Rigged Magic 1 - Bipolar

Chapitre 46 - Brooklyn

Vendredi

L'esprit en vrac, j'entendis à peine Carlyle me murmurer que l'on était arrivés. Avec douceur, il me détacha et m'aida à sortir de la voiture. Je sentis ma gorge se serrer en apercevant la façade de cette maison que j'aimais tant.

Carlyle ne me laissa pas le temps de me noyer dans mes pensées et me souleva. Ses bras tremblaient, signe de son épuisement. Je me sentis coupable qu'il me porte ainsi pour m'éviter l'épreuve de marcher pieds nus sur le bitume froid. Vêtu d'une blouse d'hôpital, je frissonnai. Les souvenirs de ma captivité s'imposèrent et je repoussai immédiatement les images tachées de sang qui me venaient. Je ne voulais pas y penser, je voulais oublier. Oublier que j'étais un monstre. Je plongeai mon visage dans le cou de mon trentenaire et inspirai profondément son parfum. Cela m'apaisa, mais ne parvint pas à effacer les remords et l'angoisse qui griffaient ma poitrine.

Carlyle ouvrit la porte du coude et la poussa de la hanche. Le tiédeur de la maison nous enveloppa et je me sentis à nouveau rassuré par l'odeur de cet endroit que je considérais comme mon chez moi. Les yeux fermés, je laissai l'atmosphère m'imprégner. Le sommeil aurait pu me gagner tant j'étais épuisé par les événements et par le bouillonnement d'émotions qui torturait mon esprit.

Des bruits de pas résonnèrent. Carlyle se crispa. Ses bras se resserrent autour de mon corps. Son souffle bruissait dans mon oreille. Sans voir son regard, je sentis la nervosité l'envahir. J'ouvris délicatement les paupières. La lumière n'était pas trop vive, la fin de journée donnait une apparence dorée à la pièce. Je sentis que Carlyle bougeait. Le bras qui soutenait mes jambes esquissa un mouvement et mes pieds touchèrent le parquet.

À nouveau, des bruits de pas se firent entendre alors que Léo se précipitait vers nous. Ses grands yeux bleus étaient emplis de larmes. Sa peau pâle faisait ressortir leur couleur si particulière. Mon cœur se serra. Il s'était inquiété autant que son père de ma disparition. En quelques enjambées, il fut sur moi et m'enlaça en pleurant. Je frissonnai lorsque ses larmes mouillèrent ma peau. Envahi par l'émotion, je lui rendis son étreinte. Ses pleurs s'intensifièrent alors que je caressais tendrement ses cheveux, comme Carlyle le faisait pour m'apaiser. Je déposai un bisou sur le haut de son crâne. Secoué de sanglots, l'adolescent évacua sa peur de longues minutes.

Carlyle me soutenait toujours, guettant le moindre mouvement de faiblesse de ma part. Entouré de ces deux personnes si chères à mon cœur, je me sentis enfin en sécurité. Lorsqu'un tremblement secoua mes jambes, je sus qu'il était temps que je m'asseye. Les mains sur les épaules de Léo, je m'écartai gentiment. J'essuyai les larmes qui tachaient ses joues et lui souris.

— Je suis rentré, tu n'as plus à t'inquiéter.

— Tu ne vas pas repartir avec ce... cet... balbutia-t-il.

— Non, je vais rester ici avec toi et ton père.

J'embrassai son front et j'épongeai à nouveau les larmes qui dévalaient ses joues. Cela me fit mal au cœur de le voir ainsi. M'aimerait-il toujours autant s'il savait le monstre que j'étais ? Cette pensée me rendit nauséeux. Même si je tentais de la tenir à distance, elle revenait sans cesse me torturer. Comment pouvait-il en être autrement ; j'avais tué tant de personnes en m'enfuyant de ce laboratoire il y a dix ans. Je sentis l'anxiété me comprimer la gorge. J'étouffais sous la culpabilité et les remords.

Carlyle me serra l'épaule alors que le bruit de talons me sortait de mes morbides pensées. Ses mains me maintenaient debout alors que sa mère contournait le canapé. Elle ne laissa rien paraître, mais ses yeux trahissaient son soulagement. Je reculai, me pressant contre le torse de Carlyle. Je ne souhaitais pas affronter Sylvia Morgenstern ce soir. Je n'avais pas le courage de lire la colère, le mépris et le poids de nos mensonges dans ses iris bleues. Pourtant, lorsqu'elle me fit face, je ne vis rien de tout cela. Seulement une sorte de soulagement teinté d'agacement.