mit à frémir.
— Qui essayes-tu de tromper au juste ? Tu as fait une petite thérapie, parfait ! Grand bien te fasse. N'oublie pas, je distingue à vue d'œil toutes les vérités de ta conscience, Hélios. Ton âme est toujours aussi corrompue par la haine que tu me voues et ton esprit semble encore plus instable qu'il y a trois mois. Retourne t'amuser et cesse donc de me faire perdre mon temps.
Sans bouger d'un pouce, Hélios n'abandonna pas sa mission. Malgré l'agacement qu'il lui inspirait, il parviendrait à obtenir ce qu'il désirait.
— Voilà donc, père, la preuve même de votre affaiblissement. Vous ne savez même plus mentir correctement. Mon esprit perturbé, mon âme corrompue ? Auriez-vous donc laissé votre imagination sur le bateau ? Admettons même que cela soit vrai. Existe-t-il sur ces terres un exelixi ou un noble doté de bonnes volontés. Bien sûr que non. Vous avez juste bien trop peur que je ne survive pas. Vous avez besoin de moi vivant. Pour elle.
Le regard du Roi changea du tout au tout. Obscurci par l'évocation de sa personne, Basile se dirigea lentement vers son chariot à boisson. D'un geste lent, il se munit d'un verre plat en cristal et d'une bouteille d'élixir. Tandis qu'Hélios contemplait l'élégante cheminée en marbre et son imposant miroir d'or, le nuage sombre du ciel venait engloutir le palais. Tel une douce mélodie, le liquide s'écoulant contre le fond du verre parut relaxer le roi.
– Personne n'est irremplaçable, Hélios.
– Sauf elle.
Calmement, Basile se servit un troisième verre comme s'il ne s'apprêtait pas à finir la bouteille.
– En effet. Or vois-tu, si tu ne peux honorer ton rôle, ton existence m'est bien égale.
Un rire clair s'échappa des lèvres du prince qui vint s'asseoir sur le fauteuil du bureau.
– La seule chose qui m'empêche de le faire, c'est vous. Après trois ans, Père... ces années loin d'elle, cette incapacité à lui parler, à sentir sa peau contre la mienne. Votre torture a assez duré. Je suis prêt.
— Vois-le comme de la torture, à mes yeux, ça reste ton châtiment. J'aurais pu te laisser mourir, ne l'oublie jamais. Soit, dans tous les cas, j'avais prévu de t'ôter la restriction à mon retour et de t'en imposer une nouvelle.
Les yeux du Prince s'écarquillèrent. Il avait attendu ce moment si longtemps que même son cœur semblait vouloir transpercer sa poitrine pour demander au Roi de répéter.
– Cependant, j'estime maintenant qu'à son niveau, elle sera libre de faire de toi ce qui lui chante et de te punir à sa guise. Approche.
Les membres tremblants, le prince accourut, plein d'espoir.
— Avant que vous ne le fassiez, Père, croyez-moi, je survivrais. Nous irons au grand laboratoire, et vous me transformerez. Plus je serais puissant, plus mon sang le sera aussi.
Avec dédain, Basile prit une grande inspiration sans lui répondre pour autant.
– Si je ne parviens pas à muter, vous n'aurez qu'à me tuer, comme vous l'avez fait avec Orion.
Après la mention de son frère, le prince vit les yeux de son père se plisser, mais il ne releva pas non plus cette remarque. Avec une certaine domination, le roi plaça une main sur le crâne d'Hélios, puis son aura s'étendit comme le soleil qui manquait dans le ciel.
— À partir d'aujourd'hui et comme tu l'as toujours fais, tu saigneras pour elle, l'honoreras et satisferas le moindre de ses désirs. Je te conseille de ne pas me décevoir, le trône est en jeu. Si Nerezzya venait à périr une nouvelle fois par ta faute...
— Je passerais le bonjour de ta part à Orion, poursuivit Hélios d'un air effronté.
De marbre, Basile resserra sa prise et commença à extraire le contrôle qu'il lui avait imposé. En dépit des lames par lesquelles il avait l'impression d'être transpercé. Le prince ne cilla point. La douleur n'avait jamais été un obstacle pour lui, et encore moins à présent qu'il se libérait de l'emprise psychologique du roi.
Lorsqu'il en eut terminé, son aura se rétracta. Le regard vitreux, Hélios resta un instant figé avant de revenir à la raison. Malgré son désir, il ne ressentait pas la moindre différence. Déjà dos à lui, le roi observa intensément les nuages s'assombrir davantage. Sans se faire prier, le prince quitta les appartements du roi.
Verion, qui l'attendait patiemment, s'empressa de le suivre lorsqu'il débarqua dans le couloir. D'un pas dynamique, il bouscula les gardes devant les portes. Face à la vitesse de son pouvoir, les murs ornés du Palais n'eurent que le temps de frissonner. En un temps record dans ses appartements, le jeune homme se déshabilla.
— Dépose-moi les vêtements les plus nobles de ma garde-robe. Choisis quelque chose de couvrant et taillé minutieusement. Je ne veux rien de trop extravagant. Ah ! Et je veux quelque chose d'assorti à ma broche émeraude. Si j'ai l'air d'un pauvre habitué de la maison des plaisirs, je te tranche la tête, Verion.
Immédiatement, le serviteur s'obtempéra : si jamais il ne l'avait déçu par ses choix vestimentaires, il préférait tout de même ne pas perdre une seconde.
– Il est temps d'aller vérifier ce changement de mes propres yeux. Mary ! Ma douce Mary vient me voir.
Telle une petite créature s'echappant de l'ombre des rideaux, la servante accourut.
- Viens donc, repeta-t-il en tapotant ses cuisses.
Elle aussi masquée, le prince ne s'interressait qu'à ses cheveux courts. Lorsqu'elle vint finement le rejoindre, il la laissa caresser sa joue.
- Mary, je vais enfin retrouver ma Nerezzya. J'ai changé, je ne vais plus lui faire de mal. Dis le moi.
Tandis qu'il laissait son visage se reposer sur la main de la jeune femme, cette dernière confotablement assise sur ses genoux laissa sa voix se frayer un chemin jusqu'à ses oreilles.
- Vous avez grandi mon cher prince, vous êtes prêt maintenant. Vous ne lui ferez aucun mal et obéirez à ses ordres comme convenu. Tant que vous vous souvenez de ses paroles mon prince, elle vous accueillera de bon cœur. Vous allez accomplir de grandes choses pour Kardia. Concentrez vous juste sur ce qu'elle vous a dit.

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant