Si sa formation au Centre occupait toutes ses journées, son apprentissage du poeïr occupait tout le reste. Une fois les difficultés du début surmontées, les progrès de la jeune fille furent rapides – même si le Seigé se gardait bien de la féliciter, se contentant jour après jour d'augmenter la difficulté des exercices.
Dans les premières décades de son nouvel apprentissage, la jeune fille ne put, évidemment, s'empêcher de faire le parallèle entre ses nouvelles capacités et un univers de science-fiction bien connu de son monde natal. Les similitudes étaient d'ailleurs troublantes, depuis les différents usages du poeïr jusqu'aux Wardoms, confrérie millénaire d'individus aux capacités psys spécialement entraînées. Ces derniers avaient prêté le serment de se servir du poeïr pour le bien commun et, le plus souvent, avaient agi comme diplomates ou gardes du corps. L'un des autres principaux rôles de la Confrérie était de former et de surveiller les détenteurs du poeïr, notamment ceux qui auraient été tentés d'utiliser leurs capacités à mauvais escient. D'après les archives qu'elle consulta, cela avait effectivement existé, menant parfois à des conflits sanglants...
Mais là encore, la principale différence avec les célèbres histoires qui avaient bercé son enfance était bien la véritable raison de la disparition des Wardoms. D'après les documents auxquels le Seigé lui avait accordé accès, c'était simplement le manque de candidats avec un potentiel suffisant qui avait causé la dissolution de la Confrérie – et ce, malgré un vivier de plusieurs centaines de planètes -, et non les sinistres machinations d'un sombre Seigneur...
Certes, comme le lui avait cinglé son professeur le jour de sa remontrance cuisante sur son usage inapproprié de ses pouvoirs, les Wardoms avaient été au fil des siècles de plus en plus déconsidérés, accusés de tous les maux, et trois d'entre eux avaient même été effectivement lynchés lors du fameux mouvement de foule sur la planète Nédis. Mais ceci ne serait jamais arrivé, disait-il, s'ils avaient été plus nombreux... or, cela faisait des années que plus un seul candidat réunissant les qualités suffisantes n'avait été trouvé.
Une autre différence avec la saga de son enfance ? Il n'y avait chez les Wardoms nul mysticisme, notion d'élu, d'équilibre, de prophétie ou encore de pouvoir transcendant les êtres et façonnant les destinées. Le poeïr, c'était un sens comme un autre, une aptitude plus ou moins développée, une capacité de manipuler son environnement qui, bien que très peu fréquente, avait été scientifiquement étudiée et quantifiée, ici, depuis des millénaires. Ce n'était pas une religion : la Confrérie avait justement été créée pour empêcher les détenteurs du poeïr de profiter de leur pouvoir pour prendre l'ascendant sur les êtres moins « doués ».
D'ailleurs, un certain nombre de personnes possédaient toujours le Don, mais à un niveau très faible : un niveau juste suffisant pour être détecté par les appareils de mesure, mais qui ne leur permettait pas d'en faire grand-chose - à part d'être un peu plus intuitifs que la moyenne.
Mais ceux qui avaient un Don avéré – suffisamment puissant pour agir sur leur environnement – avaient toujours été extrêmement rares, même s'il y avait eu une époque où des centaines de Wardoms parcouraient le Quadrant. Et comme pour beaucoup de gènes récessifs, et encore plus avec le brassage dû aux voyages interplanétaires, leur curieux talent s'était peu à peu dilué au cours des millénaires. Ceux qui avait un poeïr suffisamment puissant pour être utile s'étaient raréfiés au fil des siècles, finissant par n'être plus qu'une poignée, s'isolant de plus en plus. La déchéance de la Confrérie des Wardoms avait été lente, mais indéniable, avant sa dissolution finale, à la suite du fameux lynchage, lui-même conséquence de violents scandales, une vingtaine d'années standard auparavant...
D'où la surprise du Seigé, quand ce dernier avait réalisé que la petite jayn terrienne qui avait malencontreusement traversé le Vortex avant sa destruction possédait le potentiel...
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...