— Nous nous sommes compris, acheva Leftarm d'un ton paisible.
Trop paisible.
Claire connaissait trop bien le Seigé pour se méprendre sur son air conciliant. Et le Gouverneur de Carialis, quoique totalement dénué d'empathie, avait également parfaitement saisi la menace. Leftarm détourna le regard, signifiant ainsi que l'entretien était clos.
Le Gouverneur était très grand, d'une carrure imposante, et cependant, quand il se leva avec précipitation, balbutiant force promesses et autres paroles flatteuses au Seigé qui ne l'écoutait déjà plus, il parut ridicule, insignifiant. Claire l'observa avec détachement ramasser ses datatiges et autres cartes holographiques et sortir à reculons, assurant encore Leftarm qu'il lui donnerait entière satisfaction.
La porte se referma derrière lui avec un chuintement étouffé. Le suivant mentalement, Claire le vit se redresser brusquement, raide de fureur, une émotion qu'il pensait avoir dissimulé au plus puissant des représentants du Directeur, ignorant que Leftarm lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il déversa sa colère sur les assistants qui l'attendaient, immobiles, dans l'antichambre, puis, relevant la tête, sortit dignement dans l'aire de réception, suivi – à une distance respectable – par ses conseillers. Alors Claire relâcha sa concentration, et tourna la tête vers Leftarm.
Ce dernier s'était adossé à son fauteuil, fixant la porte, les doigts joints devant lui, dans une attitude qu'elle connaissait bien. Comme s'il avait senti son regard, il dit, sans changer de position :
— Votre analyse, Assistante.
Elle hocha la tête.
— Cet homme est rusé, calculateur... je pense qu'il a l'habitude d'abuser de son statut. Il est très ambitieux, mais assez intelligent pour savoir qu'il serait dangereux de vouloir vous doubler.
— Me doubler... ? répéta paisiblement Leftarm, tournant légèrement son fauteuil pour être face à elle.
Il haussa un sourcil.
— Qu'entendez-vous par là ?
— Je pense qu'il vise beaucoup plus haut que son poste de Gouverneur, répondit-elle avec assurance.
— Et qu'est-ce qui vous a donné cette impression ?
Elle s'accorda un instant de réflexion. Comme à chaque fois, il était extrêmement difficile de rassembler en pensées, puis en paroles claires et cohérentes, tous les sentiments qu'elle avait perçus chez le sujet qu'elle devait observer. Elle était sensée s'appuyer également sur son comportement - les gestes visibles, et ceux qui avaient été retenus - pour étayer ses affirmations.
Comme d'habitude, Leftarm la poussait à réfléchir, non à se contenter de quelques impressions vagues. Elle devait analyser la situation de la manière la plus objective possible.
— Cet homme n'est pas franc, dit-elle finalement.
— Ayant réussi à accéder à un tel poste, cela me semble inévitable, remarqua sèchement son mentor. Sont-ce là toutes vos conclusions ?
— Non, s'empressa-t-elle de répondre. Il était très sûr de lui, jusqu'à ce que vous abordiez le fiasco des opérations sur Cuvhat, et ce raid Libertan sur les usines d'approvisionnement. Il m'a alors paru très mal à l'aise.
— N'est-ce pas compréhensible, quand on a les mains encore humides d'un tel échec ? Pour l'instant, vous ne me livrez que des lieux communs.
La réprimande était sévère. Mais cela faisait partie du jeu auquel le Seigé jouait avec elle depuis tant de mois, lors des Séances d'Observation, qu'il en fallait plus pour la déstabiliser désormais.
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...