Chapitre 3 : Les Révélations de L'aube.

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La nuit s'était installée comme un voile épais, enveloppant la ferme dans une obscurité pesante. Le ciel, pourtant parsemé d'étoiles, paraissait étrangement vide, comme s'il avait oublié sa capacité à apaiser ceux qui le contemplaient. Le départ des hommes en noir avait laissé derrière eux une empreinte indélébile, un silence assourdissant, un vide que personne dans la maison ne semblait capable de combler. Les mots qu'ils avaient prononcés flottaient encore dans l’air, suspendus entre réalité et cauchemar.

Maëlle s’était réfugiée dans sa chambre, espérant échapper à la lourdeur de l'atmosphère qui régnait en bas. Mais en fermant la porte, elle n'avait fait qu'enfermer avec elle ce tourbillon d'angoisses. L’air, à l’intérieur, semblait plus dense, chaque respiration devenant une épreuve, comme si ses poumons refusaient de collaborer. Elle avait l'impression que la chambre, pourtant si familière, si réconfortante d’ordinaire, était devenue étrangère, presque hostile.

Elle ouvrit la fenêtre en grand. Dehors, le vent faisait danser doucement les arbres, leur chant habituel chargé de mystères et de non-dits. La campagne, habituellement si apaisante, semblait elle aussi avoir été altérée par cette révélation soudaine. Chaque ombre paraissait plus profonde, chaque bruit, plus menaçant. Le cri d’une chouette résonna dans la nuit, et Maëlle frissonna. L’immensité des champs et des collines, autrefois si rassurante, lui donnait désormais l’impression d’être une mer infinie prête à l’engloutir.

Elle passa une main dans ses cheveux, désespérée de trouver une ancre, quelque chose de solide auquel se raccrocher. Mais il n’y avait rien. Juste cette question lancinante qui la rongeait depuis l'instant où les hommes en noir avaient franchi le seuil de la maison : Et si c'était vrai ?

Elle s’adossa contre le mur, les bras croisés sur sa poitrine comme pour se protéger de cette idée. Comment une famille comme la leur, enracinée dans cette terre depuis des générations, pouvait-elle être liée à une histoire si lointaine, si invraisemblable ? Une lignée royale. Le simple fait de penser ces mots la faisait presque rire, un rire nerveux, à peine contenu. C’était absurde. Et pourtant…

Elle repensa à son grand-père, Samuel. Son visage marqué par les années, mais toujours solide, avait exprimé quelque chose ce soir-là qu’elle ne lui connaissait pas. Une inquiétude, subtile mais bien présente, qui avait creusé des lignes plus profondes autour de ses yeux. Il n’avait rien dit après le départ des hommes, pas un mot. Lui, qui d’ordinaire avait toujours quelque chose à dire, était resté silencieux, figé dans une réflexion opaque que personne n’avait osé troubler. C'était comme si ce moment l’avait projeté dans un passé qu’il avait tenté d’oublier.

Victoria, elle, avait été à la fois forte et tremblante. Elle avait tenté de garder une apparence calme, de rassurer tout le monde par des gestes mesurés, comme elle savait si bien le faire en temps de crise. Mais Maëlle avait vu ses mains trembler lorsqu'elle avait saisi la théière pour préparer un breuvage que personne n’avait touché. L’image de sa grand-mère, si inébranlable d’habitude, vacillant sous le poids de cette révélation, la bouleversait encore.

Ses frères, eux, avaient réagi de manières si opposées que Maëlle avait du mal à les comprendre. Daniel, fidèle à lui-même, avait tenté de plaisanter, comme pour dissiper la gravité du moment, comme s’il pouvait, à force de légèreté, chasser cette nouvelle réalité. Mais son rire était creux, sans la moindre trace de l'insouciance qu’il essayait d'afficher. Quant à Sacha, il n’avait rien dit, rien du tout. Plongé dans un silence troublant, il était resté assis, son regard perdu quelque part au-delà de cette pièce, au-delà de cette nuit. Maëlle savait que quelque chose d’important se jouait dans son esprit, mais il gardait tout pour lui, comme souvent.

Elle soupira longuement, se demandant ce qu'ils allaient devenir, où cette histoire les mènerait. Et s'il était vrai que cet homme mourant, Hassan Ben Ali, portait en lui les réponses à des questions qu’ils n’avaient jamais su se poser ?

Un léger bruit derrière elle la fit sursauter. Quelqu’un frappait doucement à la porte. Elle essuya ses mains moites sur son pantalon avant d'aller ouvrir. Sacha se tenait là, ses traits détendus mais son regard empreint de cette même curiosité silencieuse qu'il avait affichée toute la soirée.

« Je peux entrer ? » demanda-t-il d’une voix presque timide, une rareté chez lui.

Maëlle hocha la tête, le laissant passer. Il s’installa sur son lit avec la même désinvolture qu’à l'époque où ils étaient enfants. Ils avaient l’habitude de se réfugier dans la chambre l’un de l’autre après une journée difficile, s’allongeant ensemble sans un mot, simplement pour partager ce silence complice qui les liait. C’était un rituel qui n’avait jamais vraiment disparu, même en grandissant.

Sacha s’étira, fixant le plafond d’un air absent. « Tu penses vraiment qu’on a un lien avec ce type ? » demanda-t-il enfin, sans la regarder.

Maëlle hésita un instant avant de répondre, sa voix plus incertaine qu’elle ne l’aurait voulu. « J’en sais rien. Tout ça me paraît tellement... irréel. »

« Ouais. Irréel. C’est le mot. » Il soupira, longuement, avant de reprendre. « Mais si c’est vrai, ça changerait tout, tu le sais, non ? Tout ce qu’on connaît. »

Elle hocha la tête, ses pensées s’entrechoquant dans son esprit. « Ça change déjà tout, Sacha. Leur visite, leurs paroles… on peut plus faire comme si tout était normal. »

Il tourna enfin la tête vers elle, ses yeux sombres brillants d'une lueur d’inquiétude. « Et si c’était un piège ? » Sa voix se fit plus grave. « Tu y as pensé, non ? Ces types… ils pourraient vouloir n’importe quoi de nous. Et si tout ça n'était qu’une histoire inventée pour nous manipuler ? »

L’idée, bien qu’elle lui ait déjà traversé l’esprit, semblait encore plus terrifiante maintenant qu’il la prononçait à voix haute. **Et si c’était vrai ?** Et si cette situation était bien plus sombre qu’ils ne le pensaient ?

« On ne peut pas leur faire confiance, » murmura-t-elle, ses doigts crispés sur le rebord du lit. « Pas avant de savoir ce qu’ils attendent réellement de nous. »

Sacha se redressa, une nouvelle résolution visible dans son regard. « Il va falloir qu’on découvre ce qui se cache derrière tout ça. Par nous-mêmes. On peut pas rester là à attendre que quelque chose nous tombe dessus. »

Maëlle le regarda, un mélange de soulagement et d’appréhension l’envahissant. Son frère, malgré ses propres doutes, semblait déjà prêt à prendre les choses en main, comme il l’avait toujours fait. Il était son point d’ancrage, la personne qui, même dans les pires moments, parvenait à rester pragmatique.

« Ensemble, » murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui. « On va trouver un moyen de s’en sortir. »

Sacha sourit légèrement, mais dans ses yeux, Maëlle devinait une ombre persistante, un doute qui ne les quitterait pas de sitôt.

Après un moment, il se leva, prêt à partir. « On va s’en sortir, tu verras. » Puis, avec un dernier regard, il quitta la chambre, laissant Maëlle seule avec ses pensées.

La nuit, dehors, semblait encore plus silencieuse, comme suspendue dans une attente insoutenable. Maëlle se coucha, fixant le plafond. Mais malgré la fatigue, le sommeil refusait de venir. Trop de questions restaient sans réponse, et l’avenir qui s’annonçait semblait plein d’incertitudes.

Entre nos mainsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant