Chapitre 40 - Brooklyn

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Jeudi 

Ma tête tournait. Le décor tanguait, devenait flou alors que j'ouvrais les yeux. Je me sentais nauséeux, comme si j'avais bu beaucoup d'alcool. Je tentais de poser mes doigts sur mes tempes douloureuses, mais quelque chose retint mon poignet. Des sangles en cuir.

La panique se dilua instantanément dans mes veines. Je tirai sur les attaches, comme je l'avais si souvent fait dans mes visions. Rien ne bougea. Les larmes se bloquèrent dans ma gorge lorsque je réalisai que l'on m'avait mis des gants pour que je m'entaille pas. Une bande de cuir passait entre mes dents pour que je ne puisse pas me mordre les lèvres ou l'intérieur des joues. Tout avait été planifié pour que je ne puisse pas utiliser ma magie. Le désespoir m'envahit et je me débattis plus fort. Les plaies qu'Alres avait faites avaient été scrupuleusement soignées et pansées, si bien que le sang ne parvenait pas à passer au travers des bandages. Couché sur le dos, les poignets et chevilles contentionnées, je ne pouvais que pleurer ma détresse.

Des bruits de pas résonnèrent. Levant légèrement la tête, j'aperçus une porte en métal. Tout autour de moi était blanc. Un laboratoire ? Étais-je retourné dans ma mémoire oubliée ? Ce n'était pas une vision car tout était net. Et le visage d'Alres apparaissant à l'entrée n'avait rien de surnaturel, pas plus que son toucher. Ses yeux gris me jugeaient avec une telle sévérité que je sentis les larmes dévaler mes joues. Ses doigts caressèrent ma pommette et cueillirent les perles salées qui y roulaient.

— Brooklyn, Princesse, soupira-t-il. Pourquoi faut-il toujours que tu compliques tout ?

Je ne pouvais pas parler à cause de ce bâillon de fortune. Mes yeux devaient sûrement refléter ce que je pensais.

— Je te l'ai dit, tu ne pourras pas m'échapper.

Il tourna autour de la table d'autopsie. Un nouveau soupir. Il semblait se parler à lui-même plutôt qu'à moi.

— Trois fois et tu essaies toujours, n'en as-tu pas assez ?

Je cessai de me débattre. Trois fois ? Je n'en comptais que deux ; à l'époque et aujourd'hui. De quoi parlait-il ? Les mots de Thussvor ne tardèrent pas à revenir. Il avait affirmé qu'Alres me connaissait déjà avant que je n'oublie mon passé. Lui avais-je donc échappé avant que ce traumatisme ne me rende amnésique ? J'en étais désormais persuadé. J'aurais voulu lui poser des questions, essayer de lui soutirer des informations, mais je ne pouvais pas. Je recommençai à tirer sur les attaches. Le cuir avait été rembourré avec de la soie pour que je n'irrite pas la peau jusqu'au sang.

— Cesse donc. Tu fais trop de bruit, Princesse.

Malgré la peur, je le fusillai du regard, ce qui le fit rire. Un rire de fou. L'écho qui se répercuta sur les parois blanches me fit frissonner. Derrière moi, je ne le voyais plus. Il se pencha probablement pour me murmurer :

— Peut-être n'as-tu pas appris de tes erreurs, mais nous, nous en avons tiré des leçons.

Un nouveau rire lui échappa. Il caressa mes cheveux avec possessivité. Son parfum me rendait malade, son toucher me donnait envie de vomir.

— Tu ne t'échapperas plus, Princesse.

— Tu parles tout seul, Alres ?

La voix rauque de Duncan me fit sursauter. Le magicien noir se tenait vers la porte. Ses yeux bruns brillaient étrangement alors qu'il me regardait. Je ne saurais dire ce que j'y lisais. Quelques mèches retombaient sur son front et faisaient danser des ombres sur son visage sévère.

Alres se détacha de la table contre laquelle il s'était appuyé et vint se poster en face du magicien noir. Les bras croisés sur la poitrine, Duncan eut un léger mouvement de recul alors que mon ex tentait de poser sa main sur la joue de son vis-à-vis. Je ne voyais pas le regard d'Alres, mais je savais qu'il n'aimait pas qu'on tente d'échapper à son toucher. Duncan paraissait perturbé, troublé par quelque chose dont je n'avais pas encore conscience.

Rigged Magic 1 - BipolarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant