Chapitre 14

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Face à cette convocation soudaine, le cœur de Nery se mit à accélérer, motivé par la méfiance. À la cire bleutée du sceau, elle comprit que la missive venait de ses parents. Étonnées par la longueur de la phrase, plusieurs secondes passèrent avant qu'elle ne commence à se préparer sérieusement. La veille du mois d'Agapi, le roi conviait les plus hautes têtes de Kardia à un banquet des plus sélectif. Elle n'avait rien à y faire pourtant, on l'y conviait au dernier moment.
Malgré toutes les questions qui se battaient dans son esprit, la jeune femme récura les moindres parcelles de son corps avec un savon à l'odeur la plus noble possible. L'eau brûlante l'entoura d'un nuage de brume lorsqu'elle sortit rejoindre sa garde-robe. A l'inverse des autres nobles, sa réputation et sa basse classe ne lui permettaient pas de s'y présenter simplement. Ainsi, devant ses dizaines de placards, rien ne lui parut à la hauteur. Par chance, elle se remercia d'avoir acheté une robe quelques heures auparavant qui conviendrait parfaitement. Encore dans sa boite somptueuse, Nery en retira le ruban avant de la tirer de son emballage.
Elle sortit l'étoffe d'un rouge calme et la souleva pour mieux l'examiner. Elle était encore plus belle que dans ses souvenirs. Les bretelles travaillées soutenaient un décolleté façon bustier tandis qu'en forme de trompette, le reste de la robe épousait à la perfection ses courbes envoûtantes. Dans un jeu de transparence, une partie basse de sa jambe droite se voyait fendue et recouverte d'une dentelle noire sertie de fines pierres, que l'on pouvait également retrouver sur le côté opposé de ses côtes et sur son décolleté.
Nery passa un doigt admirateur sur la nuée de diamants noirs qui lui caressait le flanc. Afin d'être à la hauteur des autres nobles, elle y ajouta ses plus hauts talons puis, pour finir ajouta une parure assortit et de longs gants noirs.
Avant de partir, elle appliqua sur ses lèvres un rouge sombre brillant et souligna son regard perçant d'un trait de crayon noir. Enfin, elle s'aspergea de poudre lumineuse de la maison Aphrodite qui tenait son nom d'un personnage livresque de l'Ancien Monde. À l'aide d'une brosse, elle fit onduler les mèches ensorcelantes qui lui encadraient le visage.
Fin prête, Akini reprit place dans une forme menaçante sur son épaule. Plus que satisfaite du résultat, elle hocha la tête en guise d'approbation. Si elle ne pouvait pas voir le résultat dans les miroirs de sa chambre, son simple confort lui suffisait.
Sur le pas de sa porte, elle fut prise par un vertige soudain qui la fit tituber. Le monde qui s'agitait autour d'elle sembla se fondre dans un flou douloureux. Tel un glaçon glissant dans sa nuque, une sueur froide la fit définitivement chuter.
« Nery ?! S'alarma Akini en lui parcourant le bras. Nery ! Répéta-t-il face à l'absence de réponse. »
Plusieurs minutes, la jeune femme du se concentrer pour reprendre son souffle avant de se lever comme s'il ne s'était rien passer. Le cœur battant à toute allure, elle épousseta sa robe, replaça sa mèche et recontinua sa route.
- Ces talons... Ils se sont accrochés sur un morceau du tapis. Je ferai plus attention la prochaine fois.
Peu convaincue, la créature revint sur son épaule sans dire un mot.
Il y avait certaines règles pour pouvoir entrer au palais, et l'allure en faisait partie. Si le maître de cérémonie vous jugeait trop tache pour participer à l'événement, il était impossible d'y assister. De plus, il n'existait sur Kardia rien de plus délicat qu'une réputation, comme la sienne demeurait au plus bas, elle se devait constamment de prouver sa puissance pour ne pas être prise pour une esclave. Par ailleurs, elle ne pouvait se permettre d'être la risée du banquet, avec ses parents qui seraient présents, les couvrir de honte lui serait fatal.
Si elle ne parvenait toujours pas à comprendre pourquoi on la convoquait ainsi, elle ne tarderait pas à le découvrir.
Comme à son habitude, Silas était encore pointé devant l'entrer comme s'il habitait les lieux. Une nouvelle fois, quand il vit la jeune femme, son regard s'écarquilla et sa bouche s'entrouvrit dans un élan d'admiration. Il ne bougea pas d'un pouce quand elle l'interpella plusieurs fois.
- SILAS ! Finit-elle par crier.
Le jeune homme sursauta et se ressaisit honteux.
- Oui ! Pardonnez-moi Madame, mais vous êtes d'une splendeur sans équivaut.
- Je te remercie, peux tu me mener à ma diligence s'il te plaît.
Le trajet ne fut pas long du manoir jusqu'au palais étant donné le cours espace qui les séparait. Elle ne fut pas déposée devant l'entrée principale Sud, mais vers la Nord comme il ne s'agissait pas d'une soirée publique.
La musique se faisait entendre de dehors, les violons sifflaient avec entrain, attirant comme un aimant la jeune femme portée par le ciel bleu nuit.
Les faces sculptées des pierres blanches se voyaient ornées de lierre grimpant aux fleurs sauvages développées. En forme de croissant, la lune scintillait tandis que les chandeliers extérieurs brûlaient d'entrain. Deux gardes armés surveillaient de part et d'autre les portes robustes.
Celui de gauche la scruta de haut en bas avant de lui demander son invitation. Elle lui présenta à la place la missive. À la vue du sceau, il s'excusa et se hâta de la laisser entrer. Dans une bourrasque olfactive, un mélange d'élixir et d'euphorie, mélangé au parfum enivrant des invités, lui chatouilla les narines.
Nery se retrouva face à une fastueuse salle d'entrée. Le plafond aux moulures raffinées devait être à plus de vingt mètres de hauteur et laissait en son centre trôner un merveilleux lustre d'or qui aurait pu illuminer, à lui seul, tout le manoir de Nery. Quant au sol, sous un épais tapis aux motifs royaux brillait un parquet symétrique et lustré. Les murs également richement ornés soutenaient plusieurs divans rembourrés et de hautes plantes exotiques.
Nery, le souffle court se présenta au maître de cérémonie qui à sa vue s'exclama.
-Nerezzya ! Mon diamant brut, quel plaisir de vous revoir !
Il frappa dans ses mains tout excitées avant de lui tourner autour tel un artiste examinant son œuvre.
- Massimo ! Le plaisir est partagé, comment vous portez-vous ?
- À merveille, depuis que vous êtes arrivée, je ne me lasse pas de votre toilette !
Dans un élan d'exagération, il s'éventa le visage avant de passer une main mitigée sur sa moustache courbée.
- Puis-je vous demander d'où vient votre accoutrement, je n'ai pas le souvenir d'en avoir vu de tel dans Kardia ?
- Évidemment, railla-t-elle, il a été fait sur mesure par ma couturière personnelle.
- Cela fait plaisir de voir une noble avec un certain goût vestimentaire, à croire que de nos jours seul le dévergondé est à la mode.
Nery gloussa du même avis, en effet, les nobles ne faisait pas attention à leur accoutrement tant que le bout de tissu était coûteux et qu'il dévoilait un maximum leurs attributs.
- Bienvenue sur Kardia, déclara-t-elle en levant les yeux aux ciels
- Je vous laisse entrer maintenant, allons boire un thé pour discuter d'étoffe à l'occasion.
- Avec grand plaisir, lui répondit-elle avec une sincérité inhabituelle.
Sur ceux, le maître tourna à l'aide de sa main gantée la poignée élégante. Puis tout s'enchaîna.
Si la salle d'entrée restait époustouflante, elle n'était rien face à la salle de réception. Tout y était trois fois plus grand et plus luxueux. Dans la même architecture, le plafond était recouvert par une fresque éblouissante. Les moulures d'or qui encadraient les murs rappelaient l'encadrement des nombreux divans pourpre sur lesquels se voyait étendus bon nombre de nobles.
Nery fut vite saisi par la pression qu'exerçaient les auras des exelixi et du retenir par la suite un haut le cœur. À son premier pas, elle fut attirée par la mélodie entrainante de l'orchestre. Au centre de la pièce, une valse sensuelle se voyait exécuter par une vingtaine de couples. Tandis qu'ils entouraient le buffet débordant de mets, d'autres remplissait leurs coupes d'élixir aux différents bars.
Des exelixi mesurant plus de trois mètres s'épanouissaient autour de quelques grands-maîtres et maîtresses de Maison. S'ils ne dansaient pas avec sensualité, ou ne s'abreuvaient pas, une autre partie des nobles s'embrassaient et se prélassaient sur les divans dans une avalanche de gémissement et d'extase.
Nery aperçut parmi le haut peuple des personnalités publiques comme Dame Evelyn, la plus célèbre cantatrice du grand théâtre ou même Achille le frère jumeau de Régina qu'elle ne s'attendait pas à voir ici. Il riait aux éclats tout en racontant sans doute pour la centième fois de la soirée son incroyable combat contre les anomalies dans des gestes ivre mort. Visiblement, il faisait partie des attractions du banquet.
Dégoutée par tous ces nobles qui l'avaient torturé durant son enfance, elle se contenta de garder le menton haut. Le ventre serré, la présence d'Akini la rassurait. Même si on dénigrait les dynamistes, afficher fièrement son imposant Dynami lui semblait provocateur.
Bien décidé à rencontrer ses parents qu'elle ne voyait nulle part, elle s'engouffra dans le banquet d'un pas assuré. Toutefois, avant d'avoir pu faire quoi que ce soit, Nery se fit bousculer par un jeune homme dont la chemise déboutonnée se voyait si fine qu'elle en était transparente. Elle ne fut pas surprise de tomber nez à nez avec un Damian euphorique et ses muscles brillants, affublés de trois nobles tout aussi dépravés.
Si le petit groupe avait tenté de masquer leurs ébats récents, c'était un échec cuisant. Un érotisme habituel émanait de leurs longs corps encore chauds. La tête renversée le garçon riait aux éclats, complètement ivre.
Le simple regard désapprobateur de la jeune femme le fit dessaouler aussitôt. Les joues rougies, il tenta de se ressaisir, mais une lueur malicieuse brûlait trop fort dans son regard pour être ignoré. D'un geste dédaigneux, il ordonna à ses camarades de partir avant de se mettre à dévorer Nery du regard.
- C'est donc ce que tu cachais sous ta cape, ma foi souffla-t-il, pourquoi les plus beaux fruits sont-ils toujours les plus inaccessibles ?
- Très bonne question, je te laisse y réfléchir tout seul.
- T'entendre me parler sur ce ton me donne des frissons de plaisir, souhaiterais-tu un rafraîchissement ma tendre Nery ?
Damian passa une main dans ses cheveux en bataille avant de lui tendre son avant-bras dans un geste galant. Elle le dévisagea comme s'il était couvert de pourriture avant de lui déclarer.
- N'attends pas de moi que je touche la moindre parcelle de ton corps souillé.
- Enfin Nery, après ce que j'ai fait pour toi, je mérite bien un peu de gentillesse de ta part non ?
La dynamiste poussa un gloussement sidéré.
- Dois-je te rappeler que tu l'as fait pour échapper à la mort et non pour me rendre service ?
- Détrompe-toi, tu es une créature pleine de mystère qu'il me plaît d'aider. En plus, je suis le favori des nobles, tu me dois un minimum de respect.
- Bien railla-t-elle lassé d'argumenter, j'accepte votre bras, petite putain de la cour.
Il s'esclaffa face à sa plaisanterie et la guida jusqu'au bar sous le regard attentif de nombreux hauts nobles qui ne manquait rien de leur conversation. Elle se détacha à la hâte et reprit son air supérieur, ne voulant pas être prise pour une de ses conquêtes. La dynamiste le laissa lui servir un verre de cristal sophistiqué. Dans une petite révérence, il lui tendit ainsi le contenant, un regard lourd de sous-entendus et un sourire espiègle aux lèvres.
Avant de l'attraper, elle leva les yeux au ciel puis le saisit rapidement. Entre ses doigts, elle sentit une telle faiblesse que la coupe lui parut plus lourde que son propre Dynami. Ainsi, elle remua d'une rotation l'élixir avant de le boire d'une traite. En lui rendant rapidement le verre, elle donna à Damian une petite tape sur la tête comme on aurait remercié un animal domestique.
L'attention qu'on lui portait jusque-là se retourna enfin vers le roi Basile qui fit son entrée avec une étonnante énergie. On le salua respectueusement ce qui fit comprendre à la jeune femme qu'il s'était absenté un court instant. Il souria chaleureusement à ses convives avant de s'installer sur un des canapés de l'estrade royal. Affublé de servants et d'Exelixis, il apparaissait justement aux côtés des parents joyeux de la jeune femme.
Les longs cheveux ondulés de sa mère caressaient son dos nu en une cascade rousse et brillante. Elle arborait une simple étoffe travaillée qui dévoilait toutes ses formes sensuelles. Parcourut par différentes chaînes serties de pierres, le tissu noué autour de son cou laissait deux bandes lui recouvrir rapidement la poitrine et s'entrouvrait de chaque côté de sa taille jusqu'au sol ne laissant qu'un long morceau d'étoffe lui flotter entre ses jambes.
Sa beauté était frappante, presque assommante. Son père quant à lui discutait avec un autre exelixi, une coupe d'élixir a la main. Sa musculature imposante n'était couverte que par une simple toge fine.
Si elle parvenait à les affronter chacun de leur côté, seule face aux deux, elle se sentait encore plus faible. Une nouvelle sueur vint la refroidir. Ils avaient cessé de la reconnaître comme leur fille lorsqu'elle s'était révélé n'être qu'une dynamiste, la laissant ainsi à la merci des autres nobles tel une honteuse bête de foire.
Le roi à l'aura transcendante affublait sa couronne de ronces et de pierres précieuses avec fierté. Son charisme semblait captiver son entourage sans pour autant diffuser quelque chose de sexuel. Il portait une fine chemise à manche bouffante orné au cou d'une broche royal et un veston brodé.
Un sifflement fusa derrière son oreille et la présence de Damian lui revint soudain à l'esprit.
- Ne le prends pas mal mais j'oublie toujours que ce sont tes parents, vous ne semblez pas très familier.
- À l'inverse de toi, qui ressemble trait pour trait à ton père.
Les deux jeunes gens jetèrent un regard à Raphiel, allongé sur un divan et couvert de baisers par une horde de jeunes nobles.
- Mais d'un autre côté, reprit-il comme si de rien était, je ne suis jamais étonné, vous dégagez la même chose.
- Du mépris, ironisa-t-elle ?
- Non, du pouvoir.
La dynamiste ravala sa salive peu à l'aise.
- Ne me flatte pas vilain dépravé.
Il s'esclaffa avant qu'un regard perçant ne lui transperce la poitrine. Orpheus la fixait, ses yeux émeraude brillaient sous les chandeliers dans un air menaçant. Il adressa un signe à sa mère qui la vit et qui à son tour prévint le roi.
Ce dernier s'exclama avant de se jeter sur elle du regard, un sourire enthousiasme aux lèvres. Il se leva d'un bond sous les regards attentifs des nobles, puis, d'une main tendue, l'invita à le rejoindre.
- Quelle femme convoitée tu es Nerezzya, à peine cinq minutes avec toi et tu es déjà demandé par le roi.
La dynamiste ne l'écoutait pas, bien trop occupé à soigner son expression faciale, pour faire attention à quoi que ce soit d'autre. Une vague de stress la submergea, ses mains devinrent moites, mais elle se rappela vite qu'elle était à présent observée par tous les invités du banquet. Avec un sourire tout juste provocateur, elle s'élança alors, la tête haute et d'un pas confiant, à travers les nobles qui s'étaient écartés pour la laisser passer.
Avec élégance, elle monta les quelques marches qui la séparaient de l'estrade royale laissant couler derrière elle la traîne somptueuse de sa robe, puis saisit avec un dégoût profond la main du roi Basile.
La musique continuait comme si de rien était tandis que les conversations à présent toutes dirigées sur le petit spectacle reprenaient. Son cœur battait à tout rompre et ses pensées se bousculaient violemment. Sur le divan, sa génitrice avalait une coupe d'élixir silencieusement. La dynamiste émit une révérence si distinguée qu'elle aurait aimé se trouver parmi les convives pour l'admirer.
- Je t'en prie Nerezzya, assieds-toi, commença Basile tout sourire.
Sa voix était joyeuse et imposante tandis qu'elle s'exécutait bien que perplexe.
- Xeryna, ta fille est un bien charmant spécimen, reprit-il en la reluquant.
- Bien évidemment, à quoi t'attendais-tu de ma part, railla sa mère sur un ton condescendant.
Nery avait envie de vomir tant les personnes qui l'entouraient la dégoûtait. Mais elle se contenta de sourire poliment.
Orpheus et Raphiel vinrent les rejoindre.
- J'espère ne pas t'avoir trop surpris en demandant à mes chers amis de te faire venir au dernier moment. Vois-tu, j'ai beaucoup d'estime pour toi et tu commençais à me manquer.
- Non loin de là. C'est un honneur de recevoir votre attention mon roi.
Celui-ci avala une gorgée d'élixir dans sa coupe de cristal avant de croiser ses jambes.
- Je t'en prie mon enfant, nous sommes au-dessus de toutes ces paroles formelles ! Soit, j'avais à te parler. Un instant, son regard s'attarda sur Akini, j'oublie souvent que tu es une dynamiste, rajouta-t-il davantage pour lui-même. Quel gâchis...
- Ne vous peinez pas trop mon roi. Dynamiste ou non je reste de loin plus puissante que tous les autres Prostasias.
Elle avait choisi ses mots avec soin et les avaient accompagnés d'un sourire tout juste charmeur pour montrer au roi son assurance. Basile avait la peau lumineuse et un sourire hypnotisant dont il demeurait difficile de se détacher.
- Je n'en doute pas une seconde. C'est juste que tu viens mettre le bazar dans mon petit système. Je n'aime, en général, pas trop les déviants.
A ses mots, Nery eut une pensée pour Felix.
- Mais soit ! Comme c'est toi, même incompatible, je t'aurais apprécié, c'est dire mon respect. Par ailleurs, j'avoue vous envier Orpheus, même mon fils n'avait pas son niveau.
- Il fallait bien qu'elle rattrape sa maigre constitution, répondit-il en la fusillant discrètement du regard, si ce n'avait pas été le cas, je l'aurais déjà tué, afin qu'elle ne nous porte pas plus préjudice.
- Si tu l'avais fait, je t'aurais tué à mon tour, ria le roi.
- On en aurais juste fabriqué un autre sans une nuit d'élixir au préalable rétorqua Xeryna.
Sur ses mots, le roi s'esclaffa de nouveau ainsi que les autres exelixi présent.
- Pitié non, défaillant ou non, cinq cents ans d'attente, c'était déjà suffisant, ajouta le roi en secouant la tête.
Comme perdu dans un océan de bribes inaudibles, Nery ne comprenait rien à la conversation. De même, elle ne savait pas ce qui la stupéfiait le plus entre le nom du prince employé au passé, le peu de considération qu'on lui offrait ou bien ce besoin incontrôlable d'avaler tout le sang du roi.
C'était clair, ce moment ferait sans doute partie des plus étranges de toute sa vie. Tel un tambour, violent, les battements du cœur de Basile résonnaient dans son esprit tandis que l'odeur irrésistible du sang lui chatouillait les narines. Tel un animal en pleine nuit, ses pupilles se dilatèrent et l'eau lui monta à la bouche.
- J'ai une proposition à te faire, poursuivit le roi en étudiant son apparence avec une pointe de tracas.
Nery arqua un sourcil interrogateur pour l'inviter à continuer tout en se contrôlant elle-même de ne pas succomber à l'envie qui n'avait jamais été aussi ardente. Vu la manière dont ils l'étudiaient tous, elle commençait à se demander si cette pulsion n'était pas provoquée volontairement par le roi.
- J'imagine que tu es déjà au courant, mais le prince est destiné à former une union avec la charmante Jessamine. Je tiens à rappeler que tu étais la prétendante à ce titre avant que tu ne te révèles n'être qu'une dynamiste. C'est pour cela, continua-t-il, que j'aimerais te faire une proposition. Si le prince te choisit toi plutôt que Jessamine, je t'accorderais le pouvoir d'exelixi et cèlerai ainsi votre union.
Nery se figea, un sourire forcé bloqué aux lèvres. Décidément, plus rien ne détenait le moindre sens. Quel était le rapport avec Hélios ? Pourquoi lui proposait-il une telle chose en ayant déjà conscience de ses sentiments profonds ? Le verre d'élixir qu'on venait de lui remettre glissa entre ses doigts et se brisa contre le tapis avant qu'un domestique ne se dépêche de venir nettoyer. Son cœur avait cessé de battre, bien trop stimulé par ses émotions. Le regard ancré dans la tâche qu'avait laissé l'élixir sur le tapis, elle cligna des yeux afin de retrouver la raison, mais la confusion totale qui l'envahissait l'en dissuadait.
- Mon roi, c'est une bien belle offre que vous m'offrez là, reprit-elle avec difficulté, mais qu'est-ce qui vous fait croire que votre proposition m'intéresse ?
Basile joignit les bouts de ses phalange avec sérieux.
- Tu sais, je lis en toi comme dans un livre ouvert Nerezzya, ta haine vis-à-vis de l'injustice dont tu es victime est palpable et tout à fait légitime. Il existe ainsi une manière pacifique d'obtenir tout ce que tu désires sans déployer trop d'effort.
Un instant, le cœur de Nery se remit à battre juste pour manquer un battement. Faisait-il référence aux anomalies déployées sur la ville ? Avait-il eu connaissance de ses plans ? Comme il était rare que cela arrive, elle ressentit un frisson d'épouvante. Basile maîtrisait auparavant le pouvoir de l'esprit, mais comme Augustus, son don avait fini par s'estomper. Lui restait-il encore des traces lui permettant de sonder son esprit ? Plongée dans une bulle d'incertitude Nery tentait de calmer au même moment, sa pulsion qui ne faisait que monter en flèche.
- C'est donc ce que vous pensez ? Reprit-elle avec un calme difficile, que je ne suis qu'une vulgaire dynamiste jalouse et complexée... Ne vous méprenez pas mon roi.
Elle ne put rien ajouter d'autres puisqu'une douleur vive vient lui ronger le ventre comme une rafale de coup de dague. La jeune femme se força avec le plus grand des contrôles, à ne rien laisser paraître de la douleur que sa mère était en train de lui infliger, bien qu'elle soit telle que le coin de ses yeux s'humidifiait.
- Basile, votre clémence envers mon rejeton me touche énormément, c'est avec grand plaisir qu'elle acceptera.
- Je t'en prie Xeryna, je ferais n'importe quoi pour que nos familles puissent prospérer dans les meilleures conditions. Alors Nerezzya, quel est ta réponse ?
Cette dernière n'entendit que quelques mots comme si sa tête était retenue sous l'eau, la vue complètement embuée par la douleur et au bord du malaise. La jeune femme se serait déjà écroulée si les ongles qu'elle plantait si fort dans ses paumes ne la maintenait pas en place. Trop de choses commençaient à la faire faillir et ses limites ne supporteraient bientôt plus toute cette pression.
Nery ne voulait en aucun cas se montrer faible face à ces gens, pourtant, c'était bien ce qu'elle était en leur présence, faible.
- Bien, si vos intentions sont si nobles, j'accepte volontiers mon roi et vous remercie pour votre clémence, termina-t-elle sur un ton détaché.
Quand elle eut prononcé ses mots guidés par la douleur, toute sa douleur s'évapora aussitôt ne laissant qu'une Nery haletante et une mère satisfaite par sa victoire.
Par ailleurs, l'ombre sur le visage du roi encore plus comblé s'illumina davantage. Avec un sourire bien satisfait, il tendit sa main puissante vers la jeune femme.
- J'en suis ravie, dans ce cas remercie moi comme il se doit ma chère Nerezzya.
Le geste, le choix de ses mots, tout était calculé. Le souverain pensait pouvoir la manipuler, mais c'était inutile. À présent qu'il ne lui restait plus qu'une idée en tête, Nery ne partirai pas sans son dû.
Alors avec l'assurance la plus absolue, elle se releva, faisant craqueler sous ses talons, le cristal brisé qui restait. Puis, avec une insolence masquée sous un respect factice, elle fit une révérence distinguée tout en gardant ancrer ses yeux dans ceux du roi et lui saisit la main avant d'y déposer un baiser du bout des lèvres.
Elle se redressa avec lenteur laissant une maigre goutte du liquide pourpre lui glisser au bout du doigt.
- J'ai une dernière chose à te demander, que penses-tu de l'attaque récente ?
Cette fois-ci, elle fut certaine qu'il la soupçonnait d'en être la cause.
- Enfin mon roi retorqua-t-elle avec un regard noir, vous devriez le savoir puisque vous lisez en moi comme dans un livre ouvert.
Il ria silencieusement ne la lâchant pas de ses yeux perçants tandis qu'elle s'en allait sans se retourner. Les sens en ébullitions, il se passa une main intéressée sur les lèvres avant qu'un goût métallique ne vienne le déranger. Après un bref coup d'œil, il remarqua une fine entaille sur la phalange de son auriculaire. Subjugué, il compara sa coupure à une caresse avant d'afficher un sourire aussi admiratif que satisfait.

Les sourcils froncés par l'ébranlement, Nery avait emprunté la première porte à sa portée puis s'était laissé vagabonder dans les couloirs de l'immenses du palais. Les claquements réguliers de ses talons qui résonnaient constituaient la seule preuve de vie dans cette immensité de vide. Ce fut étrange, elle n'avait pas la moindre idée d'où elle se trouvait et aucun domestique n'était présent. Les petits chandeliers muraux brûlaient d'une lueur faible et orangée, qui lui donnait un air dramatique. Titubante, elle descendit un escalier au hasard dans l'unique but de reprendre son souffle.
Après avoir avalé le sang du roi, son corps avait été pris par des tremblements démentiel à répétition, sa peau la brûlait jusqu'à la faire allaiter de fatigue tandis que dans sa nuque, des sueurs froides lui faisaient tourner la tête. Elle s'adossa après plusieurs minutes sur une colonne de marbre, la tête renversée par l'épuisement. Sur son épaule, il n'y avait plus aucun signe d'Akini.
Son crâne lui faisait si mal qu'elle ne souciait pas de la pitoyable image qu'elle renvoyait. Comme prit dans une sorte de toile cauchemardesque, ses souvenirs les plus affreux se mélangeaient pour ne former que d'autres images plus horribles encore.
Si elle avait déjà avalé du sang à de très nombreuses reprises, jamais un tel effet ne s'était produit. À l'inverse, elle devait se sentir puissante et pleine de vie, or, son front humide lui donnait l'impression d'avoir consommé un poison mortel. Quand elle eut songé à s'abandonner et à attendre qu'un domestique ne la trouve, des quintes de toux maladives se firent entendre de plus en plus fort comme si elle se rapprochait en sa direction. Elle tenta sans trop savoir pourquoi de se cacher, mais au moment où elle se décolla du mur, ses genoux tremblèrent avant de lâcher. Telle une misérable mourante, elle se retrouva donc aussitôt effondrée sur le sol.
Les dalles sous ses paumes étaient froides et rugueuses si bien que quand elle y retira sa main, des formes irrégulières s'étaient dessinées sur sa paume avec un amas de poussière.
Nery distingua une silhouette vacillante s'approcher d'elle à grand pas. En une fraction de seconde, la silhouette se retrouva devant elle. Impuissante, la jeune femme avait perdu toute capacité physique et son opposant d'une taille titanesque ne semblait pas aller beaucoup mieux vu les secousses irrégulières par lesquelles il était agité. Sans trop comprendre, elle le vit se jeter à genoux devant son corps affaissé, avant qu'il ne passe une main soucieuse et glacée sur son front brûlant.
Puis d'un coup, tout s'enchaîna sans qu'elle ne puisse rien n'y faire. Nery sentit son corps se hisser dans les airs avant qu'un bras protecteur ne la serre avec faiblesse. Elle entendit des morceaux de phrases incompréhensibles tandis qu'une main lui caressait l'arrière du crâne avec douceur.
Les bras de la jeune femme se placèrent avec lassitude autour du cou de son porteur jusqu'à ce qu'elle ne s'abandonne à l'odeur enivrante qui lui emplissait les narines. Dans son ivresse maladive Nery remarqua à quel point ce parfum lui était familier. Il était impossible de le décrire sans lui porter préjudice tant il demeurait captivant, pourtant il restait semblable à un mélange d'ambre et de bois frais, ajouté au savon de sa fine tunique délacé....
Malgré le masque entièrement noir qui lui recouvrait le visage et l'épaisse cape qui l'enveloppait, Nery à l'odeur de son sang comprit qu'il s'agissait d'Hélios. Lents et parfois chancelants, ses pas détenaient au moins le mérite de la bercer un peu. Nery se retrouva dans une phase étrange entre les songes et l'éveil semblable à un malaise perpétuel. Qu'il survive, elle n'en avait pas douté une seconde, mais qu'il se retrouve au palais, elle ne parvenait à le comprendre.
Le jeune homme s'arrêta enfin dans une pièce qu'elle reconnut malgré le flou environnant. Elle sentit son corps s'engouffrer dans un matelas confortable et des draps soyeux, la silhouette trouble vint s'affaler à ses côtés, hors d'haleine. Visiblement, il devait être en train d'assimiler son nouveau corps.
Pendant quelques longues minutes, les deux ne prononcèrent pas le moindre mot, chacun restait bien trop occupé par sa souffrance personnelle. Nery dans un court instant qui ressemblait à de la lucidité, pivota sa tête vers son sauveur qui fixait le plafond derrière son masque.
- Hélios ?
Sa voix demeurait à peine audible tant sa gorge était desséchée.
- On ne reparlera jamais de ça, parce que c'est ce que tu fais toujours, tu préfères oublier. Mais bon sang, tu n'es qu'une pauvre idiote...
Il souffla et par la même occasion et fut reprit par une quinte de toux pitoyable. Il avait davantage parlé pour lui-même.
- Je ne suis pas faible, insista Nery comme pour se convaincre. C'était juste...
- Je sais, c'est à la fois ce que je déteste et ce que j'aime le plus chez toi.
Ne sachant trop quoi répondre à cela, elle resta silencieuse pendant un long moment. Mais quand elle arriva aux portes du sommeil, elle entendit dans son étrange réalité Hélios rajouter.
- Même mourante, tu étais la plus magnifique ce soir.

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant