Coupable

26

Jerem

    Mon Dieu, mais qu'est-ce que je suis en train de regarder exactement ? C'est tout ce que je réussis à formuler dans ma tête, alors que mes yeux restent scotchés à l'écran. Sur la télé, des images d'anciens symboles occultes clignotent avant d'être remplacées par des vues imposantes de bâtiments gouvernementaux. Très inspirant, si on aime les théories du complot en mode film noir.

    Je fronce les sourcils. Pourquoi des hommes en costumes sombres dans des salles encore plus sombres doivent-ils toujours avoir l'air de comploter des trucs horribles ?

    - « Depuis des siècles, une société secrète suscite crainte et fascination, » commence une voix grave. « Ils sont partout, mais nulle part. Leur influence est supposée, mais jamais prouvée. On les accuse de contrôler les gouvernements, les banques, les médias, d'orchestrer les guerres et les révolutions. Leur nom résonne comme un murmure dans l'obscurité : les Illuminatis. »

    Je soupire, désespéré. Dites-moi que je rêve. Pas étonnant que mon meilleur ami soit devenu un cas d'école de la théorie du complot ambulante. Je tourne lentement la tête vers Sam, qui fixe l'écran comme s'il était en train de regarder la révélation de sa vie. Et avec quoi en main, vous demandez ? Un paquet de chips. Journée tout à fait normale pour lui, apparemment.

    - « Officiellement, les Illuminatis sont nés en Bavière en 1776, » continue le narrateur. « Fondés par Adam Weishaupt, un homme avec une seule ambition : défier l'autorité religieuse et monarchique. Leur but ? Renverser les tyrannies pour instaurer une nouvelle ère de raison, de liberté, et d'égalité. Mais cette quête de pouvoir a rapidement pris une tournure plus sombre. »

    Je fixe toujours l'écran, malgré moi. Sérieux, quel genre de sorcellerie hypnotique ils mettent dans leurs documentaires pour que je sois incapable de détourner le regard ? Et c'est donc ça que Sam regarde pendant ses insomnies. Je pensais qu'il passait ses nuits à faire des choses un peu plus... normales. Comme jouer à des jeux vidéo. Ou dormir.

    - « En 1785, les Illuminatis sont interdits par le gouvernement bavarois. Leurs membres sont traqués, leurs activités démantelées – du moins, c'est ce que les historiens nous disent. Pourtant, certains prétendent que l'ordre ne s'est jamais vraiment éteint. Qu'il a simplement changé de forme, se fondant dans d'autres organisations, infiltrant les centres de pouvoir pour mieux manipuler le cours de l'histoire. »

    La porte d'entrée claque, pile au moment où des images de Napoléon et des pères fondateurs des États-Unis défilent à l'écran. Quand la Révolution française s'invite dans le documentaire, James débarque avec son sac de sport. Il jette un coup d'œil rapide à la télé et lève les yeux au ciel si fort que j'ai peur qu'ils ne restent bloqués là-haut.

    - Putain, Samy, soupire le blond. T'es encore sur ce genre de conneries ? Si tu continues à mater des trucs comme ça, les services secrets vont débarquer chez nous pour vérifier que te n'as pas de cave remplie de coupures de journaux et de fils rouges reliant tout et n'impo-
    - Chuuuuuut.

    Sam ne lui accorde même pas un regard, trop concentré sur sa séance de lavage de cerveau. La voix off reprend, encore plus dramatique, comme s'il allait révéler la formule magique de l'immortalité.

    - « Mais où sont les preuves ? »

    Sam, visiblement ravi, murmure entre deux chips :

    - Ils vont parler du billet américain...

    Je jette un regard inquiet à James, qui hausse les épaules comme pour dire « encore une de ses phases ». Et là – bingo – le narrateur commence son grand déballage.