Chevauchée

Chapitre 31 ♦ Black&White

♫ Total Eclipse Of A Heart - Sleeping At Last

Je n'étais assise par terre, seule dans cette chambre désormais vide, que depuis quelques minutes, lorsqu'un léger coup fut porté à la porte, bien qu'elle soit déjà ouverte.

Je redressai alors vivement la tête avec l'infime espoir que As était revenu sur ses pas. Mais ce n'était que Débo.

« Maud... Tout le monde t'attend dans le réfectoire.

– Je... Je ne peux pas venir. »

J'enfouis de nouveau ma tête dans mes bras, honteuse. Oui, j'avais honte de réagir comme ça, mais d'un autre côté je me sentais incapable de me lever. Je n'avais qu'une envie; rester assise dans cette chambre, recroquevillée sur moi-même.

Ma meilleure amie comprit qu'il ne fallait pas insister et me laissa seule, ce dont je lui fus reconnaissante. J'aurai une sérieuse discussion avec elle pour tout lui expliquer. Mais plus tard.

Je restai ainsi pendant une demie heure, peut-être plus, quand une nouvelle irruption me tira de mes pensées. Je levai imperceptiblement les yeux mais les rebaissai aussitôt quand je découvris les chaussures de As.

Merde, j'étais restée trop longtemps ici, le repas était fini et le voilà qui rentrait dans sa chambre.

Sans un mot (étonnant de sa part n'est-ce pas?), il repoussa doucement la porte du pied, puis vint s'asseoir à mes côtés. Il se faisait tard, l'obscurité gagnait du terrain, mais il n'alluma pas la lumière.

Nous restâmes côte à côte un moment, entourés du silence et de l'ombre. Puis, il me tendit un gâteau encore dans son emballage qu'il avait dû dérober à la cafétéria. Je le pris reconnaissante, réalisant au même instant à quel point je mourrai de faim.

Une fois mon gâteau fini, je me rendis compte que le mal-être profond dans lequel j'étais plongée depuis l'incident du presque baiser s'était plus ou moins dissipé.

As et moi pouvions rester des heures ainsi, sans se parler, profitant simplement de la proximité de l'autre. Je le savais car ce n'était pas la première fois que nous partagions ce genre d'instant, même si évidemment le contexte était différent.

Malgré ma colère et ma honte envers lui, sa présence finit tout de même par m'apaiser, comme à chaque fois. Lorsque je me sentis d'ailleurs glisser dans un semi-sommeil, il se redressa. J'ouvris alors les yeux, et le trouvai face à moi, me fixant sérieusement.

Accroupi en face de moi, les avant-bras appuyé sur les cuisses, il avait une mèche brune bouclée qui lui tombait devant les yeux. Je dus résister à la tentation de la remettre en place. Ses yeux me fixaient d'une étrange manière, comme s'il lisait en moi. Et étrangement, à cet instant, j'eus également l'impression de lire en lui à travers ses yeux noisettes.

Par réflexe, je rougis lorsqu'il prit mes mains dans les siennes, mais ne détournai pas le regard. Ces mains fines et grandes, auxquelles j'avais fini par m'habituer, me procuraient tout de même encore des frissons. Quant à ce que je vis dans ces yeux, c'était du regret, des remords, de la frustration, de la peine et... peut-être une part d'affection.

Perdue comme je l'étais, je me demandai bien ce que lui pouvait voir à travers les miens. Quoi que ce soit il lâcha brusquement mes mains et avant que je réalise ce qui était en train de se passer, je me retrouvai contre son torse, ses bras m'y tenant fermement, et sa tête enfouie dans mon cou.

C'était sa manière de se faire pardonner. Les choses ne devaient pas aller si vite entre nous. Il ne fallait pas briser ce lien qui nous unissait.

Nous étions entrelacés d'une bien étrange manière sur ce plancher, mais bien que je n'osai pas lui rendre son étreinte, j'en savourai chaque instant. Cependant, je vis bien que lui était mal, et je devinai que c'était à cause de ce que je lui avais dit précédemment, à propos de son identité que je ne connaissais toujours pas.

Alors quand il s'éloigna pour prendre mon visage entre ses mains, je compris une chose. Lui aussi s'en voulait. Il aurait voulu me parler. Me dire son nom. Mais chacun avait ses propres démons, et les siens l'empêchaient de faire tout ça.

Il me déposa un baiser sur le haut du crâne, signe de protection, et je dus m'en contenter. Toutefois à cet instant, je me rendis compte qu'il était peut-être encore bien plus différent de tous les autres. Il avait un secret, ou plutôt un fardeau. Un jour, je sais qu'il me le partagera. Mais ce moment n'était pas venu. Pas encore.