Chapitre 16 - Carlyle

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Le papier peint du mur me paraissait très divertissant. Depuis plus de trente minutes, soit depuis la commande de nos plats, je détaillais les formes géométriques qui se croisaient. Olivia, une quarantenaire aux cheveux décolorés, ne cessait de parler de sa nièce « trop mignonne » de quatre ans. Joignant le geste à la parole, elle me montrait des photos que je regardais à peine. Elle continuait de me vanter les mérites de sa nièce alors que mes yeux retraçaient pour la dixième fois le parcours de l'arabesque sur le mur. Mon esprit était obnubilé par l'apparition de cette magie mutée et le message qu'elle apportait. Mais les angoisses du travail n'étaient pas les seules à me perturber.

— Carlyle ! Tu m'écoutes ?

Sa voix criarde me ramena à la réalité alors que mes pensées commençaient à dériver. Je reportai mon attention sur elle et tentai de masquer l'apathie qui me saisissait. Mes lèvres esquissèrent un sourire peu sincère.

— Bien sûr, tu me parlais de ta nièce.

Elle émit une sorte de gloussement qui me fit frissonner de dégoût. Pourquoi son rire était-il aussi désagréable ? Le simple fait de l'entendre me donnait des envies de meurtre. Léo avait peut-être raison... J'aurais dû décliner ce putain de rendez-vous. À nouveau, je m'étais plié à la volonté de mes parents. La mère d'Olivia était une cliente régulière de ma mère et lui achetait souvent des peintures. Refuser ce rendez-vous revenait à perdre de l'argent et une partie de son statut. Alors le bon toutou que j'étais avait accepté en me disant que cette fille serait suffisamment agréable pour que ce soit la dernière. Je me trompais et Léo m'avait bien fait comprendre qu'il n'accepterait jamais une femme choisie par ses grands-parents.

Mon fils avait choisi lui même son deuxième parent, il voulait Brooklyn sans aucune concession possible. Je savais qu'il appréciait la Bloody Mary, mais j'avais été suffisamment naïf en croyant que Léo nous pensait amis. Il avait compris - et depuis très longtemps - que j'étais amoureux de mon collègue aux cheveux flamboyants. Laissant les pierres bipolaires de côté, mes pensées me répétaient l'apparition de Brook dans ma cuisine. Je ne pensais pas qu'il viendrait s'excuser, c'était de ma faute si nous nous étions disputés.

Ma jalousie avait parlé pour moi, je ne supportais pas qu'on le touche, qu'on essaie de se l'approprier. Pire que tout, je détestais qu'on le reluque et qu'on ose poser ses mains sur son corps empreint de traumatismes. Mon esprit avait du mal à accepter que Brooklyn se serve de son corps comme d'une arme. Je ne voulais pas consentir à ce que d'autres lui rappellent les plaisirs de la chair. Je voulais être le seul à pouvoir le caresser. Au fond de moi, je savais que j'étais égoïste de penser ainsi. Brooklyn ne m'appartenait pas et même si je l'aimais infiniment, je ne le priverais pas de sa liberté, il l'avait trop espérée.

La main d'Olivia effleura la mienne, me tirant de mes pensées tortueuses. Elle me sourit, mais je sus à son regard courroucé qu'elle n'appréciait pas mon manque d'attention. Je déglutis et tentai d'éloigner l'image de Brooklyn. Le tenir serré contre moi m'avait envahi de frissons. Je revoyais à nouveau ses dents mordiller sa lèvre inférieure et si je ne m'étais pas écarté de lui, je n'aurais pas résisté à l'envie de l'embrasser et de lui faire l'amour. Réalisant que mon corps réagissait à ses idées sulfureuses, je croisai les jambes et reportai tout de suite mes pensées sur Olivia pour éloigner celles de la Bloody Mary.

— Tu apprécies les enfants si je comprends bien ? finis-je par demander.

— Oui, surtout ceux en bas âge ! s'exclama-t-elle ravie.

Je faillis lever les yeux au ciel. Mon fils était un adolescent, elle devait le savoir puisque ma mère lui avait probablement fait un rapport complet de ma vie.

— Tu as bien un fils ?

— Oui. Il a eu quinze ans au mois de mars.

— Super, j'espère que nous nous entendrons bien lui et moi !

Rigged Magic 1 - BipolarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant