Insensiblement, les jours se transformèrent en décades, puis les décades en mois...
Les premiers temps, elle aperçut assez peu Seigé Leftarm – ou le Seigé, comme tout le monde ici disait avec révérence. Entre ses cours avec Inause et ses séances d'entraînement avec le Lieutenant Saulnier, ses journées se transformèrent en un marathon d'apprentissage accéléré dans lequel le maître de Bhénak ne sembla pas vouloir intervenir davantage.
Mais, au bout d'un peu plus d'une décade, elle commença à être convoquée régulièrement au Grand Bureau – ainsi que tout le monde ici appelait les quartiers du Seigé, tout en haut de Bhénak.
Au début, cela fut pour des interrogatoires assez informels sur son monde natal, sa technologie, son organisation. Claire ne comprenait pas toujours le sens de certaines questions qu'on lui posait, mais elle s'efforça néanmoins de répondre du mieux qu'elle le pouvait. Son employeur semblait sincèrement intéressé par sa planète natale : une planète bien trop éloignée pour avoir jamais entendu parler du Quadrant, une planète avec une technologie trop primitive pour s'arracher franchement à son orbite, mais suffisante pour avoir inventé les réseaux de données et l'informatique. Comme lui avait dit Inause, on pouvait la considérer comme une planète pré-tech de niveau 3, arriérée, certes, mais de toute évidence suffisamment singulière aux yeux du Seigé pour justifier ces entretiens à bâtons rompus, qui pouvaient durer jusqu'une heure entière, selon le sujet abordé.
Heureusement, elle s'était toujours intéressée à l'actualité – d'autant plus que ses parents suivaient encore religieusement la vieille tradition du 20 Heures à la télévision. C'était pour sa famille une occasion de se rassembler après le repas et d'échanger sur les évènements du monde – avant que chacun ne parte passer la soirée devant son film, son livre ou sa série préférée.
Comme elle lisait également tout ce qui lui tombait sous la main – jamais on ne lui avait retiré un livre ou un magazine des mains en lui disant ce n'est pas de ton âge ! -, ces connaissances lui permirent donc de soutenir assez honorablement la plupart de ces conversations, qui avaient lieu en général le soir, après ses divers cours et entraînements, et durant lesquels son employeur en profitait également pour faire le point sur ses progrès.
Au cours de ces entretiens informels, il arrivait parfois que le Seigé laisse brièvement tomber le masque, manifestant de la surprise, ou de l'intérêt, devant certaines de ses réponses. Il semblait particulièrement intéressé par l'état actuel de la Terre, son organisation politique (comment, vous n'avez pas encore de gouvernement unifié ?), ses technologies (vous brûlez votre pétrole ? Vous en êtes encore là ?), ses médias (vraiment, vous laissez tout un chacun publier ce qu'il veut sur votre HoloRéseau ? Sans le moindre contrôle ?) et ses ressources diverses (une planète de type M-3, avec des environnements si variés, est une vraie rareté dans l'Univers, le saviez-vous ?).
Devant ces manifestations si peu habituelles d'humanité de la part de son sévère employeur, Claire tenta un jour de soumettre une requête. Elle n'avait en effet jamais revu ses affaires, confisquées lors de son arrivée par les soldats qui surveillaient les installations du Vortex. Certes, son téléphone ne lui aurait pas servi à grand-chose à Bhénak, d'autant plus qu'il devait être à court de batterie, mais elle avait eu dans son sac, ce jour-là, d'autres choses auxquelles elle tenait : son portefeuille, avec des photos de sa famille, des livres, ses clés, ses papiers d'identité... Tous ces objets qui ne lui serviraient peut-être à rien, ici, mais qui étaient tout ce qui lui restait de sa vie d'avant.
Surtout qu'ici, ils sont tellement avancés, ils devraient bien être capables de recharger mon portable, non ? D'une manière ou d'une autre ? J'ai toutes mes photos dedans, et mes vieux mp3... Peut-être même, si ça se trouve, que ça l'intéresserait, lui ?
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...