Chapitre 23 - Brooklyn

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Je ne cessais de triturer mes doigts alors que Carlyle me déposait à quelques mètres du restaurant. Fred et Thussvor se penchèrent vers les sièges conducteurs. Une ambiance tendue régnait dans l'Audi. J'aurais préféré partir seul à la rencontre de Rolland plutôt que de supporter le stress de mes collègues. Ce rendez-vous faisait flamber mon anxiété. Je ne me sentais pas libre de mes mouvements et surveillé. Je détestais cela. Mais je n'avais pas le choix. Il nous fallait cette pierre pour comprendre leur fonctionnement et tenter de sauver des vies.

— Le micro est en place ? vérifia Thussvor.

Je hochai de la tête et tapotai mon sac à main. Caché dans le tissu, le micro permettrait à mes collègues de suivre notre conversation - ce qui me gênait déjà - et d'intervenir si Rolland tentait quoi que ce soit. Carlyle s'était parqué sur une place en latéral dans une ruelle adjacente.

— Si tu as le moindre problème, demande de l'aide. Et ne va pas trop loin, continua Thussvor.

— Tu m'avais donné carte-blanche pour cette mission, lui rappelai-je de mauvaise foi.

— J'ignorais des éléments de la situation.

Il haussa les épaules. Dans son regard gris, je lus son avertissement silencieux : ne te mets pas en danger inutilement. Depuis le réveil de ma pierre bipolaire - que Thussvor m'avait obligée à remettre - je n'avais pas revu physiquement Rolland. Qui savait comment pouvaient réagir ces deux pierres ensemble ? Mon chef ne voulait prendre aucun risque, il ne pouvait pas perdre un agent dans cette enquête. Alors il mettait un maximum de moyens pour me maintenir en sécurité.

Carlyle me serra brièvement la main avant de me laisser sortir de sa voiture. J'expirai longuement, réajustai mon sac à main et m'avançai dans la ruelle. Les claquements de mes talons résonnèrent dans la pénombre naissante. La façade lumineuse du Carlton apparut. Elle illuminait le trottoir et la rue dans laquelle déambulaient des voitures de luxe. Les hautes fenêtres du bâtiment étaient voilées de rideaux pourpres, on ne devinait pas les secrets de ce palace. La pierre pâle lui conférait une aura élégante mais mystérieuse. Le porche, entouré de verre et de lumière, m'invitait à entrer dans ce lieu de richesses. Le velours qui tapissait les marches et la verrière étouffa le bruit de mes talons. Je levai la tête vers le plafond peint. Les couleurs chatoyantes donnaient une étrange impression, comme un retour dans le temps. Le lustre de cristal scintillait au dessus de moi et projetait des éclats lumineux sur le sol. Celui-ci, dépourvu du tapis de velours, brillait. Je me sentis instable sur ce marbre blanc qui glissait. Un escalier en colimaçon montait vers le premier étage, tentation vers de sombres vices.

Je reportai mon attention sur les hautes portes sculptées vers lesquelles se tenait un maître d'hôtel. Même lui paraissait rayonner dans ce décor de verre, de pierreries et d'or. Impeccable dans sa queue de pie, il s'inclina alors que j'avançais d'un pas déterminé vers lui. Il me détaillait de la tête aux pieds. Ses yeux noirs semblaient me sonder. Instinctivement, je sus que ce n'était pas un magicien mais un humain.

— Bonsoir, je...

— Monsieur Deswalters vous attend, entrez je vous prie.

Il me désigna la porte, qui s'ouvrit sans qu'il ne l'ait touchée. Une certaine tension nouait mes épaules et j'avançai sans un mot. La salle me rappelait Versailles. Si kitch. Des dorures, des miroirs et des lustres en cristal. Trop de lumière qui éclairait les tables élégamment dressées. Les sièges aux imprimés colorés rappelaient le style baroque, sans que j'en sois sûr.

Les gens dans cette salle étaient élégamment vêtus. Ils respiraient le luxe et le fric. Malgré ma tenue, je me sentis intimidé. J'entendais à peine la musique en fond et les services en argent tinter contre la porcelaine. Mon attention était focalisée sur Rolland. Le cinquantenaire était assis au fond de la salle, seul. Ses cheveux noirs, parsemés de fils argentés, étaient plaqués en arrière et dévoilaient son visage aux traits tranchants. Ses yeux gris étaient fixés devant eux, observant le vin rouge qu'il faisait tournoyer dans son verre en cristal. À son poignet étincelait une montre de luxe. Une bague ornée d'une tourmaline noire habillait le majeur de sa main droite. Porter une pierre canalisatrice n'empêchait pas de porter des gemmes précieuses.

Rigged Magic 1 - BipolarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant