Camyl donna bientôt le signal du départ. Un nouvel escalier, au bout de la terrasse, leur permit de descendre dans une ruelle étroite en direction de l'ouest, entre les hautes maisons entrecoupées de placettes suspendues qui surplombaient la ville, de ce côté de la colline. D'autres escaliers et rues en pente descendaient encore plus bas vers le centre de l'agglomération, mais ils les ignorèrent, préférant contourner la cité par le flanc sud de la cuvette, pour se diriger vers l'astroport.
L'endroit n'était pas totalement abandonné, cependant. Ils virent passer de loin en loin quelques aéroglisseurs, qui tous se hâtaient en direction du centre. Des échos de conversations résonnaient parfois, sortant des fenêtres étroites au-dessus d'eux, vite étouffés. Mais où se trouvait donc la plus grande partie des habitants ? Pourquoi tous les commerces étaient-ils fermés ?
Depuis qu'elle les portait, les entraves lui avait mis la peau des poignets à vif. Quand Giles, d'un air entendu, avait passé l'un des bracelets à son propre poignet, mettant ainsi fin à son espoir de réussir à leur fausser compagnie dans une ruelle, même les mains liées, elle l'avait fusillé du regard. Elle notait désormais avec satisfaction qu'il commençait lui aussi à éprouver de l'inconfort, essayant de trouver une position qui ne lui mordrait pas les chairs... c'était mesquin, mais elle ne pouvait s'empêcher de sourire sombrement lorsqu'elle le voyait tirer sur sa manche pour essayer de protéger son poignet avec le tissu, même si, à chaque fois, il lui tordait le bras et que cela ravivait ses propres écorchures.
Comme s'il devinait ce qu'elle pensait, il lui tira le bras pour se rapprocher d'elle, se pencha et murmura :
— Pas d'entourloupes, hein... Marc peut dire ce qu'il veut, le jour où je te ferai confiance sera celui où ce salaud de Leftarm verra ses couilles au bout d'une pique... !
Ce n'était pas la première fois que Giles lançait une allusion à son hypothétique employeur. Il n'avait aucune preuve, bien sûr, non plus que les autres, mais depuis la bataille spatiale tous semblaient prendre comme acquis qu'elle était, d'une manière ou d'une autre, en relation, sinon directement avec le Seigé, du moins avec ses services.
Elle ignorait si Giles savait que Leftarm était sur Carialis le jour où elle avait embarqué – après tout, le Seigé n'était pas toujours sur son vaisseau-amiral – mais l'équipage de l'Œil du Cyclone était de toute évidence au courant de la présence de l'Inexorable en orbite autour de la planète. Cela aurait pu rester juste anecdotique, mais évidemment, sa tentative d'évasion, et ses talents particuliers, leur paraissait désormais un peu plus qu'une simple coïncidence, et avec raison...
Elle s'était bien gardée de leur donner le moindre indice, continuant à nier avec obstination tout lien avec Kivilis, mais le fait qu'elle connaisse manifestement des codes militaires prioritaires – elle regrettait d'avoir laissé échapper cette information, mais sur le moment, ça avait semblé la meilleure option possible - avait confirmé leurs soupçons. Elle avait refusé de s'expliquer à ce sujet, s'enfermant dans un déni qui ne trompait personne. Camyl et Marc avaient fini par cesser de la questionner, peut-être pour lui permettre de ne pas sombrer davantage dans le ridicule, peut-être parce qu'ils avaient décidé de concentrer leurs efforts sur leur sortie de la forêt, mais Giles, lui, ne se privait pas de revenir régulièrement sur le sujet.
Pour la première fois, cependant, elle ne releva pas la provocation du pilote. Il lui semblait entendre, étouffé, lointain, une sorte de grondement sourd. Malgré elle, elle croisa le regard de Marc, qui acquiesça. Lui aussi avait entendu ce son à peine audible, perceptible uniquement par une ouïe améliorée par le poeïr. Au moment où elle allait ouvrir la bouche, une voix éraillée les interpella :
— Ayez pitié d'une pauvre aveugle, messieurs –dames !
Assise sous un porche, une vieille femme aux cheveux broussailleux et aux nippes écarlates, quoique pas très propres, tendait vers eux une main osseuse.
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...