Quand elle déboucha enfin, sac à l'épaule, au pas de course, sur le Quai Cinq de l'astroport, une puissante odeur de carburant la prit violemment à la gorge. Quelle différence avec les hangars aseptisés de Bhénak ou de l'Inexorable, où la moindre tache d'huile sur le sol était proscrite... ! Ici, les effluves étaient tellement forts qu'ils lui firent monter les larmes aux yeux. Mais, apercevant le capitaine du port un peu plus loin, elle se redressa, ne voulant montrer aucun signe d'un quelconque inconfort, qui aurait terni l'impression qu'elle lui avait faite par l'HoloRéseau.
Posé dans son berceau d'amarrage, le vaisseau qui l'attendait faisait plutôt piètre figure. Habituée aux coques étincelantes et colorées des vaisseaux de Kivilis, et à leurs formes profilées, elle devait reconnaître que celui-là paraissait plutôt décati. Couvert de poussières et de traînées, aux arêtes massives, il n'avait rien d'engageant. Il avait dû être bleu, à une époque lointaine, mais des plaques et de multiples raccords de matériaux d'autres couleurs prouvaient qu'il n'était plus de première jeunesse, ou qu'il avait eu une vie mouvementée.
Deux personnes, dont Rhéale, le directeur de l'astroport, l'attendaient au pied de la coupée, encore à bonne distance de l'endroit où elle se trouvait. Mais même sans le poeïr, elle aurait senti leur impatience. Le capitaine du port était minuscule, et portait une longue robe qui tassait sa silhouette et le faisait paraître encore plus petit qu'il ne l'était réellement. Le non-hum qui attendait à côté de lui, plutôt bien en chair, paraissait immense en comparaison. C'était un Quartet au front proéminent et aux épais sourcils noirs, dont la double paire de bras sortait d'une combinaison qui avait connu des jours meilleurs. Une grande trousse à outils, maculée de taches de graisse, pendait à sa ceinture.
Apercevant Claire, le directeur de l'astroport lui fit un grand signe et s'avança à petits pas pressés à sa rencontre, son implant clignotant frénétiquement sur sa tempe. Arrivé à sa hauteur, il chuchota, en levant la tête vers elle, avec un curieux mélange de déférence mielleuse et d'autorité :
— Dépêchez-vous, honorable jayn ! Ils vont finir par manquer leur fenêtre-horaire !
— J'aurais pu arriver plus tôt, répliqua-t-elle avec une absolue mauvaise foi, si vos gorilles de l'entrée n'avaient pas voulu à toute force contrôler mon identité ! Je croyais pourtant m'être bien fait comprendre...
L'autre blêmit, bafouilla, tout en courant pour rester à sa hauteur :
— Je sais que vous voulez rester discrète... je me suis permis de dire que vous étiez ma nièce, pour qu'ils vous prennent à leur bord sans poser trop de questions...
Elle hocha la tête avec approbation, et chuchota alors plus aimablement, non sans malice :
— Vous avez bien fait. Mes employeurs sauront s'en souvenir...
A ces mots, l'homme blanchit encore davantage, ce qui, malgré la satisfaction que cela lui apportait, l'emplit d'un certain malaise. C'était la première fois qu'elle avait la possibilité d'user ainsi de sa position et de son pouvoir en dehors de Bhénak, et elle n'avait jamais vu quelqu'un ramper à ce point devant elle. Elle le plaignait presque...
Et en même temps, c'est complètement grisant !
Il faut dire que recevoir une ligne de crédit sur un compte du Gouvernement Central de Kivilis, cela asseyait quelque peu une position...
Mais ils approchaient de la coupée et du non-hum en combinaison, et elle devait désormais se rappeler d'adopter une attitude plus conforme au personnage qu'elle était censée jouer pendant le voyage : une étudiante anonyme, qui n'avait rien à voir avec l'Assistante de l'un des hommes les plus puissants du Quadrant.
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...