Chevauchée

Chapitre 30 ♦ Volte-face

♪ Crash - Sum41

Alors que je m'attendais à ce que mes lèvres rencontrent celles de mon beau brun, je sentis qu'elles se déposèrent sur sa joue. Surprise, je rouvris les yeux et me reculai pour le regarder, confuse. Il m'avait pourtant semblé qu'il désirait la même chose que moi! Cependant, il avait la tête obstinément tournée vers le couloir, et ses yeux étaient fuyants, fixant un point au loin.

Je restai quelques instants face à lui, cherchant une explication, attendant une réaction... Mais rien ne vint. Alors totalement honteuse, je me levai, attrapai d'un geste brusque ma valise et me dirigeai d'un pas rapide et rageur vers les dortoirs, laissant As giser ainsi au sol, les idées on ne peut plus brouillées.

« Qu'est-ce qu'il t'es arrivé Maud? s'exclama Débo inquiète en me voyant sur le pas de la porte absolument perdue.

– Je... J'en ai aucune idée, je ne sais pas ce qu'il m'a pris je te jure, je...

– Hé calme-toi ça va aller Maudouille! répondit mon amie en se précipitant vers moi. Raconte-moi tout, qu'est-ce que tu as fait?

– Je l'ai embrassé.

– Hein? Comment ça?

– Enfin plutôt, j'ai voulu l'embrasser. Mais il a détourné la tête. »

J'avais prononcé cette dernière phrase en la fixant droit dans les yeux, glaciale.

« Oh Maud... ajouta mon amie, ne savant pas vraiment comment réagir. »

Je la contournai alors pour entrer dans la chambre, abandonnai ma valise au centre de celle-ci et m'écroulai sur le lit vide. Vide comme mon être en cet instant. Mais qu'est-ce qu'il m'avait pris de vouloir l'embrasser bon sang? Depuis quand est-ce que je voyais As de cette manière? Et sa réaction... avait été on ne peut plus claire.

Je serrai les dents au souvenir de cette scène. Il avait pourtant l'air d'en avoir tout autant envie que moi... Non mais après tout, pour qui se prenait-il ce garçon, à débarquer dans ma vie comme ça, à me faire du charme, puis ensuite à me rejeter quand je tombais enfin dans ses bras? C'est ce qu'il voulait depuis le début, non?

Et puis après tout, imaginons que je me trompais, imaginons que lui aussi en avait eu envie de ce baiser, mais que des raisons extérieures l'en avaient empêché. Dans ce cas il aurait pu dire quelque chose au moins, non? Ah non, j'oubliai, ce type là ne m'adressait jamais la parole. En réalité, j'en avais plus que ras-le-bol de cette situation, de son petit manège de "je suis un homme mystérieux je ne lui parlerai pas", à un moment il allait pourtant falloir le mettre face à ses responsabilités, j'en avais marre de tout ce petit jeu là avec lui. À un moment, les choses doivent être dites, et réellement, avec des mots, des syllabes vibrant dans l'air, s'enchaînant les unes après les autres.

Le temps où j'étais son petit jouet était révolu. Désormais, il était temps que je sache dans quelle cour il jouait.

Énervée, je sortis de mon lit d'un bond et quittai la pièce d'un pas vif, claquant la porte derrière moi. J'avais bien entendu Déborah m'appeler, mais je l'avais ignorée. J'étais une mauvaise amie, elle ne méritait pas que je la traite comme ça... Mais à vrai dire, je me sentais d'assez mauvaise humeur comme ça, et je n'avais pas vraiment envie de m'en prendre à elle. Je savais que sous le coup de la colère, j'étais capable de dire des choses affreuses que je regretterai ensuite pendant bien longtemps.

Mais pour le moment, la seule chose qui me préoccupait était de dire ses quatre vérités à cet enfoiré de As.

Je parcourais les couloirs d'un pas rageur à sa recherche quand je tombai sur Amy et Evans, blottis amoureusement l'un contre l'autre et en train de s'échanger respectivement leur salive. En effet quelques temps plus tôt, le plan Anti-Chris avait plutôt bien fonctionné, et voilà que l'Italien et mon amie avait d'ailleurs dépassé le stade de "faux-couple", et s'affichaient désormais ensemble, collés l'un à l'autre, dans tous les endroits publiques et à chaque moment de la journée.

D'un côté j'étais heureuse pour eux, heureuse de les voir s'épanouir ainsi, sauf que là ils se trouvaient au mauvais endroit, et au mauvais moment.

« Eh vous deux, vous pouvez pas vous décoller cinq minutes? leur lançai-je avec hargne. Vous croyez pas qu'on en a marre, nous, de votre petit cinéma? Vous nous imposez votre pseudo-amour tout le temps sans vraiment nous demander notre avis, mais ça sert à rien de se voiler la face, de toute façon on sait tous que bientôt Evans repartira avec sa clique à l'autre bout du monde, te plantant là Amy comme une fille de plus dans sa longue liste de conquêtes internationales. Alors maintenant si vous pouviez arrêter d'imposer vos séances d'échange de salive avec les gens qui ne sont pas vraiment concernés ce serait vraiment cool de votre part. »

Les deux tourtereaux me fixèrent éberlués, autant par mes propos que par tout le venin que je venais de déverser ici sur eux sans vraiment de raison. Toutefois je ne leur prêtai pas plus d'attention que ça, et repris ma marche folle dans les couloirs.

Soudain, je passai devant une chambre dont la porte était ouverte, laissant apercevoir une silhouette familière.

« As! criai-je d'un ton autoritaire en rentrant dans la chambre. »

Sous l'effet de la surprise, le garçon qui me faisait dos lâcha le t-shirt qu'il avait entre les mains et se retourna pour me faire face.

« J'en ai assez de ton petit jeu maintenant! J'en ai assez de tes sourires d'un jour, et de tous tes mystères! D'accord, t'as tes problèmes, te ne peux pas m'en parler. C'est ton choix et je le respecte. Sauf que tu vois, parfois j'ai l'impression que tu te fous plus de ma gueule qu'autre chose! On dirait que tu fais tout pour que je tombe sous ton charme et, quand ceci est presque fait, tu te retires alors, ne prenant aucun risque. Mais est-ce que tu t'es déjà demandé ce que moi je pouvais ressentir? Alors oui, t'as tes secrets tout ça, sauf que tu vois, ça me consume cette situation! Mais bon je ferme ma gueule et je dis rien parce que après tout, on ne s'en sort pas si mal que ça. Sauf que là tu vois, j'en peux plus, je craque! Tu sais ce que ça fait de s'être attaché à quelqu'un au point de se sentir totalement vide sans cette personne à ses côtés, sans pour autant ne savoir ne serait-ce que son nom? Bah moi je peux te dire que c'est juste horrible! Parce que après tout, qu'est-ce qui ne me dit pas qu'en réalité tu joues avec moi depuis le début, et que ça t'amuse de me voir me dépatouiller comme je peux face à ton mutisme? Parce que là, je me suis rendue compte que peu importent les choses qu'on a traversées ensemble, peu importent tous les bons moments qu'on a passés, peu importe à quel point je me suis attachée à toi et à ton mystère: tu restes un étranger, et je ne sais rien de toi, pas même ton nom. Et ça me tue ça As, ce surnom me tue même, et cette putain de situation me tue! Alors maintenant, fais quelque chose, je t'en supplie. Aide-moi à y voir plus clair, aide-moi à comprendre ce qu'il se passe... Je suis tellement perdue, j'ai besoin de toi! »

Tout ça était sorti de mon cœur sans même que j'y réfléchisse. Tous mes doutes et mes incertitudes, que je portais en moi depuis maintenant presque trois mois, avaient enfin pu s'exprimer. Et moi j'étais là, les bras ballants, dans l'encadrement de la porte de sa chambre, à attendre une quelconque réaction de sa part.

Mais rien ne vint. Il se contenta de me fixer depuis l'autre bout de la pièce, avec une expression à la fois blessée, torturée, peinée, puis... Plus rien. L'indifférence.

La cloche annonçant le début du repas retentit, et il bougea enfin. Il se dirigea vers moi, mais me contourna au dernier instant pour pouvoir simplement sortir de la pièce.

Il avait fui. Il m'avait abandonnée. Il m'avait définitivement laissée tomber.

Alors, avec l'impression qu'il venait de faire sauter mon cœur à la dynamite, c'est moi qui tombai au sol.