Mirror

Chapitre 13

Lauren se réveilla en sursaut, le cœur frappant furieusement contre sa poitrine. Son T-shirt collait dans son dos, imbibé de ses sueurs nocturnes. Elle se redressa péniblement dans son lit, le corps engourdi par la fatigue. Elle tourna la tête pour constater l'heure excessivement précoce. L'affichage de son radio-réveil indiquait 3h57. Ella avait à peine dormi une demi-heure.

Le même schéma chaque nuit. Encore et encore.

Depuis qu'elle avait commencé ce travail, il y avait maintenant bientôt six ans, Lauren avait cessé de compter les nuits qui se terminaient ainsi. Les premiers mois, elle avait réussi à gérer les afflux d'émotions et de sentiments qu'engendrait sa profession. Que ce soit la colère, la frustration, l'angoisse ou la peur, elle était parvenue à leur faire face.

Tout du moins, c'était ce qu'elle avait cru. Après environ six mois, elle s'était rapidement rendu compte qu'elle n'avait fait que les enterrer superficiellement la journée, leur laissant le loisir de revenir la hanter chaque nuit.

C'était avec la peur que Lauren rencontrait le plus de difficulté. Elle en faisait une prodigieuse abstraction lorsqu'elle était sur le terrain ou avec ses collègues, s'en nourrissant même parfois pour faire naître l'adrénaline nécessaire à l'accomplissement de ses enquêtes. Mais la peur ne la laissait plus en paix lorsque venaient la solitude et la nuit. Ses insomnies en étaient la preuve.

Elle avait toujours eu des problèmes de sommeil, toute petite elle en souffrait déjà. D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, elle avait toujours mené cette dure lutte contre Morphée. Quand d'autres n'avaient qu'à se coucher, fermer les yeux et attendre quelques minutes avant de gagner la bataille, Lauren, elle, devait explorer les différents coins de son lit une bonne quinzaine de fois, essayer au moins tout autant de positions différentes, tourner et virer comme une girouette qui cherchait désespérément le sens du vent en pleine tempête. Lauren, elle, c'était le sens des pensées qui inondait son cerveau qu'elle tentait de chercher. En vain.

Elle avait beau lutter, Lauren ne parvenait que très rarement à l'emporter. Et même quand elle y arrivait, le Graal tant désiré ne dépassait presque jamais les cinq heures.

Seulement, depuis qu'elle était devenue une flic spécialisée dans les meurtres, à ses troubles initialement existants s'étaient ajouté les cauchemars. À chaque fois qu'elle était assignée à une nouvelle enquête, elle revoyait en boucle les visages – ou parfois seulement ce qu'il en restait – des victimes qu'elle n'avait pas pu sauver. Soit parce qu'elle n'avait pas été assez rapide ou suffisamment sagace, elle ne pouvait empêcher que les têtes de ces personnes hantent ses nuits. Ces personnes dont elle avait fini par se rendre coupable de leur mort.

Son esprit préférait se rendre malade en visionnant les faciès des vies qu'elle n'avait pas pu sauver plutôt que d'imaginer tous ceux que son travail lui avait permis d'épargner. Après tout, ne toujours voir que le négatif jusqu'à rendre invisibles le positif semblait être inhérent à la Nature humaine.

Lauren grogna en se levant de son lit. Elle n'avait aucune envie pour le moment de tenter un nouveau combat avec le sommeil.

Elle ouvrit la porte de sa chambre et se rendit à la cuisine pour se servir un verre d'eau. Elle traversa le salon sans faire le moindre bruit et ne put réprimer un fin rictus attendrit lorsqu'elle aperçut dans la pénombre Eddy avachi et profondément endormi sur son canapé.

Elle s'installa dans le fauteuil en face de lui, croisant une jambe par-dessus l'autre. Elle se perdit à le contempler. Même lorsqu'il dormait, Eddy avait ce petit froncement de sourcil permanent. Pourtant, il sembla à Lauren qu'elle ne l'avait sans doute jamais vu aussi serein qu'en cet instant.