CHAPITRE 12

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Chapitre 12

Hana

10 ans en arrière

Installé confortablement sur le canapé de ma maison, j'attends avec impatience le début de mon cours de piano. Les murs sont peints dans des tons neutres, avec quelques tableaux discrets accrochés. Des meubles simples remplissent l'espace.

Soudain, la sonnette retentit, me tirant de mes pensées. Sans perdre une seconde, je me lève précipitamment du canapé et me dirige vers la porte d'entrée, empreint d'une légère excitation.

Le professeur de piano m'accueille. – « Coucou ma puce, tu es prête ? », son visage rayonnant, alors qu'il se tient sur le seuil de la porte d'entrée. Pour moi, sa présence est une bouffée de chaleur familière, une figure paternelle bienveillante que j'aurais aimé avoir. Chaque leçon avec lui est une leçon d'amour et de découverte.

Alors que nous nous installons au piano, mon père apparaît dans le salon. Sa présence ajoute une tension palpable à l'atmosphère. Pendant que je m'attelle à mes gammes, les voix de mon père et de mon professeur résonnent en arrière-plan, malgré le son du piano.

Mon père, d'un ton froid et distant, s'adresse à mon professeur.

-« Hana, tiens-toi droite. Bonjour Ajino, vous voulez un café ? » Cette politesse feinte dissimule mal une certaine hostilité.

Leur échange se poursuit alors que je m'efforce de me concentrer sur ma musique. Mon père, avec son habituelle froideur, demande à mon professeur si je suis prête pour la compétition. Son ton laisse transparaître un scepticisme mordant.

Mon professeur, fidèle à sa bienveillance habituelle, répond avec assurance .

-« Oui, elle s'entraîne dur. Je crois en elle. »

Cependant, les paroles acerbes de mon père transpercent l'air.

-« Hm, pas moi. Elle finira encore deuxième, comme à chaque fois. Ce petit prodige la dépasse. Faut croire qu'elle n'en fait pas assez. » Ses mots, chargés de mépris, atteignent leur cible en plein cœur.

Prise au dépourvu, stoppant net mes mouvements, les larmes menaçant de jaillir. Mon père s'approche brusquement de moi, m'attrapant fermement par l'épaule.

« Ne te mets pas à pleurer. Je t'ai déjà dit que les émotions ne font que causer ta perte. » Son regard froid transperce le mien alors qu'il me lance, d'un ton sec et impitoyable.

- « Oui, père. » Je ravale mes larmes, répondant d'une voix tremblante.

Monsieur Ajino, comprenant la tension dans la pièce, s'approche de mon père. Ce dernier quitte la pièce pour se réfugier dans la cuisine, laissant mon professeur s'installer à mes côtés pour reprendre la leçon.

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Alors que je m'entraîne avec ardeur sur une pièce de Chopin en préparation pour ma prochaine compétition, mes côtés, mon professeur, habituellement si impassible et concentré, semble soudain pris de vertiges. Sa respiration devient laborieuse, son visage se crispe de douleur alors qu'il tente désespérément de reprendre son souffle. Paniqué, il peine à se maintenir debout, agrippant sa poitrine comme s'il cherchait à apaiser une brûlure intérieure.

Un cri de frayeur s'échappe de ma gorge alors que je réalise l'urgence de la situation. Mes parents, alertés par mes appels désespérés, se précipitent dans le salon, découvrant avec horreur la scène qui se déroule devant eux. Dans un mouvement incontrôlé, mon professeur s'effondre lourdement, créant une tache écarlate sur le tapis blanc immaculé du salon.

-« Fait sortir Hana, chéri. » hurle ma mère, sa voix chargée d'angoisse et de détresse.

Mon père, muet de choc, s'affaire à appeler les secours, tandis que ma mère tente de m'éloigner de la scène tragique qui se déroule sous nos yeux. Ses mains tremblantes saisissent mon bras, cherchant à me tirer loin de l'horreur qui se profile, mais je reste figée sur place, incapable de bouger. Je sens le poids de la peur écrasante m'envahir, mais une partie de moi refuse de quitter mon professeur bien-aimé.

Mon frère aîné surgit alors dans un élan de détermination, me saisissant avec empressement pour me soustraire à cette vision cauchemardesque. Il me soulève dans ses bras avec une force douce, m'entraînant loin de la tragédie qui se déroule sous nos yeux.

-« Ma luciole, viens, on va jouer dans ma chambre. » murmure-t-il

Tentant de dissiper mes sombres pensées avec ses mots rassurants, mais je résiste, mon esprit hanté par l'image de mon professeur gisant inconscient sur le sol.

-« Mais Monsieur...Ajino ? » balbutié-je, retenant à grand peine mes larmes.

Une fois dans la chambre d'Hiro, un sanctuaire de calme et de sérénité où les étagères débordent de livres, il me dépose délicatement sur le lit. Son regard empreint de compassion rencontre le mien, et il m'attire dans ses bras avec une tendresse infinie.

-« Tu as le droit de pleurer, viens là. » murmure-t-il doucement, étouffant mes sanglots dans une étreinte réconfortante.

--

Quelques jours plus tard, alors que le poids de la tragédie continue de peser sur mes épaules, mon père m'a contrainte à participer à la compétition, m'obligeant ainsi à manquer les funérailles de mon cher professeur. Dans cette maison désormais empreinte de silence et de deuil, où toute expression de tristesse ou de douleur est réprimée, je trouve refuge dans la chambre de mon frère, là où je peux enfin laisser libre cours à mes larmes.

Dans les coulisses, tandis que ma mère ajuste ma robe blanche, mes pensées dérivent inexorablement vers mon professeur. Sa présence, autrefois si réconfortante, me manque cruellement. Mais ma mère me tire brutalement de mes songes, m'ordonnant de me concentrer car c'est bientôt mon tour.

-« Tu as vu, il n'est pas là. Tu as tes chances de gagner. » déclare-t-elle d'une voix chargée d'espoir.

Effectivement, mon rival de toujours, l'incarnation même de la perfection aux yeux de mes parents, est absent. Leur désir obsessionnel de me voir atteindre ses sommets ne fait qu'accentuer ma pression.

Pourtant, malgré tous mes efforts, je demeure toujours à la seconde place, une déception cuisante pour mes parents de plus en plus exigeants. Le moment fatidique approche alors que la voix de l'interphone m'appelle à prendre la scène.

Je m'avance vers le piano, la salle s'étendant devant moi dans un silence éloquent. Les juges, imperturbables sur leurs sièges, attendent patiemment que je commence. Mes doigts effleurent timidement les touches, mais je m'arrête net. L'image de mon professeur s'effondrant devant moi envahit mes pensées. Était-ce de ma faute ?

Je reste immobile, tétanisée par le poids de la culpabilité et du chagrin. Des mains se saisissent fermement de moi, me ramenant brutalement à la réalité.

-« Tu vas jouer, oui. »  déclare mon père d'une voix autoritaire, insensible.

Je suis incapable de répondre, pétrifiée par l'angoisse qui m'envahit.

-« Monsieur, si elle ne joue pas, elle sera éliminée. » intervient un juge.

-« Joue, il n'est pas là, donc tu peux gagner. Alors vas-y. » insiste mon père.

La rage monte en moi, mêlée à une jalousie corrosive envers ce prodige absent, dont l'absence pourrait être ma seule chance de victoire. Cette haine qui brûle en moi est bien plus qu'un simple ressentiment. C'est une émotion brûlante, corrosive, qui s'insinue dans chaque fibre de mon être, déchirant mon âme et empoisonnant mon esprit. C'est une force obscure qui me consume de l'intérieur, une colère noire qui étouffe toute autre émotion.

Elle étreint mon cœur de ses griffes acérées, le broyant sous son poids insoutenable. Elle engloutit toute lumière, plongeant mon monde dans les ténèbres les plus profondes.

Elle m'empoisonne lentement, faisant de moi une ombre de ce que je pourrais être. Et pourtant, je la nourris, je l'embrasse comme un refuge dans ma douleur, car elle est la seule chose qui me relie encore à ce monde.

THE BROKEN NOTESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant