Chapitre 20 ♦ Paris, here we are

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Cela faisait maintenant deux heures et demie que j'avais quitté ma petite ville de Doutran. J'avais confié Knight à ma mère, et comme chaque fois, cela me faisait un peu bizarre de me séparer de lui. En même temps, il fallait me comprendre: j'étais à ses côtés chaque jour depuis son plus jeune âge, et passer ne serait-ce qu'une journée sans lui me fait sentir étrange, comme vide. En fait, c'était comme être séparée de ma moitié.

En regardant par la fenêtre du train les champs laisser progressivement place à des structures de béton de plus en plus impressionnantes, je repensais à ce qu'il s'était passé hier. Je n'arrivais toujours pas à me remettre de cette soirée avec mon beau brun, où le chanteur semblait dire tout haut ce que nous deux pensions tout bas.

Car désormais, nous ne pouvions pas nier qu'entre nous s'était développée quelque chose d'un peu plus fort qu'une simple amitié. Il y avait le langage construit dans le silence et la complicité. Les gestes d'affection spontanés et l'attachement. Et peut-être même l'attirance...

Mais cela restait trop confus pour le moment, aucun de nous ne savait vraiment où nous en étions. Qu'étions-nous après tout? Des connaissances, des acolytes, des amis, des soutiens mutuels, des épaules sur lesquelles pleurer, des repères pour se guider, des amarres vers lesquelles nous reviendront toujours, ou... autre chose? Les réponses possibles à cette question étaient tellement vastes et nombreuses qu'il était impossible d'y répondre vraiment. On pourrait être toutes ces choses là comme on ne pourrait en être aucune.

Je savais que je ne devrais pas penser à tout ça, que la solution finirait par s'imposer d'elle-même, simplement, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. C'était plus fort que moi. De plus, ne pas y penser me mènerait à reporter mon attention sur Déborah assise à mes côtés.

Il était vrai que je lui avais proposé de venir avec moi pour apaiser le léger trouble entre nous sauf qu'entre temps, ce trouble avait pris une toute autre tournure. Bien sûr, durant la semaine qui venait de se finir, après mon escapade avec A&K, j'ai fait tout mon possible pour réparer les pots cassés par cette histoire avec Caleb. Ou du moins, j'avais voulu clarifier les choses au maximum avec Louise et Débo. Quand à mon meilleur ami, je ne me sentais pas le moins du monde coupable envers lui, et s'il voulait que notre relation redevienne ce qu'elle avait été soit, mais pour cela c'était à lui de faire le premier pas. Je pensais en avoir fait assez pour lui comme ça.

Quoiqu'il en soit, j'avais réussi à faire entendre raison à Déborah, et à lui faire accepter ma version — la véritable version — des faits. La tension entre nous était donc redescendue, toutefois je voyais bien que notre relation n'était plus ce qu'elle était: nous étions toutes les deux un peu gênées qu'elle ait suivi Lou les yeux fermés, et elle prenait également assez mal le fait que je ne me confiais plus aussi souvent à elle, lui préférant Amélie selon ses dires. Mais d'un côté, je pouvais la comprendre: il était vrai que mon amitié avec Amy avait elle aussi beaucoup évoluée ces temps-ci. D'ailleurs, je me sentais un peu coupable de ne pas avoir partagé autant de choses que j'aurai dû avec ma meilleure amie.

Anyway, je comptais bien sur ce séjour ensemble (et peut-être aussi un peu sur mon cousin et sur cette rupture avec A&K) pour renouer avec elle. Nous pénétrâmes dans Paris, et le conducteur annonça le terminus. Je me levai et attrapai ma valise, imitée par Débo, et attendis patiemment que les personnes devant nous sortent pour pouvoir retrouver mes proches. Here we are.

« Maud! Déborah! Par ici! »

J'aperçus directement la petite tête bouclée de ma tante, sautant au milieu de la foule en nous faisant de grand signes. Je la rejoignis du mieux que je pus, tentant de me frayer un passage parmi cette masse compacte de gens en tirant tant bien que mal ma valise derrière moi. Dès que j'arrivai à sa hauteur, un sourire aux lèvres, ma tante se précipita vers moi et m'enlaça, manquant de me couper le souffle. Qui aurait cru que ce petit bout de femme aurait tant de force?

« Ah Maud, comme ça fait plaisir de te revoir! Tu as tellement grandi dis-donc! Et, wah, tu es de plus en plus magnifique ma chérie! »

Si Mary n'avait pas la même couleur de cheveux rousse que ma mère, on aurait pu douter de leur lien de parenté tellement elles étaient différentes: ma tante était si sociable, extravertie et affectueuse qu'elle en devenait presque l'exact opposé de ma mère.

« Merci Tata, ça fait du bien de vous revoir vous aussi. »

Du coin de l'œil, je vis mon cousin Timothé faire la bise à Débo. Un regard de Tim lui avait suffit pour devenir rouge pivoine. Cette observation me fit sourire, bien que j'aurais pu la comprendre si Tim et moi n'étions pas liés par le sang.

De deux ans mon aîné, il était le genre de type que l'on remarquait: très grand et imposant, il avait la chevelure chocolat de son père, tandis qu'il avait hérité ses iris verts de nos ancêtres communs. Durant ses années lycée, il était bien connu dans son bahut, aimant y faire régner sa "terreur". Toutefois, quiconque le connaissait assez bien savait qu'il n'était violent qu'avec les mots, et que derrière sa personnalité de rebelle et de teigneux, il était très responsable et voué à une grande carrière dans l'armée de terre. Il était un peu un "gentil bad boy", si on pouvait dire ça comme ça.

En l'embrassant à mon tour, je remarquai un étrange tatouage dans son cou:

« Salut cousin, c'est quoi ce tatto?

– D'habitude, je préfère garder le mystery mais bon, si c'est toi, I can tell you. Ce sont des colombes, symbole de paix. You see, il y en a trois: Dad, Mum, et  Sister Elsa. C'est pour me rappeler pourquoi j'ai voulu entrer dans l'armée: mettre ma vie en jeu pour la sécurité de la population, pour que ma family lives forever in peace. »

Ces paroles me surprirent autant qu'elles me touchèrent. En un an j'en avais presque oublié la façon de penser de Tim si particulière, forte, directe, et sincère. De plus, en tant qu'enfants nés aux US, c'était devenu une habitude pour nous de glisser des mots anglais dans nos discussions, et cela m'avait manqué.

Nous nous mîmes en route pour sortir de la gare, et nous atteignîmes bientôt la petite Clio verte de ma tante. Tim insista pour mettre nos valises dans le coffre, puis je m'assis sur la banquette arrière aux côtés de Déborah. Après quelques minutes de route, pendant que ma tante, bavarde comme elle était, nous racontait une petite anecdote, Débo me glissa à l'oreille, d'une voix presque triste d'ado effarouchée:

« Dis, pourquoi, il est rasé le crâne comme ça le couz'? Il était tellement magnifique avec ses longs cheveux! Enfin, il reste toujours magnifique bien sûr, mais bon, je trouve ça dommage, de si beaux cheveux...

– Ça doit être pour l'armée je pense, répondis-je en retenant un rire face à la mine ridicule de mon amie. Tu sais, il y rentre au mois de décembre...

– Oh! C'est vrai! J'espère qu'il n'abîmera pas son joli visage quand même... Dis, tu penses qu'il sera de retour l'année prochaine? Le prend pas mal mais je ne pense pas venir sinon, tu sais que c'est presque uniquement pour lui que je viens...

– Et pour les restaurants parisiens.

– Oh oui, tu as raison, les restaurants... »

Un tel comportement aurait pu me mettre en rogne, mais j'avais longtemps préféré rire de la manière dont mon cousin retournait (dans le bon sens du terme) le cœur de pierre de Déborah. D'un côté, cela m'assurait qu'elle était capable d'amour, ou même d'attirance, car après quelques années passées avec elle, elle n'avait jamais parlé d'aucun garçon, ne posait sur eux que des yeux empreints de neutralité, et avait rembarré froidement tous ceux qui avaient tenté de l'approcher. Mais avec mon cousin... C'était différent. L'espace de deux semaines par an,  elle devenait une ado parmi tant d'autres, qui en tombait pour un gars plus mature et ténébreux. Cette histoire — le fait que ce gars soit mon cousin — m'avait toujours fait rire.

Je sentis que ces deux semaines allaient être des très bonnes vacances.

ChevauchéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant