Enfoncée dans le fauteuil du navigateur, Claire se demanda, non pour la première fois, si elle savait vraiment ce qu'elle faisait. Devant elle, dans le fauteuil du copilote, Camyl fixait les écrans, mais son attention était manifestement ailleurs.
Le cockpit, faiblement illuminé par les lueurs moirées de l'ultralux, était silencieux. Même Giles, concentré sur les commandes, avait cessé de crier haut et fort qu'ils couraient droit au suicide. Il s'était joint d'autorité au petit groupe, pestant qu'il ne pouvait laisser son frère risquer ainsi sa peau sans lui - car sinon le fantôme d'Eléaga viendrait le hanter jusqu'à la fin de ses jours, avait-il prétendu !
L'extravagant pilote avait pour l'occasion troqué son bandana et sa redingote bleue flamboyante pour une tenue beaucoup plus passe-partout, et Claire avait encore du mal à le reconnaître quand elle le croisait dans les coursives, avec ses cheveux bruns sévèrement serrés dans un catogan et sa terne combinaison de mécanicien.
Et maintenant ils étaient là, tous les quatre, dans une navette banalisée, approchant inexorablement de Kivilis. Avec eux, deux autres personnes, un Humain et un Sullite, spécialistes en explosifs, présentement en train de discuter à voix basse dans le carré.
Et c'était tout.
Quand elle avait découvert la taille réduite de l'équipe que les Libertans prévoyaient d'envoyer sur Kivilis, Claire avait d'abord pensé à une blague. Cinq personnes en tout ? Six, si on la comptait, elle ? Pour une mission d'une importance si capitale ?
La rapidité et la discrétion étaient les clés, avait expliqué Camyl. La précédente incursion des Libertans sur Armora avait échoué, en partie, parce que le groupe d'intervention était trop conséquent et avait attiré l'attention avant d'avoir pu finir proprement son travail.
Avec le cargo sur lequel ils avaient embarqué, le réseau d'espionnage Libertan leur avait fourni une fausse identité pour chacun. Cela devait leur permettre de passer tous les barrages, au moins jusqu'au Complexe Armora, situé sur Kivilis Occidental.
Les Libertans avaient les complicités suffisantes pour arriver jusqu'à Armora et pénétrer dans la base. Ensuite, ils avaient prévu de se rapprocher autant que possible de la machinerie du Vortex, notamment des installations qui permettaient de générer l'énergie phénoménale nécessaire, afin de trouver un moyen de les saboter.
Claire n'en savait pas vraiment plus sur le plan véritable. Dans ce groupe déjà très réduit, elle n'était qu'un passager, presque clandestin.
Et elle le comprenait parfaitement. Elle en avait assez appris lors de sa formation au Centre pour savoir à quel point sa seule présence était une entorse aux règles les plus fondamentales d'une mission d'infiltration, et pourtant, Camyl et Marc s'étaient portés garants pour elle...
Certes, le jeune Wardom percevait sa sincérité, mais elle ne comprenait toujours pas pourquoi la spatione avait accepté sa présence. Que percevait donc la jeune femme en elle, et pourquoi ? Était-ce simplement parce qu'elle savait pourquoi tout cela importait tant à la petite Terrienne ? Ou autre chose... ?
Mais pour Claire, au final, peu importait. Tout ce qu'elle voulait, c'était voir de ses yeux le Vortex. Constater par elle-même qu'il existait, et vers quelle planète il se dirigeait.
On m'a trop menti, ici ! Je ne croirais plus que ce que je vois de mes yeux... Et là, seulement, je ferai mes propres choix.
Retourner chez elle avant que les Libertans ne détruisent le Vortex, par exemple.
C'était un espoir tellement fou qu'elle n'osait même pas se le formuler entièrement.
Mais l'heure n'était plus aux suppositions, ni aux atermoiements : un bip insistant les informa que la sortie de l'ultralux était proche. Quelques seconde plus tard, les lueurs moirées cédèrent la place au velours piqueté d'étoiles de l'espace normal. Droit devant eux, scintillante et entourée de son trafic intense, la planète-capitale.
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Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1
Science Fiction"A ce moment-là, la jeune fille sentit son cœur s'arrêter de battre. Elle comprit que ce soir-là, elle allait mourir. Elle était trop terrifiée, elle était trop hébétée, elle était trop stupéfaite pour se poser des questions sur cette mise en scène...