Chapitre Cinq - Un Semblant De Normalité.

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Un calme inhabituel régnait à la ferme des Georges. L'aube se levait à peine, projetant ses premiers rayons dorés sur les champs de blé, une lumière douce et dorée qui semblait filtrer à travers chaque brin, caressant la terre encore endormie. Les bruits familiers des animaux s'éveillant dans leurs enclos se mêlaient aux murmures du vent, créant une harmonie naturelle. Pourtant, ce matin-là, ce calme était presque irréel, comme un silence lourd, suspendu, qui pesait sur l'air. Le vent, qui habituellement apportait une sensation de liberté, semblait emporter avec lui une promesse de quelque chose d'inconnu.

À l'intérieur de la maison, cette tranquillité extérieure n'avait pas sa place. Un tumulte silencieux agitait les membres de la famille, chacun replié dans ses pensées, ses préoccupations, ses peurs. L'anxiété s'infiltrait dans leurs gestes, transformant les actes quotidiens en rituels automatiques, comme si leur routine était désormais un masque dissimulant l'angoisse qui les rongeait. Maëlle, en particulier, ressentait ce malaise qui montait en elle, une pression sourde qu'elle n'arrivait pas à comprendre. Le contraste entre l'extérieur et l'intérieur semblait se creuser de minute en minute, comme si la ferme, elle-même, sentait que quelque chose allait se briser.

Maëlle se réveilla en sursaut. Ses yeux cherchaient la familiarité de la pièce autour d'elle, mais tout semblait distant, comme si elle était en dehors de son propre corps. Elle se leva précipitamment, l'envie de voir ses parents et ses grands-parents avant leur départ la poussant à agir avec urgence. Le parquet craquait sous ses pas, et elle se maudit de ne pas avoir plus de douceur dans ses mouvements. Une odeur de café chaud monta vers elle, envahissant ses narines d'une chaleur réconfortante. Elle huma l'air, cette odeur qui lui rappelait ses matins d'enfance, mais même cela semblait un peu trop lointain, comme une illusion de sécurité.

Elle se précipita dans l'escalier, se sentant presque piégée par la lenteur de son propre corps. En bas, la scène qui se déroulait devant elle la fit s'arrêter un instant. Sa sœur, assise au bar, sirotait un café en silence, les yeux rivés sur les aînés qui s'activaient, préparant des sacs. Victor, à côté d'elle, ne disait rien, les bras croisés, un air fatigué sur le visage. Maëlle ne les dérangea pas tout de suite, mais son regard se porta sur ses parents qui s'activaient sans un mot, les gestes précis mais pleins d'une tension palpable. Ils avaient choisi de rester à Paris, de passer la nuit chez Sophie et William, mais cette décision ne faisait qu'amplifier la peur sourde qui flottait dans l'air.

Sophie, l'aînée des deux filles de Samuel et Victoria, avait quitté la campagne il y a des années pour Paris, abandonnant la ferme, ses origines, pour la ville et ses promesses. Elle avait rencontré un homme, s'était mariée, fondé une famille, et elle n'avait jamais regardé en arrière. C'était une femme forte, indomptable, mais aussi difficile à comprendre. Maëlle se souvenait des nombreuses disputes entre Sophie et leur mère, des éclats de voix qui avaient brisé la paix familiale. Sophie n'avait jamais compris pourquoi Victor, son fils, avait choisi de suivre un chemin aussi dangereux, violent. Elle en avait voulu à toute la famille de l'avoir poussé dans cette voie.

Victor, lui, avait frôlé la mort et, après ce qui lui était arrivé, il ne voulait plus entendre parler de Paris. L'hôpital, les douleurs, la perte de son œil droit, les retours des combats qui le hantaient - tout cela le rongeait encore. Il avait trouvé refuge chez sa tante, loin de tout ça, mais la plaie restait béante. Le pire, c'était de devoir revenir à Paris, cette ville pleine de souvenirs douloureux. Il l'avait fuie comme on fuit un enfer, et pourtant, il sentait qu'il allait y retourner, inévitablement.

Les aînés finirent de ranger leurs affaires, et Samuel se dirigea vers la voiture, l'air préoccupé. Victoria, elle, décrocha une dernière fois le téléphone pour parler à Sophie, puis se tourna vers ses enfants. Elle donna des ordres aux plus âgées, désignant les responsabilités des plus grands pour gérer la maison et le petit Charles pendant leur absence.

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