Chapitre 28 ♦ As de Cœur

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♫ Rather Be - Clean Bandit


« Maud! résonna la voix de ma mère une énième fois à travers la maison. Dépêche-toi on va être en retard!

– J'arrive j'arrive! lançai-je en passant la tête par l'entrebâillement de ma porte tout en enfilant mon pantalon. Et arrête de crier si tôt s'il te plaît! Il est cinq heures du mat'! ajoutai-je en maugréant.

– Très bien, il te reste dix minutes. Avec ou sans toi moi je m'en irai.

– Ouais ouais t'inquiète... »

Je lançai un dernier regard à mon reflet avant de partir. Désespérée par l'image que je vis, je tentai de passer les doigts à travers ma tignasse fauve avant d'abandonner en soupirant. Chaque mèche semblait vouloir devenir indépendante, et mes yeux éteints et bouffis témoignaient très bien de l'heure matinale qu'il était, et donc du peu de sommeil que j'avais eu.

Préférant passer les quelques minutes qu'il me restait avant le départ à dire au revoir à Knight plutôt qu'à tenter de ressembler à quelque chose (de toute façon, qui se préoccuperait de mon apparence à 5h30 du mat'?), j'enfilai un immense sweat à capuche de j'adorais, puis balançai mon sac sur l'épaule. J'éteignis la lumière de ma chambre et tentai péniblement de descendre les escaliers avec ma valise. Puis, je l'abandonnai aux mains de ma mère avant de partir en courant vers la grange:

« T'inquiète j'arrive tout de suite M'man, je vais juste dire au revoir à Knight! »

Ma mère soupira, mais je savais qu'elle souriait: d'une certaine manière, elle était contente de voir à quel point les chevaux, et surtout le mien, étaient importants pour moi. Parfois, je me surprenais à me demander ce qu'elle serait devenue si je n'étais pas née avec la même passion qu'elle. Dans ces moments je me rendais compte à quel point toute notre vie, à toutes les deux, avait toujours tourné autour des chevaux.

Quand je m'approchai doucement du boxe de mon cheval, je vis ce dernier lever un œil endormi dans ma direction. Je fis coulisser le loquet de la porte sans bruit et me glissai à ses côtés.

« Désolée de te réveiller mon beau, lui chuchotai-je en le caressant affectueusement. Je sais qu'il est bien tôt, mais je voulais juste te faire un petit au revoir avant de partir. Je serais absente que cinq jours, ne t'en fais pas. Pas de bêtises d'accord? »

En guise de réponse, il s'ébroua.

« Oui, toi aussi tu vas me manquer... Mais je serai de retour bientôt, sois sage! »

Tandis que je sortais, je vis cette étincelle dans le regard de ma monture. Cette étincelle qui me donnait l'impression qu'il comprenait chacun de mes mots, qui lui donnait un air presque humain. Il m'accompagna jusqu'à la porte puis enfouit ses naseaux dans mon cou, comme pour me dire au revoir lui aussi. Je rigolai doucement puis refermai la porte avant de me précipiter vers la voiture de ma mère qui m'attendait dans la cour, feux allumés et moteur déjà en marche.

« C'est bon, on peut y aller. En route! lui lançai-je en me glissant sur le siège passager d'un même geste. »

Et nous quittâmes l'écurie, nous engageant sur le chemin de terre.

Dans ma main, mon téléphone vibra. J'allumai l'écran et grimaçai en voyant l'heure: "Lun 12 nov. 5h39". Puis, j'ouvris la notification de l'agenda:

"Rappel: 6h00 → Départ voyage Alpes"

Je reposai mon téléphone, et regardai distraitement par la fenêtre, même si le paysage était plongé dans l'obscurité. À vrai dire, j'étais tout de même un peu excitée par ce voyage: même si nous avions été prévenus de ce voyage scolaire un peu tardivement et que nous ne partions que dans les Alpes, cela allait être pour moi l'occasion de voir un peu du pays. Parce que à part pour les compétitions et lors des vacances à Paris chez ma tante, ma mère et moi ne voyagions pas beaucoup à cause des chevaux bien sûr. Même si j'adorais ma vie, parfois je me demandais ce que c'était d'avoir une famille "normale", de visiter des tas d'endroits différents pendant les vacances... Et aussi de passer du temps avec ses amis. C'était la deuxième raison de mon excitation: encore une fois avec le travail à l'écurie, je ne pouvais pas vraiment sortir de chez moi, et voyais donc rarement mes amis en dehors du lycée. Là, nous allons tous passer cinq jours entiers ensemble.


« Maud! Nous n'attendions plus que toi! s'exclama Mme Galipos qui me semblait extrêmement fraîche pour 6h du mat tandis que je m'extirpais de la voiture. »

Elle ne me laissa d'ailleurs pas vraiment le temps de saluer ma mère, et me semblait plus excitée par ce voyage que tous les élèves réunis. Ce fut également elle qui s'occupa de mettre ma valise dans la soute du bus tout en me pressant de monter, ce que je fis.

Dans le bus régnait une étrange atmosphère: l'excitation et la fatigue se mélangeaient dans ce véhicule rempli d'une cinquantaine d'élèves. Étant la dernière, je n'avais pas vraiment le choix de place, et m'assit à une de libre près d'un garçon ayant sa capuche rabattue sur le visage, le cachant complètement. Au moins, ce ne sera pas ce voisin qui m'empêchera de récupérer mes quelques heures de sommeil.

Le bus s'ébranla, puis quitta le parking du lycée. Des cris de joie retentirent au fond du bus. D'habitude, je serais sans aucun doute avec ces gens joyeux, mais pour le moment le calme était la seule chose dont j'avais besoin. Et quand mon voisin releva légèrement la tête, de telle sorte que je l'aperçus, je ne regrettai pas mon choix de m'être assise ici.


La garçon assis à mes côtés devait déjà être en train de somnoler. De sa capuche, je vis des mèches s'en échapper. Puis un nez, des pommettes, et des yeux fermés. Je souris. Je m'approchai de lui, lui dégageant une mèche brune qui lui barrait le front. Ce geste le réveilla quelque peu, mais j'approchai ma bouche à la hauteur de son oreille pour lui chuchoter:

« Décidément, le hasard fait bien les choses. »

Il ouvrit les yeux en grand, et me fixa de son regard noisette. Il fut d'abord surpris mais un sourire illumina rapidement son visage.

« Bienvenue parmi nous jeune homme.

– Hey... me chuchota à son tour ce dernier à l'oreille. »

Comme toujours, son souffle dans ma nuque me fit frisonner, et son mot résonna en moi longtemps. Il se recula avec un petit sourire satisfait. Comme s'il se rendait compte de l'effet qu'il me faisait. Je m'approchai une nouvelle fois de lui, toute fatigue s'étant totalement envolée à l'instar de mes pensées sur ce qui m'attendait dans quelques heures.

« Si tu veux jouer à ce petit jeu, sache que je déteste perdre, chuchotai-je encore plus près et plus doucement. »

Ce coup-ci, je vis clairement que ce fut lui qui frissonna en rougissant imperceptiblement. Penser que l'effet qu'il me faisait était réciproque me rendait particulièrement joyeuse.

Puis je sentis qu'il me prit mon téléphone que je tenais toujours en main. Devant l'écran de verrouillage, il n'hésita pas une seule seconde et tapa: "KnightCoster". Voir qu'il me connaissait si bien me fit sourire de nouveau. Il pianota quelques instants sur mon engin, puis me le rendit. Il avait créé une nouvelle page de contact avec son numéro. Devant le surnom qu'il s'était donné, ce fut moi qui rougis.

"As de Cœur" affichait mon téléphone.


ChevauchéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant