Les rues s'élargirent et les bâtiments – aux formes toujours aussi organiques, tout en courbes et en dômes - gagnèrent en hauteur au fur et à mesure qu'ils descendaient la colline et s'approchaient du centre. Bientôt les escaliers cessèrent. Marc filait toujours plusieurs mètres devant eux, sourd aux exhortations de Giles. Camyl se taisait, les traits fermés. La spatione semblait plus attristée qu'en colère contre le jeune Wardom, et le suivait avec ce qui ressemblait fort à du fatalisme.
Quelle mouche l'a piqué, celui-là ? Aller au cœur d'une émeute, c'est pas l'idée du siècle, même pour des terroristes !
Le sol était plat désormais, et ils commencèrent enfin à croiser des habitants, massés sous les porches, discutant dans les courettes ou sur les trottoirs étroits. Certains allaient dans la même direction qu'eux, vers le centre, muni de banderoles ou simplement de leur enthousiasme. D'autres, moins nombreux, en revenaient, sans doute pour prendre un peu de repos ou pour aller chercher des provisions. La plupart étaient Humains, mais Claire remarqua un certain nombre de Draafs, petits et replets, et même un groupe de Boleshs ailés, qui déplaçaient avec maladresse leur grande carcasse dégingandée dans l'une des allées adjacentes. Leurs grandes ailes membraneuses leur permettaient d'effectuer d'extraordinaires acrobaties aériennes, mais lorsqu'ils restaient à terre, ils avaient une allure plutôt pataude.
Ceux-là paraissaient très occupés : ils entraient et sortaient de l'un des immeubles avec des caisses et des contenants divers, qu'ils chargeaient dans un glisseur. Alors que Claire et ses compagnons traversaient la rue, ils virent l'un de leurs congénères arriver en battant des ailes et en trillant d'un air excité. En réponse, les trois autres accélérèrent leur chargement, pépiant frénétiquement entre eux.
Mais déjà Giles tirait violemment la main de Claire, qui avait ralenti pour les observer. Le groupe de non-hums disparut à sa vue, tandis que le pilote continuer à courir derrière Marc, entrainant la jeune fille dans sa course.
Le Wardom s'était engagé dans une nouvelle rue, étroite, bordée d'arcades aux pieds évasés. La clameur diffuse perçue plus tôt se faisait de plus en plus fortement entendre, loin devant eux, et Claire pouvait la reconnaître désormais pour ce qu'elle était : la voix d'une foule en colère.
Sous les larges arches en pierre translucide, quelques commerces étaient ouverts, et l'air bruissait de conversations animées. De rares chalands allaient et venaient entre les étals, et des enfants couraient de part et d'autre des piliers massifs en criant, survoltés par l'ambiance de surexcitation générale.
Soudain, elle trébucha. Entre la fatigue des derniers jours et tout ce qu'il y avait à observer et écouter autour d'elle, elle manqua une nouvelle série de marches et s'affala lourdement à terre, entraînant Giles dans sa chute.
Le pilote se releva aussitôt en jurant, tirant violemment Claire vers lui. Cette dernière, qui avait eu le souffle coupé par l'impact sur les marches de pierre, mit un peu plus de temps pour se redresser, et Camyl lui tendit une main secourable pour l'aider à se remettre debout. Elle l'accepta avec reconnaissance, ignorant Giles qui pestait en la fixant d'un air assassin, persuadé qu'elle l'avait fait exprès.
Dans le magasin le plus proche – un restaurant, de toute évidence – les tables avaient été repoussées contre les murs. Alors qu'elle se relevait, elle jeta un coup d'œil par l'ouverture voûtée qui menait à la salle intérieure, manifestement bondée. Elle s'aperçut qu'on « enrôlait » pour « l'Armée de la Libération de Maytessy » à tour de bras – c'est à dire qu'on distribuait des brassards, des haut-parleurs, des banderoles et des sandwichs avec de grands discours patriotiques.
Médusée, elle échangea un regard avec Camyl. Derrière ses lunettes teintées, elle ne voyait pas l'expression de la jeune femme, mais cette dernière pinça les lèvres d'un air farouche. Elle aussi avait parfaitement vu ce qu'il était en train de se passer et, étonnement, ça n'avait pas vraiment l'air de lui plaire.
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...