Chapitre 63

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Elle ne devait garder de ce repas qu'un souvenir un peu flou. Tandis que le Sullite revenait périodiquement avec de nouveaux plats, elle détaillait son aventure chez les Libertans avec un détachement tout professionnel, comme ses divers instructeurs le lui avaient enseigné. Étonnamment, se concentrant sur son entraînement, cela lui permit de tenir ses sentiments à distance.

Les plats passaient, mais elle n'aurait su dire de quoi il s'agissait, ni si elle les avait goûtés. Le serveur lui proposa du vin, qu'elle refusa, tout comme Leftarm, contrairement au Directeur. Ce dernier interrompait de temps à autre sa mastication appliquée pour lui poser une question. Le Seigé, lui, mangeait en silence, mais elle savait qu'il ne perdait pas un mot de ce qu'elle disait.

Elle passa sous silence ses premiers doutes, elle ne parla pas des dons du jeune Marc DeVignes, de la découverte qu'un Wardom se trouvait chez les Libertans, de l'énigmatique Camyl aux cheveux blancs, se bornant à décrire sommairement la race et le sexe de ses geôliers.

Soigneusement, elle omit toutes les informations qui pourraient s'avérer utiles dans la lutte de Kivilis contre les Libertans. Jamais elle n'avait fait quelque chose d'aussi ardu : donner les informations qu'on lui demandait, tout en altérant de manière subtile, pour qu'elles ne soient pas utilisables. Elle s'aperçut que sa vieille habitude d'enjoliver les histoires - que ses instructeurs du Centre l'avaient forcée à perdre quand elle faisait un rapport - lui était subitement d'une grande aide : elle avait l'air de rapporter énormément de détails, tout en noyant l'absence d'informations cruciales sous un flot d'éléments accessoires.

Cependant, quand elle arriva à la répression de Maytessy, le détachement fut bien plus difficile à maintenir. N'émettant aucun jugement, elle se contenta de décrire - sans fioritures cette fois - ce à quoi elle avait assisté. Tout en parlant, elle observait avec attention les deux hommes, cherchant le moindre signe, d'étonnement, de colère, voire de contrition... N'importe quoi qui aurait pu amoindrir la violence de ce qu'elle rapportait. Mais ils l'écoutèrent sans un mot, sans tenter de justifier l'intervention de Kivilis ou de lui expliquer pourquoi l'émeute avait été réprimée de cette façon.

Elle sentit alors un espoir, jamais vraiment exprimé, mourir en elle. Mais elle réussit à continuer son récit sans montrer le moindre sentiment, puis conclut en disant que, de retour sur la base des Libertans, elle était parvenue à tromper la vigilance de ses gardiens, qui lui faisaient un peu plus confiance du fait de ce qui s'était passé à Maytessy : elle avait ainsi réussi à embarquer clandestinement sur une navette, et à revenir sur Kivilis...

Sur un geste du Directeur, le serviteur à la peau bleue commença à débarrasser la table. Lorsqu'il eut disparu, le chef secret de Kivilis, qui sirotait alors un verre de liquide ambré, se renversa dans son siège, et lui demanda de revenir sur certains détails de son séjour chez les Libertans. Tout ce qu'elle se rappellerait, insista-t-il, pourrait leur permettre de démasquer d'éventuels traîtres...

Mais avant qu'elle n'ait pu répondre, le Seigé toussota, comme pour demander la parole.

Le Directeur le fixa brusquement, d'un air rien moins qu'amène. Mais ce fut très fugace, et un grand sourire remplaça l'éclair meurtrier qu'il avait brièvement laissé échapper. D'un geste, il lui fit signe de poser sa question.

- C'était une histoire tout à fait intéressante, commenta alors son professeur. Mais vous avez oublié de nous conter un détail. Comment se fait-il que vous vous trouviez ici, et non à Bhénak ?

Devant ses yeux froids, elle sentit son cœur lui manquer, et elle savait qu'il le savait parfaitement. Tout se jouait en cet instant.

Mais avant qu'elle n'ait pu présenter l'excuse qu'elle avait soigneusement préparée, le Directeur intervint :

Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant