Chapitre 5 ♦ Balade taciturne

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Mes quatre premiers jours de cours s'étaient relativement bien passés. Ma classe était sympa, Chloé très mignonne, et j'avais appris à mieux connaître Caleb. J'aimais bien traîner avec lui mais bon, il fallait reconnaître qu'il pouvait être un peu lourd parfois. Hier, en me rendant au self, il m'avait semblé voir mon inconnu. La distance ne m'avait pas permis d'en être certaine, mais la silhouette aperçue m'avait eu l'air étrangement familière. 

En parlant d'inconnu, il continuait à venir tous les soirs après les cours, à 18h, mais partait dès que je mettais pied à terre. Il devait avoir du travail à faire, ce qui était compréhensible. Cependant, hier, il avait semblé avoir trouvé une solution: il était venu s'installer sous son arbre avec ses cahiers de cours et avait travaillé tout en m'observant. Je me demandai pourquoi il venait ici si c'était pour travailler mais bon je n'allais pas m'en plaindre; je crois que j'éprouvai un certain réconfort à le retrouver tous les jours. Il faisait un peu partie de ma routine quotidienne désormais.

Je quittai la route principale en béton pour m'engager sur le petit chemin de terre menant à l'écurie. Ces derniers mètres étaient les plus difficiles, il fallait que je slalome entre les crevasses et les grosses pierres du chemin. Une fois le portail franchi, je balançai mon vélo contre le mur de la maison, poussai la porte entrouverte, gravis les escaliers rapidement et m'engouffrai dans ma grotte. Je laissai tomber mon sac de cours au sol, enfilai une tenue un peu plus appropriée pour monter à cheval et redescendis les escaliers. J'attrapai quelques gâteaux au passage ainsi qu'une pomme, que je comptais partager avec Knight, rechaussai mes bottes et sortis direction l'écurie.

« Maman c'est moi! informai-je ma mère que je devinais dans le boxe de Freedom. On est jeudi, je pars en balade!

— Très bien ma puce, amuse-toi bien! me répondit-elle en sortant la tête du boxe. »

Un petit sourire malicieux se dessina sur son visage et j'arquai un sourcil mais sa tête disparut à l'intérieur du boxe. Je haussai les épaules et rejoignis mon cheval. Celui-ci m'accueillit d'un doux hennissement et je lui caressai le front tout en lui offrant un bout de la pomme que j'avais déjà entamée. Il semblait assez calme et un petit tour en extérieur lui ferait effectivement du bien. J'attrapai le licol suspendu près de sa porte et lui enfilai avant de l'attacher à l'extérieur. Après un coup de brosse rapide, je lui mis sa selle, sa bride et ses protections aux membres puis pris ma bombe et l'amena dans la carrière.

Je me mis à cheval et commençai à faire marcher ma monture pour la détendre. À ce moment, je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le sortis et vis "Vous avez un snap de CalebTheBest" (oui ce petit malin s'était renommé tout seul dans mon téléphone). Je fronçai les sourcils et ouvris le message. Je découvris une photo de lui me faisant un clin d'œil charmeur. Il avait ajouté le message: "Prête pour le taf d'anglais avec un bg?". Je soupira et levai les yeux au ciel avant de lui répondre par mon éternel "Je peux pas, j'ai poney" accompagné d'une photo des magnifiques oreilles de mon cheval. Je cliquai sur "Envoyer" puis rangeai mon téléphone dans ma poche. À cet instant, je croisai le regard de mon inconnu et, sans raison, rougis et détournai le regard. Pff ne sois pas stupide, c'est pas comme s'il avait vu ce que tu faisais avec ton téléphone, puis de toute façon ça le regarde pas quoi, zut! Merci conscience.

Je lançais Knight dans un trot d'échauffement quand je vis ma mère s'approcher du garçon et lui dire discrètement (mais pas assez):

« Maud part en balade. Je te conseille d'aller te poster, avec ta moto si tu veux, près de la petite maisonnette là-bas. Elle va rester dans les environs, de toute façon le terrain est plat, tu ne devrais pas la perdre de vue. »

Il la remercia sans que je puisse l'entendre, remballa ses cahiers qu'il avait déjà commencé à sortir puis se redressa et s'en alla d'un pas nonchalant en direction de la sortie où sa moto l'entendait. Je soupçonnais ma mère d'avoir un petit faible pour lui, ou du moins, elle faisait tout pour qu'il s'acclimate bien ici – à mes côtés. Mais bon, je devais reconnaître que son geste était le bienvenu, le pauvre garçon aurait sinon été contraint de rentrer chez lui et aurait fait tout ce trajet pour rien. Je fis quelques tours de galop puis sortis de la carrière, direction les champs. Knight eut vite fait de comprendre la situation et dressa les oreilles, tout de suite plus intrigué.

« Eh oui mon grand, on part en balade! lui chuchotai-je en le caressant gentiment. »

Cela pouvait paraître un peu dérisoire mais j'aimais bien chuchoter à l'oreille de mon cheval. Cela rendait notre "conversation" tout de suite plus intime, et j'avais l'impression qu'il était plus à l'écoute dans ses moments là, comme s'il comprenait vraiment ce que je lui racontais. Effectivement, quand je me redressai, il me jeta un coup d'œil furtif comme pour vérifier que je ne lui racontais pas de blague. Il dut être rassuré de l'image que je lui donnai car il partit d'un petit trot joyeux.

Nous traversâmes ainsi les champs et, lorsque nous nous fûmes rapprochés de la petite maisonnette, Knight, en l'absence de barrières, décida de faire plus ample connaissance avec mon inconnu et je le laissai faire. Il s'approcha doucement de lui au pas, tendant l'encolure pour le renifler gentiment afin de l'identifier. De plus, assis par terre, le jeune homme devait paraître plus inoffensif pour mon cheval. Il resta stoïque, laissant ma monture lui souffler dans le cou. Une fois qu'elle l'eut identifié comme non-nuisible (me voilà rassurée, il n'était donc pas un dangereux psychopathe), le garçon leva lentement sa main pour effleurer les naseaux de mon farouche destrier. Étonnamment, celui-ci qui était d'habitude fort peu aimable avec les inconnus se laissa gentiment caresser la tête sans broncher.

Le gars qui n'y connaissait rien aux canassons souriait et lorsqu'il vit que je le fixai, je lui souris timidement en retour. La fille qui n'y connaissait rien aux gars (oui je parle bien de moi là) trouvait son sourire trop mignon, elle décida donc de retourner à l'écurie pour ne pas fondre. Cependant, quand mon inconnu me vit rentrer tranquillement au pas, il rangea précipitamment ses affaires et me suivis en poussant sa moto. Knight devait vraiment bien l'aimer, chose très étrange, car il ralentit le pas pour que le jeune homme puisse marcher à nos côtés. Quand enfin nous fûmes de retour à l'écurie, Mysterious Boy enfourcha sa bête et s'en alla après avoir donné une dernière caresse à mon cheval. Je m'occupai un peu de celui-ci avant de le rentrer.

Je fermai la porte du boxe et appuyai ensuite mon dos dessus, et me laissai glisser lentement jusqu'au sol. J'ai failli craquer. J'ai failli lui parler. Je sais que cela pouvait paraître ridicule, je passais pour une obsessionnelle à refuser catégoriquement de lui adresser la parole. Mais c'était difficile à expliquer, il y avait cet accord tacite entre nous. Knight et moi, nous nous comprenions sans se parler. L'inconnu et moi, nous nous comprendrons sans se parler. C'éait tout, moi-même je ne pouvais l'expliquer, ça faisait partie de ces choses que l'on sait instinctivement. Mon instinct me disait que si je lui parlais, je ne le reverrai plus jamais. Et ça, j'aimerai à tout prix l'éviter.

ChevauchéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant