Ce soir-là, Claire se rendit sur les Remparts. C'était ainsi que la plupart des gens ici, dans le Secteur E comme ailleurs, nommaient le chemin de ronde. Il s'agissait de l'une des particularités bien connues du lieu, reliquat de l'antique capitale qui s'était élevée là, des millénaires auparavant, à l'époque où elle dominait toute cette partie du Continent Oriental.
Il n'en restait rien, bien sûr, à part les Remparts, et les niveaux inférieurs de Bhénak – dont la somptueuse Salle d'Apparat, qu'elle avait traversé ce tout premier jour en compagnie du Seigé.
Elle qui avait tant aimé les vieilles pierres dans son ancienne vie ne pouvait s'empêcher de s'émerveiller devant ces vestiges ancestraux. Dans cet environnement à la technologie si avancée, elle se retrouvait pourtant avec des constructions beaucoup plus anciennes que tout ce qu'elle n'aurait jamais pu voir sur Terre. C'était à la fois perturbant et enthousiasmant : si les images des premiers temps de l'Essor Spatial s'étaient perdues depuis longtemps, un certain nombre d'archives audio, vidéo et holo remontant à plusieurs millénaires étaient disponibles à la consultation sur l'HoloRéseau. C'était comme avoir des images et des sons de l'Ancienne Egypte ou de la Rome Antique – même si les différences de coutumes, de langues et d'habillement par rapport à cette époque étaient bien moindres ici que sur Terre. Certains bâtiments, toujours utilisés, soigneusement entretenus, dataient de dizaines de siècles, et Bhénak ne faisait pas exception à la règle, même si le Seigé l'avait considérablement fait agrandir.
Bhénak. Forteresse de pierre brune se dressant à l'assaut du ciel, surmontant les environs depuis la plus haute des collines de toute la région, au centre d'une Prairie immense, vierge de toute construction, plus vaste qu'une ville de bonne taille, sur laquelle l'herbe ondulant sans fin sous le vent faisait naître des motifs hypnotiques et toujours changeants.
Bhénak, lieu de travail et de résidence de milliers de personnes, humaines ou non. Vaste fourmilière bruissante d'agitation, creusée de galeries, de hangars, de dortoirs, de bureaux, possédant son hôpital, ses espaces de détente, sa prison, et même sa propre centrale de production d'énergie...
Bhénak, emblème de la toute-puissance d'un homme, Seigé Leftarm, dont le seul nom faisait s'incliner les plus grands. Un homme qui ne répondait de ses actes que devant le Président de la République de Kivilis, et devant nul autre, dans tout le Quadrant Galactique.
Bhénak...son foyer, désormais.
Perdue dans ses pensées, elle parcourait les longs couloirs qui lui étaient devenus familiers, sans les voir vraiment. Depuis combien de temps était-elle ici ? Quatre, cinq mois ? Peut-être un peu plus ? Et pourtant, elle n'arrivait toujours pas à se sentir chez elle dans ce dédale de pierre et de métal, fourmillant de monde. Il y avait toujours quelqu'un pour contrôler son identité, et malgré tous ses efforts, il lui arrivait encore de se perdre.
Plus difficile encore... malgré les milliers de personnes qui vivaient et travaillaient ici, elle se sentait, paradoxalement, seule comme jamais.
Un mois plus tôt, ceux dont elle se sentait la plus proche ici – même si c'était un bien grand mot - toute l'équipe de Pieric, donc, avait été assignée à un nouveau poste, sur l'Inexorable, le plus grand des vaisseaux-amiraux de la Flotte. C'était, de toute évidence, une promotion, mais la rapidité de celle-ci n'avait eu de cesse de la faire s'interroger. Elle n'avait même pas eu le temps de revoir le grand technicien – il lui avait juste annoncé la nouvelle par holomess, l'air ravi – et elle se demandait s'il ne fallait pas y voir la main du Seigé. Ce dernier trouvait-il qu'elle passait trop de temps au Hangar Dix-Sept ? Qu'elle ne maintenait pas assez ses distances ? Mais elle n'avait pas osé poser la question à son employeur, et Pieric, Roman et les autres avaient ainsi brutalement disparu de sa vie, la laissant avec un grand sentiment de vide – un vide encore plus grand que celui qui l'habitait déjà.
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...