Chapitre 61

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Tout allait trop vite ! Elle n'était pas prête, pas du tout ! Et pourtant, elle savait que poursuivre avec les Libertans aurait causé irrémédiablement leur échec...

Elle n'avait pas le choix.

De toute manière, si je veux des réponses, il n'y a que lui qui puisse me les donner...

Elle quitta le quai, tentant de retrouver son calme. Elle allait devoir trouver une bonne raison à sa présence ici, et vite. La vie de ces gens, qui lui avaient fait confiance, en dépendait. Elle devait gagner du temps.

Qui essaies-tu de leurrer ? Il a toujours su quand tu tentais de lui cacher quelque chose. Il sait déjà que tu es là. Il sent déjà ton trouble. Il ne lui faudra pas longtemps pour deviner la vérité !

Mais alors que lui revenait en mémoire la raison de sa venue ici, Celer et le reste, sa peur disparut soudain, remplacée par la colère et la détermination. Il lui avait menti au sujet de Celer. S'il s'était vraiment servi d'elle, si le retour sur Terre était possible, et qu'il ne lui avait rien dit, elle n'avait aucune raison de se sentir coupable. 

Et il me doit des explications, dans ce cas !

Elle prit un escalator au hasard, puis un autre, emprunta un long couloir bordé d'holoécrans diffusant des publicités criardes, et déboucha bientôt dans un vaste atrium, dont les hautes façades vitrées s'ouvraient sur la noirceur de la nuit.

Il s'agissait de quartiers d'habitation, reconnaissables à leurs murs dans les tons de rose. Plusieurs personnes étaient attablées dans un coin, près d'une rangée d'unités d'alimentation, à côté d'une série de boutiques automatiques. Un bosquet de grands buissons aux feuilles bleues étirait ses branches graciles jusqu'aux coursives supérieures, donnant à l'endroit un air paisible, accueillant... pas du tout ce à quoi elle se serait attendue d'un centre de recherches ultra-secrètes...

L'un des Humains avait enlevé sa blouse de scientifique et l'avait jetée en boule sur une table voisine. A demi levé, il racontait une histoire à grand renfort de gestes, en s'esclaffant bruyamment, alors que ses compagnons l'écoutaient en riant et en levant leurs verres. Parmi eux, deux Yllus au faciès de castor émettaient des petits couinements suraigus, ce qui était leur manière de rire à gorge déployée. Presque tous étaient vêtus du même uniforme bleu, mais la journée de travail était terminée et ils profitaient tranquillement de cet instant de détente.

Plus loin, d'autres personnes, dont plusieurs Sullites indigo, étaient enfoncées dans de vastes sofas et discutaient tranquillement autour d'une collation, en fumant ce qui ressemblait à de grands narguilés ornementés. Quelques-unes étaient en civil, d'autres portaient la tenue rouge du personnel médical. Elles lui jetèrent à peine un regard avant de reprendre leur conversation. Dans un autre recoin, des vigiles étaient rassemblés autour d'une console et riaient devant un holovid.

Tout le monde paraissait gai, sans soucis. En traversant l'atrium d'un pas rapide, la tête haute, Claire ne put s'empêcher de les envier amèrement.

Elle emprunta une longue rampe qui la mena finalement dehors, dans un petit parc suspendu entre deux immeubles colossaux. Elle s'aperçut alors qu'il pleuvait, et resserra frileusement le col de sa blouse.

Le jardin était obscur, éclairé de loin en loin par quelques lampadaires qui fumaient sous la pluie. Elle s'approcha d'une longue rambarde de pierre et son regard plongea vers le sol en contrebas. Le parc descendait en terrasses douces vers une grande esplanade déserte, qui luisait sous la lueur des lampes. En face d'elle, de l'autre côté de la place, d'autres tours s'élevaient dans la nuit, leurs ribambelles de lumières scintillant tels des joyaux.

Elle avait l'impression que l'air frais lui faisait du bien, l'aidait à clarifier les émotions qui virevoltaient follement dans sa tête. Elle inspira profondément, sentant peu à peu le calme revenir dans son esprit, et tenta de se perdre dans la contemplation du paysage, essayant de faire le vide pour se préparer à la confrontation à venir...

Soudain, elle entendit un chuintement étouffé. Aux deux extrémités du jardin, les portes venaient de s'ouvrir, et un bruit de cavalcade résonna dans les flaques d'eau. Avec un brusque pincement au cœur, elle se retourna. Deux dizaines de soldats lourdement armés venaient à sa rencontre.

— Pas un geste ! Vous êtes en état d'arrestation !

Résignée, elle leva lentement les mains.

Il a été encore plus rapide que je ne pensais... il a su indiquer exactement aux soldats où je me trouvais.

Pourvu que j'ai quitté les autres assez vite...!

Elle n'opposa pas la moindre résistance lorsqu'on la fouilla, sans rien trouver d'ailleurs – les Libertans n'avaient pas poussé la confiance jusqu'à lui confier une arme.

On ne lui posa aucune question... preuve, s'il en était besoin, du commanditaire de l'opération. Quelques minutes plus tard, une navette s'immobilisa à la hauteur du jardin, et on la fit grimper à l'intérieur. Utilisant toutes les techniques qu'elle connaissait pour cacher sa peur, elle garda un visage impassible. Un visage d'Assistante Personnelle de Seigé Leftarm.

Bien vite – trop vite – la navette s'immobilisa et on lui fit signe de descendre. Et, bien qu'elle s'y soit quelque peu attendue, c'est avec un pincement au cœur qu'elle reconnut l'endroit où elle débarquait. Elle l'aurait reconnue entre mille : c'était la terrasse, aussi humide et sombre que la première fois, où elle avait accepté d'entrer au service de Leftarm...



Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant