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   Nathan commençait à peine sa réplique que son père se téléporta devant lui, aussi rapide que l’éclair, et assuma un poing puissant dans sa poitrine. Le coup le propulsa derrière et il eut, durant quelques secondes, la sensation de flotter comme un poisson dans l’eau. Le choc de l’atterrissage le fit transpercer ses lèvres avec ses dents. L’adjectif pour qualifier sa douleur ne se situait dans aucun dictionnaire. On aurait dit qu’un rouleau compresseur pressait son estomac. Respirer devint impossible et sa vision se troubla. Il cracha du sang.

   Son père lui tournait déjà le dos.

— Je… je… je suis toujours, là ! déclara-t-il avant de se relever tant bien que mal.

— Arrête ! héla sa mère.

— Ça va aller maman. Ce n’est pas ça qui m’achèvera.

— Tu devrais écouter ta mère pour cette fois, conseilla Théo.

— Je ne peux pas te laisser faire ça.

— Mais je ne fais qu’agir comme eux.

   Nathan jeta un œil sur les centaines de personnes à l’intérieur du dôme. Ces mêmes personnes qui voulaient le capturer. Peut-être qu’il devait les laisser ici et régler leurs problèmes de « grande personne » tout seul.

— Pourquoi essaies-tu de protéger ceux qui te poussent à te cacher ?

— J’en sais rien. Je sais juste que l’inverse serait inacceptable.

   Théo lui donna un coup de pied qui le plia, attrapa son cou et y inséra ses griffes.

— Je commence à en avoir assez.

  Il lui fracassa le front de trois massues, et le laissa chuter. Nathan se sentit étranger à son corps et ressentit à peine la douleur. Il tombait dans les vapes ? Il aurait aimé placer une droite. De quoi faire plaisir aux enseignements de Jannick. Tout se passait si vite qu’il percevait à peine les mouvements. Le sol vibra et il comprit que son père s’attaquait de nouveau à la barrière. Il finirait par le briser.

   Tanguant comme un bateau en plein tempête, Nathan se mit debout encore une fois. Il voyait trouble, toute fois, il était sûr que Rhoda le regardait avec les larmes. Pourquoi pleurait-elle ? Il ne pouvait pas mourir. Pas vrai ? Et s’il le pouvait, ce serait une belle fin de partir en protégeant ceux qui le traitaient de monstre. Sa tête enchainait les possibilités trop vite et la poussait à des conclusions insensées.

— Je… je… je suis toujours là, hurla-t-il en marchant devant lui.

   Il voulait crever ?

— Tu encaisses bien, fiston ! complimenta son père. Mais le plus important dans la vie c’est d’être intelligent.

— Comme toi, je suppose.

   Théo afficha un rictus plein d’assurance.

— Oui. Il faut l’être non pour monter un plan comme ça.

  La vue de l’adolescent s’éclaircit et il put lire le plaisir que son père renvoyait. Sa tête le lançait. Garder son équilibre se révélait plus compliqué qu’en temps normal. Il connaissait le plan et cela n’avait rien de bien compliqué. Même si ça le peinait de l’avouer, il était l’élément central de cette mascarade. Il avait localisé Angora et activé l’egmadum grâce à ses gênes maternelles et son sang.

— Ah ! Tu n’as toujours pas compris ? Comme c’est étonnant ! Tu ne t’es jamais demandé comment est-ce que les gardiens ont pu te retrouver dans les bois de Californie ? Lors de cette fameuse nuit de pleine lune.

   Parlait-il de la nuit où Jannick fut tué ? Probablement. Les bois de Californie. Comment pouvait-il connaitre le lieu alors que lui-même l’ignorait ? Le doute s’installa dans un coin de sa tête.

— C’était toi, dit Rhoda avec une tristesse dans les pupilles.

— Oui.

— Mais pourquoi ? Quel intérêt d’essayer de faire capturer ton fils ? Un fils auquel tu ne croyais même pas à son existence.

   Assaillant et assaillit s’intéressèrent à la conversation qui prenait la tournure d’une fin de roman d’Agatha Christie. Ils tenaient leurs armes et ouvraient grand les oreilles en espérant des explications. C’était aussi le cas de Nathan.

— Pour ce moment, ma jolie, répondit Théo qui ajusta son costume. Tu sais, il suffit d’un rien pour que l’humain puisse croire à des conneries. Un petit rêve qui annonce la mort de quelqu’un. Ensuite il meurt. Et boum, une graine est plantée.

   Nathan répéta chacun de ces mots dans sa tête et tenta de déceler le message caché entre les lignes, mais les zones d’ombres demeuraient trop nombreuses.

— De quelle graine parles-tu ? demanda-t-il en avalant sa salive.

— Tu n’es vraiment pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, dis donc. Mais, je ne t’en veux pas. Il y a deux mois, tu étais un simple écolier. Alors, je vais faire simple. J’avais besoin d’un moyen de te pousser à réaliser le sort pour localiser ta mère et d’appuyer sur l’egmadum une fois que tu serais à Angora. Tu es le seul qui puisse l’utiliser ici, je te rappelle. Il te fallait un désir profond : sauver sa chère mère par exemple. Et pour te pousser à le croire, je t’ai inventé un pouvoir.

   Le souffle de Nathan perdait en intensité et sa poitrine gonflait à vue d’œil. Ce que son père disait là saccageait chaque cellule de son corps. Il entrevoyait désormais toute la complexité de cette histoire. S’il suivait ses raisonnements, cela menait qu’à une seule conclusion. Son père… lui avait… mis ses visions d’horreur… dans la tête. Lors de la pleine lune. Il s’était surement transformé hors de la zone protégée pour pouvoir attirer les gardiens. Les larmes gonflèrent ses paupières.

— Tu comprends désormais, jubila Théo

— Jannick est mort à cause de toi.

— Ah ça, simple dommage collatéral, mais obligatoire. Il fallait un mort pour te pousser à prendre ce rêve au sérieux. Tu ne sais pas à quel point j’ai flippé quand j’ai vu qu’il pouvait l’emporter face aux deux cons. Tout mon petit stratagème risquait de tomber à l’eau. Mais plus de peur que de mal. Ensuite, je n’ai eu qu’à attendre que ta mère te confie à moi. Je savais que ce serait sa seule option.

— Et puis t’as eu qu’à me faire rêver une fois chez toi.

— Pas moi, je n’ai pas de tel talent. Une morphe, oui.  Ça laisse de sacrée douleur dans les tempes, pas vrai ?

   Tout s’expliquait désormais et Nathan ressentait à cet instant, ce que ressentirait toute marionnette consciente de son état. De l’impuissance, de la colère, du dégout et surtout de la honte. On l’avait baisée de fort belle manière. Il ne s’était jamais questionné sur ses deux rêves, sur ses migraines, sur ce qui avait révélé sa présence aux gardiens dans les « bois de Californie ». Il aurait dû.

— Tu as tué Jannick pour me faire croire que je pouvais prédire la mort, lâcha Nathan sans espérer la moindre réponse.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant