Chapitre 26 ♦ Concessions

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♫ FourFiveSeconds - Kanye West, Rihanna, Paul McCartney


« Il faut que j'y aille. »

Nous étions jeudi midi. Depuis le début du repas, Amy n'arrêtait pas de jeter des coups d'œil vers David et Evans qui mangaient avec quelques autres Terminales. Quelques tables plus loin, Cecilia rigolait avec un groupe de filles.

« Hein? Tu vas où? questionnai-je Amélie qui s'était déjà levée.

– T'en fais pas, j'en ai pour deux minutes, répliqua-t-elle avec un petit sourire en coin en traversant le self. »

Curieuse, je regardai mon amie se diriger vers la table des frères Tormosi. Étrange, je n'avais pas souvenir de l'avoir déjà vue parler avec eux. Il me semblait même qu'ils ne se connaissaient pas.

Depuis ma place, je ne pouvais pas entendre leur conversation. Quoiqu'il en soit, je vis Amélie s'installer à leur table et les saluer, un grand sourire aux lèvres. Il fallait reconnaître qu'elle était quand même mignonne, avec son carré ultra-court et ses mèches rouges. Tout d'abord, les garçons de la table la dévisagèrent, très étonnés, en se lançant entre eux des regards d'incompréhension. Puis Amy sembla tenter de lancer la conversation, et s'adressa à Evans en le regardant droit dans les yeux. Il hocha la tête puis tous les deux se levèrent pour se diriger dans un coin de la salle.

« Bordel de merde mais Amy qu'est-ce que tu fous... soufflai-je pour moi-même. »

Mon amie prit d'un coup un air plus sérieux, bien qu'elle sourisse toujours, et Evans sembla toujours aussi indifférent, comme à son habitude. Je compris d'où j'étais que Amélie lui expliquait quelque chose, puis qu'elle attendit une réponse. Evans était de dos mais au visage d'Amy, je devinai que sa réponse lui plut. Elle lui fit un large sourire, puis retourna s'asseoir en face de moi. Le gars, quant à lui, regagna sa place avec un petit sourire supérieur sous les regards perdus de ses amis.

« Mais... Qu'est-ce que... Tu le connais? furent les seuls mots qui réussirent à sortir de ma bouche lorsque mon amie se remettait à manger son assiette de pâtes comme si de rien n'était.

– Maintenant, oui,  me répondit-elle tout en continuant de manger.

– Enfin bon sang Amélie, explique-toi!

– Bah je suis allée à sa table, ai lancé un truc comme 'salut les gars quoi de neuf?', puis 'Evans je peux te parler seul à seul?'. Après je lui ai expliqué l'histoire avec Chris, et je lui ai demandé s'il voulait bien être celui qui lui foutra la rage et...

– Attends!! la coupai-je en m'exclamant. Tu lui as demandé... De faire semblant de sortir avec toi?? »

Je devinais que ma mâchoire devait mariner dans la sauce de ma dinde, et que mes yeux devaient être ouverts comme des soucoupes, mais j'avais du mal à croire que la petite Amélie réservée vienne de demander à un gars qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève de devenir son faux petit-copain.

« En gros, c'est ça. J'ai pensé qu'il était le meilleur gars pour ça, continua-t-elle avant que je ne l'interrompe de nouveau. Parce que de toute façon, on sait tous qu'il ne restera pas ici longtemps, cette histoire ne risque donc pas de lui créer beaucoup de problèmes, puis j'ai pas senti de tension sexuelle entre lui et Cecilia, contrairement à David où elle se sent à des kilomètres.

– Je... Attends... Tu sens ça toi?

– Nan mais attends, c'est aussi évident qu'un nez au milieu du faciès! Regarde, c'est comme toi avec le p'tit gars de l'écurie. J'ai vu clair dans votre petit jeu dès le début. »

Elle m'annonça ça d'une manière si sereine que j'en restai sans voix, sans compter sur ses yeux qui se levaient au ciel comme pour mimer l'évidence. De la tension sexuelle? Entre moi et As? Mais où est-ce qu'elle allait chercher des conneries pareilles?

« Enfin... Nan, mais d'où tu sors ça? Je vois pas du tout de quoi tu parles! dis-je en sentant mes joues me brûler.

– Oh, arrête de nier je te connais Maud. Me dis pas que t'as jamais bavé sur lui! »

Je mis quelques secondes à comprendre sa phrase, puis me remémorai le jour où j'avais oublié ses vêtements dans le sèche-linge. Je me levai d'un coup, devinant que tout mon visage devait virer au cramoisi:

« C'était un accident!!

– Et tu ne l'as jamais regardé en te demandant comment ça pourrait être de l'embrasser? »

Cette fois-ci, je repensai à hier soir, quand il était assoupi dans le boxe et que nous nous étions retrouvés dangereusement près, tout comme samedi où nous étions tombés en douchant June.

« Amélie!! la réprimandai-je, ce coup-ci un peu énervée. »

Enfin en réalité, j'étais plus énervée contre moi que contre elle, simplement parce qu'il avait suffit qu'elle nous voit une seule fois pour "voir clair dans notre petit jeu" comme elle disait, alors que moi-même je n'étais pas sûre de ce que je ressentais pour lui, ni même si effectivement je ressentais quelque chose. Elle avait vu en moi mieux que moi-même.

Mais je me calmai rapidement, une question me trottant dans la tête. Je me rassis en lui demandant plus posément:

« C'est si évident que ça? "

– Oh! Bien moins que Cecilia et David si c'est ce qui t'inquiète! En réalité, je crois même que je suis la seule à être au courant. Enfin, c'est depuis l'histoire avec Chris, j'ai l'impression de sentir ce genre de tensions entre les gens. Par exemple, l'autre fois j'avais bien senti un truc entre toi et Caleb mais j'avais rien dit, parce que je savais pas ce que ça signifiait et je voulais pas foutre la merde. Mais quand au final il s'est avéré qu'il y avait vraiment quelque chose, j'ai compris. Alors je me suis remémoré la fois où on avait séché chez toi, et que je vous avais vu tous les deux. C'était la même chose, mais moins évident, plus fort, et surtout... réciproque. »

Je méditai quelques instants ses paroles. Un truc... entre As et moi... Ouais, ça me semblait évident. Mais... ce genre de truc? Réciproque qui plus est? Je n'y avais avais jamais pensé, mais cela me semblait effectivement plutôt vraisemblable.

« Et puis il est quand même sexy... »

La phrase de Amélie me coupa en plein dans mes réflexions.

« Hein? Qui ça? m'exclamai-je.

– Bah Evans. »

Je soupirai, soulagée. Oui, un instant j'avais bien cru qu'elle parlait de As. M'en rendre compte me troubla. Depuis quand était-il devenu si... important? Je savais très bien que ce n'était pas la première fois que je me posais la question, mais chaque fois le lien qui nous unissait semblait se resserrer. Tout ça semblait pourtant si simple... Quand j'étais avec lui je ne me posais pas toutes ces questions; à ses côtés, je me contentais juste... d'en profiter.

La cloche mit fin à mes réflexions, et je partis poser mon plateau tandis que mon amie rejoignait déjà son prochain cours.

Quand j'ouvris mon casier pour sortir mes affaires d'anglais, je remarquai tout de suite la feuille blanche pliée en deux qui y avait été glissée. Me doutant plus ou moins du destinataire, je l'ouvris un sourire aux lèvres, me fichant bien d'arriver en retard en cours:

« Ça te dit que je te ramène ce soir? Ne t'en fais pas, je t'ai prévu un casque cette fois ;) Signé ton AS. »

Un tour de moto blottie contre contre lui... Hum après tout, pourquoi pas?

Je rejoignis ma salle de cours en pirouettes, impatiente que les cours se terminent. Aux regards éberlués de mes camarades quand j'entrai dans la salle, je me rappelai que les murs de cette pièce étaient vitrés. Bon ben pour la discrétion, c'était râpé.

ChevauchéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant