2024 : Chapitre 34 à 36

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  Le deux avril, Gabriel venait de passer une journée éreintante. L'interview avait été intense, et bien qu'il ait abordé des sujets cruciaux avec confiance – réformes, enjeux économiques, politiques éducatives – un sentiment de malaise persistait. Il avait enchaîné réunions et conférences, son esprit en constante effervescence, jonglant avec des priorités qui semblaient infinies. Mais au moment où il avait vu l'appel de Jordan sur son téléphone, il avait ressenti quelque chose, une intuition sourde qu'il n'avait pas pu ignorer. Il avait presque hésité à répondre, submergé par la fatigue, mais quelque chose dans le ton, dans l'urgence, l'avait poussé à décrocher. Ce choix, ce geste instinctif, il en serait éternellement reconnaissant. Il s'était précipité chez lui et, à peine sorti de sa voiture, le froid l'avait frappé avec force. Son ventre douloureux ne faisait qu'ajouter à son malaise, mais ce n'était rien comparé à ce qui l'attendait. Alors qu'il faisait quelques pas dans la rue, il avait aperçu, plus loin, une autre voiture garée. La lumière de ses phares avait été presque accablante. Gabriel avait plissé les yeux face aux phares pointés sur lui mais n'avait pas eu le temps de se poser de questions. Il avait ressenti l'urgence de se rendre chez Jordan, ses gardes du corps suivant de près. Quand il avait poussé la porte de l'immeuble, un frisson d'appréhension lui avait traversé le corps. Ce qu'il avait trouvé à l'intérieur l'avait frappé comme un coup de poing. Jordan, seul, assis par terre au milieu des débris de sa bibliothèque renversée. Les livres étaient éparpillés autour de lui, la scène totalement chaotique. Gabriel s'était précipité vers lui, son cœur se brisant sous le poids du désespoir dans les yeux de Jordan. Il n'avait rien demandé, rien dit. Il avait simplement pris Jordan dans ses bras, le serrant fort contre lui. Le bruit des sanglots de Jordan, son souffle entrecoupé, avaient envahi la pièce. Gabriel avait senti un douloureux serrage de poitrine. Il n'avait pas eu de réponses à ses questions, ni de raisons immédiates pour ce qui avait déclenché cette scène. Mais il n'en avait pas besoin. Tout ce qui comptait à cet instant était d'être là, de le soutenir. Ils étaient restés ainsi un long moment, dans le silence, uniquement ponctué par les sanglots de Jordan. Gabriel n'avait pas voulu précipiter les choses, il savait qu'il y aurait un moment pour comprendre, mais ce n'était pas maintenant.

Après un moment, il avait proposé de faire quelque chose de simple : préparer à manger. Gabriel avait préparé des pâtes, un repas modeste, mais réconfortant. Il lui avait apporté sur le canapé, et sans un mot, ils avaient partagé ce plât. Ce n'était pas tant la nourriture, mais le geste, la présence. Lorsque Jordan eut terminé, son regard perdu dans le vide, il finit par se confier, dévoilant peu à peu la douleur qui le rongeait. Chaque mot, chaque émotion, avait brisé quelque chose dans le cœur de Gabriel. Il n'avait pas pu retenir ses propres larmes face à l'intensité de la détresse de Jordan. Il aurait voulu être capable de faire plus, de guérir ce qui semblait irrémédiable, mais pour l'instant, la seule chose qu'il pouvait offrir, c'était sa présence, sans jugement, sans pression. Une fois que Jordan sembla un peu plus calme, il proposa de réparer ce qui avait été cassé. Gabriel, qui pensait que la bibliothèque était hors d'usage, réalisa que ce n'était pas le cas. Ce n'était pas la structure qui était brisée, mais juste démontée par la force de l'impulsion. Ils avaient passé l'heure suivante à la remonter ensemble, à remettre les livres en place. Rien de tout cela n'avait réparé la douleur de Jordan, mais la réparation physique semblait symbolique. Comme si, petit à petit, ils reconstruisaient aussi ce qui avait été fracturé à l'intérieur. Lorsque la bibliothèque fut de nouveau en place, Gabriel se recula et observa le résultat de leurs efforts. Ce n'était pas grand-chose, mais dans l'instant, cela semblait suffire. Et alors qu'il croisait le regard de Jordan, il sut que, même si ce n'était pas facile, ils trouveraient une manière de traverser ça ensemble. Jordan attrapa un vieil album photo posé au sol, ses doigts effleurant doucement la couverture usée. Un sourire, à la fois nostalgique et apaisé, se dessina sur son visage alors qu'il l'ouvrait lentement, découvrant les pages jaunies et les souvenirs qui y étaient enfouis.

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