Chapitre 30 - Brooklyn

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Carlyle nous avait mis dehors Fred et moi le temps de soigner Thussvor. Fred se rongeait les ongles avec nervosité, arpentant la verrière du loft d'un pas stressé. Non moins inquiet, j'étais assis sur le canapé, regardant mon collègue faire les cent pas.

Rolland ne s'était pas contrôlé, il avait poussé Thussvor si loin que celui-ci s'était évanoui de douleur. Et vu les exclamations indignées qui échappèrent à Carlyle - que je perçus par la porte entrouverte - je me doutais de la sévérité des plaies. Si notre chef souffrit pendant la guérison, nous n'en sûmes rien. Il ne dit rien.

— Je vais buter ce type, grogna Fred.

— Tu ne vas tuer personne. On a besoin de lui pour l'enquête. Une fois cette affaire réglée, je te laisserai faire une collier avec ses tripes.

Fred hocha gravement de la tête, considérant avec sérieux ma proposition. Je l'observai avec attention. Son inquiétude dépassait le stade professionnel. Il dégageait une peur profonde. La même que Carlyle éprouvait lorsque j'allais mal. Les pensées de Fred m'étaient apparues plusieurs fois et je n'y avais surpris que de tendres intentions à l'égard de Thussvor. Intentions que notre chef ne semblait pas voir - ou ne voulait pas voir.

Après un laps de temps qui me parut infini, Carlyle finit par nous appeler. Fred se précipita dans la chambre. Je le suivis. Thussvor était enroulé dans ses couvertures jusqu'au menton. Il dormait, l'air enfin apaisé. Fred caressa son front et dégagea quelques mèches châtains qui retombaient gracieusement sur la peau pâle. Un bref sourire empli de tendresse étira les lèvres de Fred.

— Bilan ? murmurai-je à Carlyle.

— Jamais vu autant de plaies... Il l'a sérieusement fouetté jusqu'au sang, répondit-il sur le même ton.

Fred continuait de cajoler Thussvor, ne nous prêtant aucune attention.

— Il faut qu'il se repose. Au moins aujourd'hui.

— Thussvor n'acceptera jamais, répliqua Fred en caressant la joue de son vis-à-vis.

— À moins qu'il ne se passe quelque chose de grave, il n'aura pas le choix, trancha le guérisseur.

Alors que j'allais appuyer les propos de mon compagnon, mon téléphone vibra. La stridente sonnerie résonna quelques secondes plus tard. Thussvor se réveilla instantanément. Ses prunelles grises en alerte cherchèrent la source de danger avant de se calmer en réalisant qu'il était chez lui. Fred lui intima de se rallonger d'une pression sur l'épaule. Agacé d'avoir dérangé le repos de notre chef, je saisis l'appareil pour répondre.

Le nom de Rolland s'afficha sur l'écran. J'écarquillai les yeux, surpris, et lançai un regardai inquiet à Thussvor. Celui-ci ne réagit pas, même s'il avait compris de qui il s'agissait.

— Décroche, dit-il simplement alors que la sonnerie se perpétuait une deuxième fois.

Déglutissant, je sentis un insidieux malaise me saisir, accentué par l'aura de rage qui émanait de Fred.

— Brooklyn, je vous écoute.

— Bonjour, Brooklyn.

La voix de Rolland était particulièrement douce, mais emplie de précipitation. Une inquiétude, mêlée de colère, perçait dans son intonation. Pas de Beauty, mais mon prénom.

— Que puis-je pour vous, Monsieur ? cinglai-je avec froideur.

— Pourquoi es-tu fâché ? Ce serait à moi de l'être puisque tu as osé me duper.

Il constatait ce fait sur le ton de la badinerie éprouvé de reproches.

— Pourquoi m'envoyer ton collègue ? demanda-t-il finalement.

Rigged Magic 1 - BipolarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant