CHAPITRE 15

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Chapitre 15

Ren : il y a 10 ans

Mon père, un virtuose des notes, éblouissait les salles de concert les plus prestigieuses, ses doigts dansant avec grâce sur les touches des pianos les plus illustres. Lui, que l'on surnommait affectueusement "Le grand Sosuke", avait un destin tout tracé.

Pourtant, le destin, cruel maître, en décida autrement. Un accident de voiture faucha sa carrière, blessant sa main gauche. Malgré une récupération partielle, la musique fut alors orpheline de son génie à l'âge 36 ans. Désormais, c'était à moi qu'il revenait de perpétuer son héritage, m'enseignant les secrets du clavier avec une tendresse infinie.

Entre nous, une complicité profonde s'était tissée, mêlant amour et transmission. Pour préserver mon identité dans les concours, j'arborais le nom de ma mère, dans l'ombre bienveillante de la renommée paternelle.

A mesure que mon père se consacrait à l'enseignement de son art à d'autres, nos liens semblaient se distendre. Sa présence se faisait rare. Une mélodie d'émotions contrastées s'orchestrait en moi, entre la tristesse de son éloignement et la jalousie face à son dévouement envers d'autres élèves. Malgré tout, je comprenais ce besoin viscéral qu'il avait de partager sa passion, de répandre.

-« J'ai un cours à donner, je reviens à 19h. » déclara mon père à ma mère.

-« Tu as un emploi du temps de ministre ! » répondit-elle en riant.

Assis à la table de la cuisine, occupé à dessiner, je les écoutais échanger en buvant leurs café. Mon père en raffolait, mais pour ma part, je n'arrivais pas à comprendre son engouement. Selon lui, je n'étais pas encore assez grand pour apprécier cette boisson.

-« Papa, le concours approche, j'ai besoin de ton aide. » l'interpellai-je.

-« Ahah, mon chat, ne t'en fais pas, tu es prêt. Je suis convaincu que tu remporteras la victoire comme à ton habitude. Il semblerait que mon talent ait trouvé un héritier en toi. Tu es destiné à un avenir brillant. » répondit-il avec assurance.

Il s'approcha et déposa un baiser sur mon front, embaumant l'air de l'odeur envoûtante de café. Je me levai pour le suivre du regard alors qu'il récupérait son parapluie, m'offrant un dernier salut avant de refermer la porte derrière lui. Une fois de plus, il serait absent toute la journée, dévoué à l'enseignement à des autres enfants.

-« Viens, va faire tes gammes. » m'interpella ma mère dans mon dos.

Je me retournai précipitamment et courus vers elle, enlaçant ses jambes avec affection. Elle me rendit mon étreinte avec tendresse. Sa voix, une symphonie de douceur et de chaleur, était comme un baume apaisant pour mon cœur. Chaque syllabe qu'elle prononçait était empreinte d'une délicate mélodie, qui enveloppait mon être dans un cocon de réconfort et d'amour. Elle était ma lumière dans l'obscurité, ma force dans la faiblesse, et je me sentais béni de pouvoir m'abandonner à sa douceur enveloppante.

-« Pour l'anniversaire de papa, on pourrait aller à l'Opéra ? » proposai-je en me dirigeant vers le tabouret du piano.

-« C'est prévu. As-tu terminé ton dessin pour lui ? » demanda-t-elle en prenant place sur le canapé.

-« Oui, il est caché dans ma chambre. » répondis-je.

Je l'avais dessiné, lui et moi, près d'un piano. Nous étions tous deux souriants, nos visages rayonnants de bonheur et de complicité.

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Il était 19h30 et mon père n'était toujours pas rentré. Ce n'était pas dans ses habitudes d'être en retard, ce qui plongea ma mère dans une inquiétude. Elle passa son temps à l'appeler, mais il ne répondait pas. Soudain, la sonnette retentit, brisant le silence oppressant de la maison. D'un pas précipité, je me précipitai vers la porte, espérant voir mon père du côté obscur de la porte. Mais à ma grande déception, ce n'était pas lui qui se tenait là.

-« Bonsoir, petit. Ta maman est là ? » demanda l'étranger.

Ma mère arriva derrière moi, son visage se crispant d'appréhension. Son sourire s'évanouit instantanément, comme si elle avait pressenti quelque chose de terrible. D'un geste imperceptible, elle me demanda de monter dans ma chambre. Je montai les escaliers, mais m'arrêtai juste en haut pour écouter leur conversation.

-« Madame, vous êtes bien la femme de Monsieur Sosuke ? » demanda l'étranger d'une voix grave.

Un sanglot étouffé s'échappa des lèvres de ma mère, acquiesçant d'un geste de tête.

-« Votre mari est décédé. Toutes mes condoléances... » annonça-t-il, sa voix empreinte de peine.

Les mots se perdirent dans le bourdonnement assourdissant qui envahit soudainement mes oreilles. La réalité me frappa de plein fouet, et tout ce que je pouvais entendre était la mélodie douce et familière que jouait mon père, résonnant dans le silence de la maison, comme un dernier adieu de sa part.

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À l'enterrement, une marée de visages se pressait, témoignant de l'amour universel que portait mon père. À l'hôpital, nous avions appris qu'il était atteint d'une maladie dévastatrice, mais il avait gardé le secret, soucieux de nous épargner la douleur. Depuis que ma mère avait appris la nouvelle, ses larmes ne cessaient de couler. Sa voix douce, qui résonnait autrefois dans les pièces de la maison, avait disparu, tout comme la mélodie envoûtante du piano qui avait bercé notre quotidien.

Sur un tatani du sougi shikijou*, je fixais le cercueil au loin, ainsi que sa photo, où ses cheveux noirs mi-longs tombaient en cascade sur ses épaules, encadrant ses yeux profonds. Il me manquait déjà, et la douleur de son absence était comme un poids insoutenable sur mon cœur endolori.

*Salle de cérémonie funéraire au japon

-«Tu veux bien dire le discours de ta mère à sa place ? Elle n'y arrivera pas », me demanda ma grand-mère en me tendant une feuille couverte d'encre noire, les traces des larmes de ma mère marquant la page.

Je me levai, les jambes tremblantes, tenant la feuille dans mes mains, face à tous ces visages attentifs. C'était à moi de représenter ma famille dans ce moment de deuil.

-« Si seulement j'avais su... Si seulement j'avais pu faire quelque chose pour toi. Mais maintenant, c'est trop tard. Et je suis désolée. Désolée de ne pas avoir été là pour toi quand tu en avais besoin », murmurai-je d'une voix tremblante, mes mots peinant à franchir mes lèvres.

Je pris une profonde inspiration, cherchant la force de poursuivre.

-« Tout ce que je peux faire maintenant, c'est te promettre que je ne t'oublierai jamais. Que je me battrai pour que notre fils marche dans tes pas, pour que ton héritage perdure à travers lui. Repose en paix. Tu nous manqueras toujours, Ajino Sosuke », concluai-je, mes paroles chargées d'émotion, le cœur lourd de chagrin.

THE BROKEN NOTESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant