Chapitre 6 ♦ Le dessin

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Le week-end, que j'attendais avec impatience, était enfin arrivé. Cette première semaine de cours était passée assez vite, mais je savais très bien que dès demain, le rythme allait s'intensifier. Jusqu'à présent, les profs étaient plutôt cools et compréhensifs mais je n'étais pas dupe, c'était la même chose chaque année; dès la deuxième semaine les professeurs nous montraient leur véritable visage et devenaient pour la plupart intransigeants. De plus, j'étais en première et il allait bien falloir commencer à travailler à un moment ou à un autre.

D'autre part, socialement parlant, une très bonne atmosphère règnait dans mon groupe d'amis. Je m'étais beaucoup rapprochée de Caleb, il était devenu un très bon ami même si nous passions notre temps à nous chamailler. Enfin, seulement en classe car, dès qu'il était avec Louise, il prenait ses distances avec moi, ce que je comprenais bien évidemment, mais cela restait un peu comme un double jeu et comme si nous devions cacher notre amitié ce qui me mettait légèrement mal à l'aise tout de même.

J'avais croisé quelques fois mon inconnu dans les couloirs, mais à chaque fois seulement brièvement. Il m'avait l'air d'être assez solitaire. Cela pouvait se comprendre étant donné qu'il était nouveau, mais j'avais également l'impression qu'il n'était pas très très sociable. Tenez, par exemple vendredi, il était arrivé en cours sur sa moto rouge (certes, il devait venir tous les jours ainsi en cours mais je ne l'avais jamais remarqué jusque là) et une fois qu'il l'eut rangée dans le garage à vélos, un groupe de garçons plutôt connu à Voltaire l'avait abordé.  Je n'avais pas entendu leur conversation mais l'inconnu leur avait souri poliment en leur donnant une réponse qui cependant ne devait pas être celle attendue car le groupe s'était éloigné en lui jetant un regard un peu étrange.

« Qui c'est que t'arrête pas de fixer comme ça depuis tout à l'heure? m'avait demandé Caleb.

— Oh personne, j'étais simplement plongée dans mes pensées, lui avais-je répondu avec un sourire. »

La dernière chose que je voulais était que Caleb ou n'importe qui d'ailleurs, soit au courant de cette histoire d'"inconnu". Déborah était la seule à être au courant ici pour le moment et je comptais bien faire en sorte que les choses restent ainsi. Depuis jeudi, où il m'avait raccompagné de balade, le mystérieux jeune homme passait de plus en plus de temps à l'écurie après ma séance. Il se postait dans un coin discret pour ne pas me déranger je présumai puis il se mettait à m'observer pendant que je m'occupais de Knight. Vendredi, il avait scruté le moindre de mes gestes avec attention et samedi, je crois même l'avoir vu prendre quelques notes, ce qui m'avait fait arquer le sourcil.

Bien que je sentais que nous nous rapprochons un peu plus chaque jour, les rares fois où nous nous croisions à l'école, nous nous ignorions. Cela rejoignait ce que je disais plus haut de garder notre distance en public pour ne pas éveiller les soupçons. Je sais, cela sonnait comme une relation amoureuse secrète du style Roméo et Juliette moderne mais ce n'était pas du tout ainsi que ça se passait. Tout comme j'avais un lien avec Knight, je me suis aperçue que j'avais un lien avec l'inconnu. Un lien indéfinissable qui ne s'expliquait que par sa présence à mes côtés à l'écurie. Au lycée, nous restions donc des inconnus.

Aujourd'hui, jour de repos, je comptai renouveler ma séance de dimanche dernier. A 18h, c'est ainsi que j'entrai dans la carrière en tenant un cheval en longe. Mon inconnu sous son arbre était quant à lui en train de sortir un carnet de son sac, je supposai qu'il devait encore faire ses devoirs même si cela était un peu étrange vu le peu de travail que nous avions en cette première semaine de cours. Enfin de toute façon, cela m'importait peu.

Je me mis donc au travail et fis décrire un large cercle de 8 mètres autour de moi à mon cheval. Je remarquai que mon jeune motard me fixait encore plus assidument que d'habitude, jetant entre temps de petits coups d'œil à son calepin, mais je ne m'en inquiétai peu, bien plus concentrée sur ma monture. Une demie-heure plus tard, je finis mon entraînement et m'occupai de mon cheval. Lui (le garçon pas le cheval bien sûr!) était allongé sur une botte de paille et me regardait tranquillement, un sourire aux lèvres. Cachée de l'autre côté de Knight, je continuai de le brosser tout en détaillant mon observateur très attentivement lorsque son attention à lui faiblissait.

Malgré le fait qu'il soit un personnage très inquiétant avec tout ce mystère planant autour de lui, je dus reconnaître qu'il sortait du lot. Ses épaisses boucles brunes lui donnaient un petit air rebelle et soulignaient ses yeux noisettes pétillants de malice. Quelques tâches de rousseurs dispersées sur ses joues faisaient ressortir son côté gamin, ce qui n'empêchait pas son sourire d'être — il fallait bien l'avouer — à tomber sur le cul. Je ne l'avais jamais observé de si près, ne m'étant jamais vraiment attardée sur son physique. Jamais je n'aurai cru que mon inconnu pouvait être aussi mignon, et pourtant je n'étais pas le genre de fille à prêter beaucoup d'attention à ce genre de chose. Quand il finit par s'apercevoir que je le fixai très étrangement (avec des yeux écarquillés et la bouche ouverte je supposai, même si je priai intérieurement pour que ça ne soit pas le cas), son sourire s'agrandit encore, dévoilant des dents blanches et creusant un petit trou dans sa joue gauche.

En colère contre moi-même de rougir autant pour un simple sourire, je lançai à ses pieds la brosse que je tenais dans les mains et reculai de quelques pas, croisant les bras et le regardant avec un air de défi. Lâchant un petit rire, il ramassa la brosse, redressa sa longue silhouette fine et s'approcha de Knight. Ce dernier lui renifla la paume qu'il lui tendait avec intérêt puis, doucement, le garçon se mit à le brosser. Ses gestes n'étaient pas très assurés, je devinai qu'il essayait tant bien que mal de reproduire mes mouvements qu'il avait longtemps observés. Cependant, ce qui me sidéra fût l'attitude de mon cheval: celui-ci qui, habituellement, était très nerveux et ne se laissait jamais approcher par des étrangers, était calme comme jamais tandis que le motard passait sa brosse sur son flanc. Encore une fois, Knight trouvait la présence de ce personnage à ses côtés tout à fait naturelle.

Après avoir passé un rapide coup de brosse sur ma monture, le motard détacha mon cheval puis me regarda avec un air interrogateur. J'approuvai d'un hochement de tête et mon inconnu dirigea mon cheval dans l'allée jusqu'à son boxe, enleva son licol puis ressortit en prenant bien soin de refermer la porte. Cette fois-ci, j'étais sûre que ma mâchoire inférieure avait touché le sol. Le garçon me regarda avec son sourire si charmeur puis repartit en direction de sa moto d'un pas tranquille, les mains fourrées dans les poches. Quand il atteignit le pas de la porte de la grange, il leva une de ses mains pour me faire signe d'au revoir puis sans se retourner, il sortit de l'écurie.

Encore toute retournée, je rentrai donc chez moi en passant près de la carrière. Mes pas me menèrent jusqu'à son arbre. Pendant que je passai devant, un mouvement dans se dernier attira mon attention. Je me retournai et vis une petite feuille retenue à l'arbre par un bout de scotch. Pensant que plus rien ne pouvait m'étonner, je dépliai la feuille. Mes yeux s'écarquillèrent et sans chercher à comprendre, je fourrai la feuille dans ma poche et repris le chemin de la maison.

Tout ce qu'il me faut actuellement, c'est une bonne douche d'eau froide et un bon dîner pour me remettre les idées en place.

Je regardai une dernière fois l'horizon avant de rentrer chez moi, et j'aperçus au loin la silhouette d'une moto qui s'éloignait.


Une fois dans mon lit, en pyjama et l'estomac plein, j'attrapai la feuille que j'avais posée sur ma table de chevet. Je la dépliai et regarda de nouveau le dessin qui s'y trouvait. C'était un dessin griffonné à la hâte qui était pourtant d'une grande précision; je n'eus aucun de mal à reconnaître mon cheval trottant élégamment, la queue en panache et la tête haute, les oreilles pointées vers l'avant. Un trait blanc parcourait l'image, reliant le licol de Knight à un bord de la feuille. Je reconnus la longe, et compris pourquoi aujourd'hui, l'inconnu nous fixait plus attentivement que d'habitude.

En bas à gauche de la feuille, deux lettres: "A.S".

ChevauchéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant