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As

Ça fait à peine deux minutes que je suis sur la piste, et déjà, je m'ennuie.

Non, vraiment. Pas de défi, pas d'adrénaline. Juste moi et la bête que j'ai modifiée hier soir – un bijou sur quatre roues, fusion entre un moteur surboosté et un châssis léger comme une plume. Un véritable missile. Mais là – sur cette ligne droite – c'est un peu comme faire du vélo avec des petites roues. Autant dire que je pourrais le faire les yeux fermés... et d'ailleurs, je devrais essayer. Mais bon, ils m'en voudraient si je crashais encore une voiture.

Le compteur grimpe, la vitesse me plaque contre le siège. J'adore cette sensation. Le monde qui se déforme, qui se dissout autour de moi à mesure que je passe les 250, puis les 300 km/h. La moindre erreur pourrait m'envoyer valser en orbite, mais ça, c'est pour les amateurs. Moi ? J'ai le contrôle. Toujours. Sinon, comment est-ce que j'aurais décroché le statut d'« As », hein ? C'est certainement pas pour mes talents en cuisine.

Je prends le virage comme un artiste peindrait un tableau. Ça paraît naturel. Fluide. Je sens la voiture réagir à chaque micro-ajustement de mon pied, de mes doigts sur le volant. Je suis en osmose avec elle. Elle et moi, on est comme Bonnie et Clyde, mais sans la fin tragique. Enfin, si je garde la main légère, ça devrait aller. Mon père me tuerait si je détruisais encore une de ses voitures. Enfin, il essayerait.

Je ne dis pas qu'il n'a pas les moyens de remplacer cette merveille, vu que la piste est à lui et que le garage ressemble plus à un musée qu'autre chose. Mais franchement, ça devient un peu gênant à force. Puis ça l'énerve vraiment quand j'essaie de lui expliquer que c'est pour « la science ». Toujours un mauvais public pour mes meilleures expériences, ce type.

Je tape dans le frein, et la bagnole se cale dans le virage avec la précision d'une montre suisse. La ré-accélération me projette dans mon siège, le moteur rugit. Pas un rugissement sauvage, non. C'est un rugissement calculé, contrôlé, dompté. C'est pas moi qui pilote la voiture. Non, non. C'est la voiture qui m'accompagne dans cette danse.

Parce que ouais, je suis comme ça. Modeste. On me surnomme As parce que je suis – vous savez – simplement le meilleur. Pilote. Mécano. Génie. Tout. C'est simple, je fais tout mieux que tout le monde, et franchement, c'est presque un fardeau.

Mais faut dire que quand tu bosses pour des gens qui se contentent rarement de faire « les choses comme tout le monde » – oui, je parle bien de ceux dont il vaut mieux ne pas mentionner le nom, même entre nous – bah, il faut être à la hauteur. Et disons que j'ai cette petite manie de toujours livrer.

Je fais glisser la voiture jusqu'à la ligne de départ, la ralentissant progressivement. Le moteur crache un dernier soupir avant que je ne coupe le contact. Silence.

Je retire mon casque, un sourire en coin, et me passe une main dans les cheveux. Je regarde autour de moi. La piste privée. Mes œuvres d'art sur roues. La vie est belle, non ? Qui aurait cru qu'être un petit prodige de la vitesse et de la mécanique m'amènerais à ça ?

Je sors de la voiture, et me penche en arrière contre la portière encore chaude de la voiture. Les yeux fermés, je savoure ce moment où tout est silencieux – juste moi et mon égo qui rayonne après un tour parfait. Et là, comme une dissonance dans une mélodie parfaite, j'entends le clac clac des talons. Ah

Valérie. 

Elle surgit comme un orage dans un ciel bleu, toujours tirée à quatre épingles, blonde platine et sourire crispé qui ne masque pas totalement le regard las qu'elle a chaque fois qu'elle me voit. Ou peut-être que c'est son mascara qui fait ça, va savoir. 

CoupableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant