Chapitre 1

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                                                                                             Nery

Les couloirs, signe d'un retard considérable, demeuraient déjà déserts lorsqu'elle y fit le premier pas.
Plus tôt, dans son manoir, Nery avait tout juste eu le temps d'enfiler son uniforme et de se rincer le visage. Une partie d'elle priait pour qu'il ne reste point de sang sur ses cheveux. Survolant ses épaules et d'un noir obscur, ces derniers lui encadraient le visage avec une élégance sauvage. Quant à Akini, son dynami, il se reposait sur son épaule, trop épuisé par son combat.
À l'autre bout de l'académie, sa classe de matérialisation venait de débuter et elle ne se trouvait encore une fois qu'à l'entrée du bâtiment. D'un râlement ennuyé, la jeune femme dont les souliers à talon clapotaient contre les dalles se mit à trainer sans conviction. Même si son corps ne ressentait pas la fatigue, cette bataille avait drainé toute sa motivation. Certains gardes, immobiles comme des gargouilles, la dévisageaient du coin de l'œil.
Aussi impressionnante que toutes les autres portes de Kardia, la ville cœur, celle de sa salle de cour lui intimait de faire demi-tour. Soit, même si ce n'était pas l'envie qui lui manquait, Nery en fit pivoter la poignée. Son entrée grinçante ne suscita même pas un regard de la part de ses camarades. Déjà bien habitués à ses nombreux retards, ils la fuyaient comme une incompatible.
Rapidement, elle descendit quelques marches en vitesse avant de rejoindre sa place sur le banc. La salle de matérialisation prenait selon les normes des pièces destinées au combat une forme d'arène. Ainsi, entouré d'estrades de travail en pierre, il trônait au centre une vaste étendue de terre. Par ailleurs, situé dans l'aile ouest de l'académie, le toit de la salle se voyait constitué d'une parabole de verre orné de feuilles d'or. Ce matin, une certaine mélancolie régnait. En effet, d'épais nuages grisâtres obscurcissaient le ciel.
Seule sur une rangée en hauteur, seule dans cette jungle qu'incarnait l'Académie de Kardia, elle plongea la tête dans ses bras.
Lorsque l'ancien monde avait laissé place au nouveau après le grand chaos, les nouveaux êtres humains avaient vu leurs âmes fusionner avec les dernières formes de vie, celles d'animaux, d'insectes ou de végétaux. Or, parmi les nombreuses conséquences de ce changement, ces derniers ne pouvaient à présent plus exister naturellement sur ce continent. De ce fait, si les incompatibles qui possédaient une âme simple vivaient reclus dans des villages aux quatre points cardinaux, les autres, considérés comme nobles, s'épanouissaient sur Kardia. Au cœur et épicentre de tout.
Sous le règne d'un roi considéré comme le « dernier » véritable survivant de l'ancien monde, cette même noblesse aux âmes corrompues se voyait régie par une pyramide hiérarchique. Au sommet, le roi bien évidemment et ses quinze grands exelixis. Ayant fusionné avec un nombre incalculable d'âmes, ils formaient aux côtés de leur souverain ce qu'il existait de plus puissant sur Kardia.
Venaient ensuite les Prostasias, les réceptacles d'une âme animale. À l'inverse des Dynamistes, ils ne pouvaient pas matérialiser leur espèce, ainsi, certains possédaient parfois des caractères physiques tels que des oreilles pointues ou une longue queue. La plupart, cruels et narcissiques jouissaient en général d'une force surhumaine, de griffes aussi tranchantes que des lames ou bien d'une vitesse prodigieuse.
Bien différentes de toutes autres espèces, les fytos, contrôlant la nature dans son intégralité, résidaient sur des territoires clos entre communautés. En plus de fournir la ville cœur en vivres et autres matériaux primaires, eux seuls pouvaient apporter au continent la végétation nécessaire.
Enfin, les dynamistes, ayant fusionné avec une âme d'insecte, ils se voyaient être la seule espèce capable de matérialiser leur deuxième âme. Cette matérialisation à force d'entrainement pouvait donner naissance à des armes puissantes. Être capable de la maitriser se révélait parfois impossible pour certains.
Nery était le genre d'exception à la règle, puisqu'elle ne demeurait qu'une dynamiste. Honte vivante pour ses parents, tous deux Exelixi. Ses capacités et leur position hiérarchique lui avaient permis d'étudier en classe supérieure. Néanmoins, elle restait obligée d'exercer son dynamisme avec les autres de son rang.
Avec un semblant de discrétion, deux élèves assises quelques rangs plus bas se retournèrent. Regina et Bree, toutes deux héritières de grande maison. Si leurs manières, fruit d'une éducation trop présomptueuse, lui inspirait un profond mépris, elles détenaient au moins le mérite d'être classées parmi les meilleurs dynamistes de l'académie.
Avec mesquinerie, elles se chuchotèrent quelques mots sans doute passionnants avant de se rasseoir hilare. Nery ne leur adressa même pas un regard, seule elle-même et ses propres objectifs en valaient la peine.
Après plusieurs minutes, sir Marius arriva enfin, en retard comme à son habitude. Ses mouvements paresseux et son visage sinistre, marqué par de larges cernes, lui donnaient l'air de ne pas avoir dormi depuis plusieurs siècles. Sans retenue, il bailla à en faire trembler les murs avant de poser sa tasse de café sur le bureau en contrebas. Son éternelle fatigue était une source passionnante de rumeurs. En effet, on le soupçonnait même d'appartenir au papillon, une organisation criminelle méprisé de Kardia.
Le professeur ne cherchait même pas à nier ces idées, il subsistait bien trop épuisé pour le faire. Tout de même, c'était faux, Nery le savait, car elle en faisait elle-même partie. Sir Marius ne devait sa fatigue qu'à sa mauvaise constitution. Avec une lenteur ridicule, il fit tomber sa chaise en tentant de s'appuyer dessus. Le choc contre l'estrade de bois sembla durer une éternité. Le regard vide, il la laissa à terre et continua normalement.
Sa tunique blanche aux boutons mal assortis et froissés laissait apercevoir quelques taches terreuses. Quand il fut bien installé directement sur son bureau, sir Marius débuta son enseignement. Tel des flammes calmées par un couvercle, les élèves se turent pour le laisser parler.
Professeur de matérialisation, il se chargeait de leur enseigner durant la moitié du temps l'aspect stratégique du combat, puis dans l'autre, la pratique. Même si son apparence désastreuse n'en laissait rien paraitre, il détestait le manque de discipline. De ce fait, s'il n'était pas suffisamment réveillé pour s'énerver au début du cours, durant la pratique, il ne manquait pas de se déchainer sur ses élèves. La dernière fois, par exemple, il avait découpé le bras de Noah, un dynamiste au comportement trop dissipé selon lui.
— Bien, entama-t-il, qui sait sur quoi portera le cours d'aujourd'hui ? Déjà lassée, la jeune femme préféra se rendormir.
Les hauts plafonds des vestiaires silencieux retenaient une certaine fraîcheur. Tel une corde tendue, Akini s'étira de toute sa longueur lorsqu'elle dut enfiler sa tenue d'entrainement. Incarnant l'âme de la chenille avec laquelle Nery avait fusionné, son corps aussi long qu'épais devait mesurer au moins trente centimètres. De la même noirceur que ses cheveux, le Dynami se logeait la plupart du temps le long de sa nuque et de ses épaules. Malgré les remarques et la méfiance qu'il suscitait, Nery appréciait l'effet de cette écharpe ténébreuse.
« Tu ne me laisses donc aucun repos ? » murmura-t-il sur un ton sarcastique.
Comme sa détentrice, le Dynami était doté d'une anormalité : il parlait. Aucun autre n'en était capable, et elle n'avait jamais eu d'explication au pourquoi du comment. Comme hypothèse, Nery pensait qu'il détenait juste tellement de remarques désagréables à transmettre que la puissance de son désir avait développé chez lui la parole.
La jeune femme troqua sa jupe et son veston soigneusement pliés pour un ensemble noir qu'elle enfila avec difficulté. À chaque fois, elle se demandait comment devait-elle remporter un combat réel avec un accoutrement si désagréable à enfiler. Il possédait tant de pièces complexes et superflues qu'il ressemblait à un déguisement. À l'inverse, la combinaison qu'elle utilisait pour ses missions était bien plus pratique. Or, cette tenue demeurait à l'image des Kardésiens, excessivement trop.
Toutefois, le pantalon moulant et le justaucorps en polytextile lui offraient une flexibilité et un confort remarquables. Une fois vêtu, Nery sortit de son vestiaire personnel (après plusieurs plaisanteries puériles, elle avait réussi à en obtenir un privé) sans grande conviction. Akini de nouveau en place, elle rejoignit ses autres camarades sur le terrain.
L'atmosphère durant la pratique changeait du tout au tout. En effet, cette heure restait le seul moment où l'on pouvait étaler ouvertement sa force et son ressentiment tout en gagnant des points sur le classement des meilleurs élèves. Nery bailla et se posa dans un coin en attendant que le cour commence. Déjà bien assez entrainée, elle ne prit pas la peine de s'échauffer avec les autres.
Sir Marius refit son entrée, ses yeux bouffis trahissaient la sieste clandestine qu'il venait d'effectuer. Lorsqu'il commença à ordonner des équipes de deux, un soupir s'échappa de ses lèvres pincées. En temps normal, c'était un dynamiste assez faible à l'âme de fourmi qui se retrouvait avec elle. Aussi lents que faibles, les combats contre lui subsistent d'un ennui mortel. À chaque fois, Nery terminait par se battre avec le professeur qui prenait pitié.
Ce matin-là, comme ça pouvait arriver, Regina qui avançait le regard noir semblait bien décidée à l'affronter. Malheureusement, Achille, son frère jumeau la devança. Il mesurait bien deux têtes de plus qu'elle et devait sans doute peser trois fois son poids. Pour ne rien arranger, ses muscles bien trop développés rendaient son uniforme ridiculement petit.
Sept secondes, c'était le temps que Nery estimait, largement, suffisant pour le vaincre. Avec assurance, il passa une main dans ses cheveux avant de lui offrir un large sourire brillant. Son œil commença à tressaillir.
— Dis, tu voudrais bien qu'on fasse équipe ? Demanda-t-il d'un ton faussement gêné.
Un instant, Nery le considéra, puis jeta un bref coup d'œil derrière lui. Regina immobile, le sourcil arqué semblait en phase de décomposition. Comme elle s'y attendait aussi, les autres étudiants la fusillaient du regard. Achille relevait de ceux particulièrement appréciés. Ainsi, la plupart des élèves dont l'unique rêve relevait de faire équipe avec lui se sentirent offensés. Impatiente, la jeune femme croisa les bras autour de sa taille sans lui adresser un regard avant de contourner son épaisse masse de muscle.
– Sans façon.
Achille se figea à son tour, il ne devait pas avoir l'habitude qu'on lui refuse quoi que ce soit (éducation privilégiée d'héritier). Après que son visage se soit crispé au moins trois fois, il se ressaisit et tenta de rassembler les quelques morceaux d'honneur qu'il lui restait encore. Sur un ton bien représentatif de sa véritable nature, il cracha à Nery qui s'approchait déjà de sa proie.
– Pourquoi, pauvre recluse, aurais-tu peur de perdre ?
Un rictus sans joie vint se dessiner sur les lèvres de la jeune femme que tout le monde dévisageait avec méprise. Elle ne se fatigua pas à répondre, c'était bien trop risible, cela faisait des années qu'elle n'avait rien perdu. Ils le savaient tous parfaitement.
Sans plus attendre, face à Regina, elle fit pour la première fois le premier pas et lui proposa sa compagnie. Sur le moment, l'héritière ne répondit que par un silence avant de sonder ses camarades intrusifs. Enfin, elle releva le menton et accepta nonchalamment, comme si elle ne s'apprêtait pas à le faire.
Sir Marius établit les règles du duel habituel : trois équipes s'affronteraient jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une. En attendant, ceux ne participant pas devaient prendre des notes. Nery s'adossa à l'estrade la plus proche, suivi de près par Regina qui prit l'ordre du professeur pour un : allez poser des questions impertinentes à votre adversaire. Tandis qu'elle observait sans grand intérêt le combat qui se déroulait devant elle, Régina, sur un ton distingué, l'interrogea.
— Pourquoi tu ne t'es pas mis avec Achille ?
Face à ses longs yeux noirs, Regina regretta presque aussitôt d'avoir posé la question. De cette manière, Nery pu étudier les traits fins de son visage de poupée. À chaque fois qu'elle la voyait, admirer le visage de sa camarade devenait un rituel.
Ses cheveux, particulièrement, possédaient une couleur naturelle unique. En effet, entre le thé aux fruits rouges et le miel, leur teinte d'un blond presque rose l'hypnotisait. Dans la ville cœur, on racontait parfois que leur teinte résultait des pierres précieuses qui habillaient sa maison. D'une longueur impressionnante et toujours coiffé de manière sophistiquée, il s'évasait en une cascade de boucles lâches retenues par un ruban rouge. Pour finir, une frange fine venait entourer son visage.
– Tu n'as qu'à regarder le tableau, répondit mollement Nery après sa courte étude.
En effet, Regina se trouvait en troisième position et son frère en cinquième, mais cela ne sembla pas répondre à sa question. Si selon sa sœur, Achille demeurait un bien meilleur parti, c'était uniquement parce qu'entre lui et elle, on le choisissait toujours. Face à son incrédulité, Nery ajouta sur le même ton,
– Ton frère est lourd, lent et prétentieux. Il mise tout sur sa force brute, alors que je suis bien plus rapide et au moins trois fois plus forte. Je n'ai aucun intérêt à me battre contre lui. De plus, il se bat avec une arme longue. Comme moi, ce ne serait même pas intéressant. Quant à toi, tu as au moins le mérite d'être plus stratégique.
Si Nery venait en grande partie de dire la vérité, elle omit volontairement de préciser qu'elle s'amusait de leurs combats mensuels. Par ailleurs, elle savait aussi qu'Achille détenait une certaine jalousie pour la force de sa sœur.
Le nez de Régina se fronça avant qu'elle ne se mette à la dévisager. Si un instant elle avait été satisfaite de sa réponse, ce ne demeurait plus le cas. Comme à son habitude, l'héritière redevint agaçante.
– En d'autres termes, répondit-elle, tout ça n'est qu'un jeu pour toi. Comme tu passes la journée avec les Prostasias, nous, simples dynamistes, ne sommes que les pions de ton amusement...
Nery la laissa s'offusquer seule puisque, comme souvent, l'héritière s'était servie de cette ouverture pour lui jeter à la figure tout son ressentiment. La jalousie avait le don d'animer certains cœurs et de remuer certaines langues, apparemment.
Après quelques minutes, Nery lui demanda si elle en avait terminé parce que le professeur venait de les appeler pour passer. Les oreilles pleines de bourdonnement, la jeune femme ne détenait qu'une hâte : faire tomber quelques têtes. Par ailleurs, elle se réjouissait du combat qui s'annonçait. Necro, le deuxième du classement, allait participer et Regina, complétement remontée, ne voulait rien de plus que la tuer. C'était parfait : la haine augmentait les capacités. Quant aux trois autres dynamistes, ils ne représentaient pas de menace apparente.
Les participants vinrent se positionner face à face. Prête à bondir, Régina s'humecta les lèvres.
— Juste au cas où, lui rappela Nery amusée, nous devons achever les quatre autres avant de nous affronter.
La concernée ne sembla remarquer ses autres adversaires qu'après le commentaire de sa paire. Dévastateur, son regard s'arrêta sur Necro, aussitôt elle parut davantage intéressée par cette cible-là. Rien d'étonnant, il lui avait poignardé le ventre à trois reprises lors du dernier cours.
À présent, il planait une vieille odeur de sueur et d'échec sur le terrain. En effet, quelques flaques de sang résultaient du combat précédent. Nery sentit un frisson interdit lui chatouiller le ventre.
Sir Marius ordonna le déploiement des Dynamis. Ainsi, d'un geste rapide et sec, Akini plongea et fendit l'air avant de se transformer en une faux à la lame aussi courbé que tranchante. Au commencement, son maniement s'était révélé difficile à cause de sa taille, mais grâce à l'entrainement et aux années, Akini avait terminé par devenir une extension de son corps. Regina, de son côté, arborait deux larges sabres élégants et Necro un trident aux griffes acérées. Le professeur effectua un bref décompte, puis tout s'enchaina très vite.
Necro s'apprêta à prendre Nery pour cible, mais Regina en quête de vengeance le devança. À sa grande tristesse, elle dû donc se battre contre un simple adversaire à couteau. La jeune femme lança sans effort sa faux suffisamment haut pour avoir le temps d'envoyer un coup de pied dans l'arme de son adversaire. Ce dernier gémit sous l'impact. Sans perdre une seconde, elle s'élança à son tour.
Furtive comme un serpent, la jeune femme se glissa derrière lui. D'une main, elle lui agrippa l'arrière de la tête et d'une autre, elle récupéra le couteau. L'arme moite du pauvre adversaire se retrouva juste sous sa carotide. L'odeur du sang qui s'écoulait de la plaie ne tarda pas à lui emplir les narines. Malgré le plaisir que cela lui procurait, elle rejeta le corps sanglant qui souleva un nuage de terre. Juste à temps, Nery rattrapa sa faux. Puis, dans un mouvement linéaire encore plus rapide, elle empala l'un des autres figurants derrière elle.
Tandis que le tintement des armes de ses adversaires chantaient, le sang sur le sol l'attirait irrésistiblement. À l'inverse de celui des anomalies, il était frais et plein de vie. Si la jeune femme ne possédait pas des yeux aussi noirs, personne n'aurait eu de mal à remarquer ses pupilles dilatées.
Par chance, elle fut vite ramenée à la raison par un hurlement de Régina en mauvaise posture. Déchainé, Nécro l'accablait de coups toujours plus violents. Dans leurs dos, les remarques de leurs camarades en folie s'élevaient telles des flammes excitées. En temps normal, Nery leur aurait offert un combat digne des premiers du classement, mais la nausée qui l'envahissait la poussa à écourter le combat.
En moins d'une seconde, il ne resta plus que Régina ébahie et Necro, hors du terrain, une faux dans l'abdomen. La mélodie de son arme fendant les airs fit tomber un silence dans l'arène.
Régina, vite remise de sa surprise, sautait déjà à la gorge de sa coéquipière. Sans son dynami, la jeune femme se contenta d'esquiver ses coups gracieux. Lorsqu'elle en eut assez, Nery prit l'héritière par surprise et lui fit lâcher l'un de ses sabres qu'elle ramassa aussitôt. Dépourvu de l'une de ses armes, Régina dut se battre contre Nery dans un duel d'épéistes. Si ce petit tour sembla agacer l'héritière, de son côté, elle n'en prit que plaisir. Comme son entrainement n'avait délaissé aucune arme, elle maniait le sabre presque aussi bien que sa faux. Très vite, Régina trébucha et tomba à la renverse.
Un silence pesant vint interrompre la salle sous tension. Tandis qu'elle crachait ses poumons sur la terre, Nery se contenta de la regarder de haut. D'un coup de pied sympathique, elle lui rendit son sabre, prête à continuer.
Humiliée, l'héritière se releva, plus motivée que jamais, et les tensions retombèrent. Si rapides qu'ils en étaient imperceptibles, les nouveaux coups stridents qui s'échangeaient devenaient impitoyables. Malgré son désir de partir, le visage mortel de Régina poussa Nery à continuer.
Ainsi, alors qu'elle observait la puissance de Régina s'accroître, Nery attendit son paroxysme et capitula. Coupé dans son élan de fureur, le visage de Régina, horrifié, resta pincé sous le choc.
Personne ne déclarait forfait, sauf les faibles, Nery ne l'était pas. Non, elle était juste opportuniste et mauvaise. En effet, gagner ne lui aurait rien apporté, puisqu'elle gagnait à chaque fois. Néanmoins, elle avait aujourd'hui poussé Régina à son maximum. Ainsi, comme il n'y avait rien de pire qu'être laissé sur sa faim, pendant qu'elle vivrait sa journée paisiblement, l'héritière, de son côté, la passerait à se demander si cette fois elle aurait pu l'emporter. La réponse était Non, bien sûr.
Regina resserra le manche de ses deux sabres, puis, telle une folle, elle lâcha un cri hystérique. S'ensuivit alors d'une liste d'injure qui, elles au moins, détenaient le mérite de faire preuve d'originalité. Leurs camarades restèrent ainsi muets, dévisageant Nery, comme à leur habitude. Cette dernière rappela sa faux, couverte du sang de Necro.
Sir Marius, qui n'avait sans doute pas eu le temps de s'assoupir durant le combat, ordonna aux infirmières d'aller soigner les blessés. Avec l'avance de la médecine et le caractère artificiel de leurs corps, ils seraient tous remis sur pied dès l'après-midi. Avec une pointe d'agacement dans la voix, le professeur ordonna à Nery de la suivre. Les murmures reprirent au loin pendant l'assainissement du terrain. Une fois à l'abri des regards, Sir Marius passa une main caleuse sur sa bouche et secoua la tête d'un air contrarié. Un léger ricanement s'échappa de ses lèvres, puis elle déclara sur un ton fatigué :
— Tu une personne bien cruelle, Nerezzya...
– N'est-ce pas le mot d'ordre pour s'élever dans notre société ? rétorqua-t-elle en essuyant le manche de son arme avec son poignet.
Il se contenta d'acquiescer
— Si, bien sûr, je disais cela pour faire la conversation. Qui n'est pas animé par la cruauté ici ? Ce cours même vous incite à vous entre-tuer. Tu peux partir maintenant, j'imagine que tu n'as plus rien à apprendre d'eux. Même s'il n'y a rien de choquant dans ton comportement, j'ai parfois du mal à comprendre comment tu pourrais avoir un niveau aussi avancé. Je me sens un peu inutile avec toi Nerezzya.
Nery de son vrai nom Nerezzya resta un instant perplexe avant de déclarer comme si sir Marius n'était pas déjà au courant.
— À quoi attendiez-vous de ma part ? Je suis la fille de deux exelixis et j'ai reçu un entrainement des plus pointilleux.
Ce n'était qu'une excuse, il n'y avait rien de normal dans tout cela. Elle ne devait juste pas avoir l'air suspecte. Les secrets de son enfance et ses missions nocturnes devaient juste avoir beaucoup joué. S'il restait aussi surpris, c'était juste parce que plus personne ne s'entrainait vraiment, seul le rang et la naissance importait. Avec plus de conviction, n'importe qui pourrait se rapprocher de son niveau.
– Effectivement, tu es sans doute l'élève la plus prometteuse que j'ai pu rencontrer. Qui sait, si tu continues sur ta lancée, tu prendras peut-être place aux côtés du roi, toi aussi.
Sir Marius venait peut-être de prononcer ses mots avec espoir ou plaisanterie, mais il n'imaginait pas à quel point il était proche du but. De toute évidence, il ne restait qu'un professeur de dynamisme et non de géographie. Juste un peu trop « à côté ».
Sa remarque lui fit tout de même plaisir, il reconnaissait ouvertement sa place au plus haut.
– Effectivement, qui sait ?
Nery s'apprêta à prendre congé, mais le professeur ajouta avec un bâillement :
— Une dernière chose, je sais que tu as besoin de te défouler, mais évite de découper tes camarades, s'il te plait, tu es le cauchemar des infirmières.
Le cauchemar des infirmières, si Sir Marius tenait à la dissuader de continuer, il n'aurait pas dû employer ce terme...
— J'y songerais.
De nouveau seule dans les vestiaires, la pulsion qu'elle tentait de calmer jusqu'ici reprit alors le dessus. Brillant et écarlate, le sang qui goutait du bout de sa lame semblait la supplier. Pourquoi après toutes ces années, cela revenait-il maintenant ?
L'odeur
La texture
Le gout
Le plaisir
Tout redevenait plus ardent. Dans le silence qui régnait dans la modeste pièce aux murs de pierre, son instinct l'implorait d'être faible et de succomber. D'avaler ce sang. C'était loin d'être la première fois que ça lui arrivait, en réalité, ce problème persistait depuis son enfance. De manière incontrôlable, ses doigts commençèrent alors à se rapprocher de la lame ensanglantée.
« N'y songe même pas », gronda Akini en se rematérialisant.

The blood heiressOù les histoires vivent. Découvrez maintenant